La Commission Vie Privée dopée par l’arrêt Google Spain

Hors-cadre
Par Jean-Luc Manise · 09/07/2015

Indéniablement, l’arrêt Google sur le droit à l’oubli numérique et l’arrêt “Data Retention” de la Cour Européenne de Justice ont fait du bien au moral des différentes autorités nationales chargées de la protection des données.

Willem Debeuckelaere, Président de la Commission de Protection de la Vie Privée: “2014 a marqué un tournant. L’arrêt de la Cour de Justice du 13 mai 2014 dans l’affaire Google Spain est une grand-messe de la réflexion juridique pointue et plutôt saine. Il a permis de résoudre de nombreux problèmes ainsi que de renforcer et d’appliquer concrètement le droit existant en matière de protection de la vie privée.

C’est un jugement qui ne s’enlise pas dans la mélasse de la pure avocasserie mais qui applique ce que le législateur a en principe présupposé et qui est appliqué avec bon sens. Sans crainte ni vassalité vis-à-vis des géants de l’Internet. Pas de beaux discours sur les intérêts commerciaux ou la dictature de la logique technologique, mais bien la protection du citoyen.

L’arrêt de la Cour de Justice dans l’affaire “Google Spain”? “Pas de beaux discours sur les intérêts commerciaux ou la dictature de la logique technologique, mais bien la protection du citoyen.”

C’est une cure de vitamines: enfin une confirmation de la tâche, de la mission, de l’autorité et de la juridiction d’une commission vie privée qui a enfin quelque chose à dire, à faire et d’emblée aussi une responsabilité.”

L’arrêt “Data Retention”

L’arrêt du 8 avril 2014 de la même Cour de Justice de l’Union européenne, sur la conservation des données, va dans ce sens. Il invalide la directive sur la conservation des données au motif de son incompatibilité avec la charte des droits fondamentaux de l’Union.

Cette directive adoptée en 2006 suite aux attentats de Madrid (2004) et de Londres (2005) contraint les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d’accès à Internet européens à conserver les métadonnées de communications de leurs usagers pour une durée allant de six mois à deux ans.

Willem Debeuckelaere (Commission Vie Privée): “L’arrêt Google Spain a eu l’effet d’une cure de vitamines sur les commissions vie privée.”

En juillet 2013, le Parlement fédéral belge adopte, dans le cadre d’une procédure d’urgence, une loi et un arrêté transposant cette directive en droit belge.

Cette loi et son arrêté d’application contraignent les fournisseurs de communications électroniques à conserver, pour une durée d’un an, différentes données comme les numéros de téléphone appelés depuis un téléphone mobile, la localisation géographique de l’émission de l’appel, la date, l’heure et la durée des communications.

Sept mois plus tard, la NURPA (Net Users’ Rights Protection Association – Association de Protection des Droits des Internautes), Datapanik.org, la Ligue des droits de l’Homme, soutenus notamment par l’Ordre des médecins et l’Association des journalistes professionnels, introduisent un recours auprès de la Cour constitutionnelle afin d’obtenir l’annulation de la loi transposant la directive européenne en droit belge.

C’est donc chose faite depuis le 8 avril 2014, suite à l’arrêt de la Cour européenne de Justice, avec une confirmation le 11 juin 2015 dernier dans le cadre de deux recours en annulation introduits indépendamment.

Meilleure coopération

Ces deux arrêts ont également instauré des liens de coopération plus efficaces entre les différentes autorités européennes de protection des données. En novembre de l’année dernière, celles-ci, regroupées au sein du Groupe 29, ont adopté des lignes directrices communes.

L’effet est double. D’une part, une interprétation harmonisée de l’arrêt; de l’autre, des critères uniques que les autorités utiliseront pour l’instruction de plaintes qui leur parviendraient suite à des refus de dé-référencement par les moteurs de recherche.

Surcharge inutile?

Parmi les priorités 2015 de la Commission Vie privée figurent l’impact du projet de règlement européen sur la protection des données personnelles, “projet sur lequel on a une vue assez critique”, souligne Stefan Verschueren. Qui s’inquiète de la charge qui pèsera sur la Commission. “Les nouvelles exigences de conformité vont peser administrativement: cela va être plus complexe, notamment pour les entreprises. Et si l’on nous confie toutes les tâches que le futur règlement  prévoit, non seulement nous ne pourrons pas toutes les prendre en charge mais, en plus, nous ne serons plus en capacité de réaliser ce que faisons très bien aujourd’hui. Il est par exemple question de nous confier la gestion des sanctions alors que nous avons de très bons contacts avec les Parquets et les juridictions. Il n’est pas nécessaire de réinventer l’eau tiède!”

En 2014, la Commission belge n’avait eu à connaître que de 25 dossiers correspondant à un tel refus. Pour le seul premier semestre 2015, ils étaient une soixantaine et portaient sur les cas les plus divers: comptes-rendus par la presse d’actualité judiciaires, maintien dans la cache de Google de versions dépassées de pages Web, demandes générales de suppression de toute mention on-line d’un nom, informations embarrassantes., etc.

Stefan Verschueren, vice-président de la Commission Vie privée: “Google est très prudent et ne se transforme pas en policier du référencement, et c’est très bien. Nous avons par ailleurs décidé d’agir en amont.

Nous allons annoncer à la rentrée un accord avec les éditeurs de presse qui offrira aux personnes citées dans les archives numériques des possibilités qui vont au-delà du dé-référencement avec notamment un droit de communication non limité dans le temps. Ce sera une sorte de droit de réponse qui permettra à la personne citée de faire précéder l’ensemble des articles et publications concernées d’une communication qui pourra préciser sa position et son point de vue. On va aussi prévoir la possibilité, pour l’éditeur, de garder son article en ligne, tout en le mettant “hors de portée” des moteurs de recherche.”

“Nous allons annoncer à la rentrée un accord avec les éditeurs de presse qui offrira aux personnes citées dans les archives numériques des possibilités qui vont au-delà du dé-référencement avec notamment un droit de communication non limité dans le temps.”

Caméras de surveillance: + 40%

En 2014, la Commission Vie Privée a vu sa charge de travail croître de 294 dossiers individuels (3.532 dossiers en 2013) pour un total de 3.826 dossiers qui sont répartis comme suit: 3.219 demandes d’informations, 413 demandes de médiation et 194 dossiers de contrôle.

Stefan Verschueren (Commission Vie Privée): “Les questions et dossiers portant sur la surveillance sur le lieu du travail se multiplient!”

Plusieurs dossiers ont été transmis au Parquet à des fins de poursuites. Les caméras de surveillance restent un enjeu récurrent. La Commission Vie Privée a enregistré 5.354 nouvelles déclarations de lieux de surveillance par caméras en 2014 contre 3.815 en 2013… soit une augmentation de 40%. Ces 5.354 nouvelles déclarations comprennent 97 déclarations pour les lieux ouverts, 4.063 déclarations pour les lieux fermés et 1.194 déclarations pour des caméras sur le lieu de travail.

Stefan Verschueren: “De plus en plus d’organisations syndicales et même patronales nous contactent afin de savoir ce qu’on peut et ne peut pas faire en la matière. Avec les évolutions des équipements et des outils de surveillance, les questions et les dossiers se multiplient. Dans un aéroport wallon, la surveillance est sous-traitée à une firme extérieure dont les agents sont eux-mêmes surveillés par le personnel de l’aéroport, d’une façon que certains considèrent comme illégitime et indue.

Autre exemple: dans une maison de repos, le pensionnaire est chez lui dans sa chambre. Donc il peut mettre une caméra de surveillance. Mais quid du respect de la vie privée des infirmières et aides soignantes qui sont appelées à entrer quotidiennement dans les chambres? Tout cela nécessite une connaissance pointue d’une législation que les technologies remettent chaque jour en question, et un sens aigu du “bon” compromis!”

Affaires à suivre…