Conseil de l’Industrie: “la Wallonie n’a plus le temps d’attendre”

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Par · 03/07/2017

Après le Conseil du Numérique et celui des PME, dans leurs domaines respectifs, c’est au tour du Conseil de l’Industrie de remettre au Ministre de l’économie, Jean-Claude Marcourt, sa liste de “recommandations concrètes d’actions pour renforcer la politique industrielle [wallonne] et la faire évoluer pour répondre aux grands enjeux de demain – notamment en termes numériques, énergétiques, environnementaux et sociétaux.”

Les enjeux et défis numériques figurent donc en bonne place dans l’analyse qui a été faite par les 21 membres du Conseil. Le document remis, vendredi 30 juin, au Ministre Marcourt synthétise ce que doivent être, à leurs yeux, les priorités à mettre en oeuvre pour “renforcer la compétitivité du tissu industriel wallon” en complétant et rendant plus probants les effets déjà suscités par une série d’initiatives gouvernementales (Plan Marshall, Plan du numérique, Small Business Act, aides à la recherche).

“Il s’agit de globaliser les plans de développement économique autour de projets mobilisateurs pour l’écosystème régional”, souligne notamment Yves Prête, président du Conseil de l’Industrie et par ailleurs président de l’UWE. “Il n’est pas question de présenter un nouveau Plan et moins encore une nouvelle institution mais plutôt d’énoncer un ensemble d’actions prioritaires et de trouver des projets porteurs, mobilisateurs.”

Yves Prête (UWE): “Identifier des projets porteurs, mobilisateurs pour faire face aux véritables enjeux de la Wallonie. On note un important momentum du côté de la nouvelle industrie. On est sans doute arrivé au bout des grosses restructurations. Il devient possible de construire de nouvelles choses.”

Comme le soulignait Jean-Claude Marcourt, “10 ans après le lancement du Plan Marshall, qui a permis de modifier l’assise de l’industrie wallonne, de transformer les industries dans leur positionnement, la question qui se pose maintenant est d’identifier les moyens à mettre en oeuvre pour relancer et dynamiser davantage.”

Le Conseil de l’Industrie a pris pour horizon 2030. Avec de sérieuses ambitions:

  • augmenter le poids de l’industrie en faisant passer sa part dans le PIB wallon de 14,2% en 2015 à 20%, dans les investissements de 14,9 à 20%, et dans les exportations de 60,2 à 75%
  • créer de l’emploi, en augmentant le taux d’emploi (tranche d’âges: 20-64 ans) de 61,5% en 2015 à 75% en 2030.

“Les objectifs sont ambitieux”, admet le ministre Marcourt, “mais le fait est que la part de l’industrie est actuellement insuffisante dans le PIB wallon qui, lui-même, est insuffisant. Au-delà des ambitions chiffrées, il s’agit aussi de montrer l’ambition de la Région wallonne. Les pré-requis sont là. S’il existe parfois certaines barrières – culturelles, juridiques -, l’essentiel est de continuer à dynamiser l’esprit d’entreprise.”

Quelques touches de numérique

Le document remis au ministre est structuré en 3 recommandations générales, 8 conditions de réussite, 3 axes de progrès majeurs (capital humain, innovation, et chaînes de valeur) et 13 mesures-phare.

Nous ne les passerons évidemment pas toutes en revue mais voici les initiatives et mesures à connotation numérique plus ou moins forte qui figurent dans le document.

Développement d’une “administration 4.0” via recours à des outils numériques afin d’“améliorer la qualité des relations institutionnelles entre entreprises et institutions publiques wallonnes.” Par exemple via la mise en place des sources authentiques, une numérisation accélérée des services, et une accélération des processus de dématérialisation des permis (tous objectifs qu’on retrouve d’ailleurs dans le cadre du Plan du Numérique).

Au rayon Innovation et poursuite de la stratégie de spécialisation intelligente (via les Pôles de Compétitivité), on trouve une proposition de procéder par appels à projets (recherche fondamentale et appliquée) “en amont des Pôles de Compétitivité, dans des domaines spécifiques de recherche porteurs pour l’industrie de demain”. Voici quelques exemples de thèmes cités dont les différents Pôles sont demandeurs:

  • Mecatech: des appels à projets orientés Internet des Objets, systèmes embarqués, intelligence artificielle et analyse de données ; modélisation, simulation et ingénierie numérique ; identifiants numériques ; systèmes auto-apprenants ; véhicules autonomes (terrestres ou aériens)
  • GreenWin: appels à projets étiquetés Industrie 4.0 ou Construction 4.0. Du côté Industrie, le document cite des thèmes tels que l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, l’extraction de signaux à partir de mégadonnées. Côté construction, on retrouve des thèmes potentiels d’appels à projets tels que bâtiments connectés, smart cities, réalité augmentée, modélisation de données…
  • Skywin: nouvelles techniques de simulation numérique, big data au service de la maintenance…
  • Biowin: intelligence artificielle et big data, e-santé (capteurs, équipements connectés)…

Signalons encore, au rayon capital humain et compétences nécessaires à l’industrie de demain, des recommandations pour doper des filières encore trop désertées:

  • promouvoir les métiers scientifiques et techniques ; dédier une journée (scolaire) au thème “Sciences et Technologies à l’école” ; organiser des modules d’animation scientifique et technologique
  • renforcer l’enseignement des sciences et mathématiques dès le primaire
  • renforcer la formation des enseignants au rayon connaissances scientifiques et techniques.

Aux yeux du Conseil de l’Industrie, le rôle des Centres de Compétences devrait être quelque peu repensé pour mieux coller aux orientations des Pôles de compétitivité. Ces derniers, selon le document du Conseil, devraient “jouer un rôle plus direct dans les centres de compétences.”

Pascal Lizin, membre du Conseil et par ailleurs président d’Essenscia Wallonie, souligne par exemple que les Centres de Compétences ont un rôle majeur à jouer pour anticiper les besoins futurs en compétences. A eux d’assurer une veille “en synergie avec l’industrie et d’autres acteurs – en ce compris le monde de l’enseignement et les demandeurs d’emploi qui seraient intéressés à opérer dans les divers secteurs-cible.”

De même, il faudrait “assurer une concertation entre les pôles et l’enseignement supérieur sur les besoins en formation liés aux domaines des Pôles”. Recettes préconisées: davantage de stages d’étudiants et plus grande sensibilisation des chercheurs à la création d’activités.

Un dialogue et une écoute encore plus constructifs doivent s’établir entre l’industrie et le monde de l’enseignement (et de la recherche universitaire).“Ecouter l’industrie, ce n’est pas renoncer à sa liberté académique”, soulignait Jean-Claude Marcourt. “Il y a dix ans l’atmosphère était glaciale quand on faisait se rencontrer les vice-recteurs de la recherche et les représentants de l’industrie. Mais un changement de mentalité s’est opéré. Aujourd’hui, on a réussi à construire cette écoute…”

Toujours au rayon enseignement et recherche, le Conseil de l’Industrie préconise “la création de centres de recherche interuniversitaires [ne serait-ce que virtuels, les chercheurs restant attachés à leur université], développés en partenariat avec les Pôles, les entreprises et les centres de recherche, et organisés selon une logique projets.”

C’est un peu l’idée que l’on tente par ailleurs de mettre en oeuvre au travers du Digital Wallonia Hub.

Le Conseil de l’Industrie s’installe

Le document élaboré par le Conseil de l’Industrie recommandait la mise en place d’un comité restreint qui “assure la bonne gouvernance et le suivi des mesures proposées”. Idée d’ores et déjà avalisée par le Cabinet Marcourt. Le Comité restreint se composera de 5 membres:

– Yves Prête, au nom de l’UWE, occupera les fonctions de président

– Bernard Delvaux (Sonaca) s’occupera de surveiller la mise en oeuvre des “conditions de réussite pour garantir un climat favorable à l’industrie”

– Pascal Lizin (GSK, président d’Essenscia Wallonie, fédération des industries chimiques et des sciences de la vie) est nommé responsable de l’axe Capital humain

– Pierre Mottet (IBA) sera, lui, en charge de l’axe Innovation (renforcement de la dynamique de spécialisation intelligente, telle que mise en place via les Pôles de Compétitivité)

– Luc Vansteenkiste (président du Jury des Pôles) s’occupera pour sa part de l’axe Chaîne de valeurs (renforcement de l’ancrage industriel wallon dans l’écosystème local et à l’international).

Voeu pieux ou bible agnostique?

Qu’adviendra-t-il de ces recommandations alors que l’on se retrouve en pleine crise gouvernementale?

Jean-Claude Marcourt: “Le rapport et la mise en place du conseil restreint sont le début de quelque chose qu’il faut désormais déployer, indépendamment de la composition gouvernementale.”

Il y aura bel et bien un suivi du document, assure Jean-Claude Marcourt, parce que le sujet est trop important pour être remisé, ne fut-ce qu’un temps, aux oubliettes. Le document et les recommandations qu’il contient fera donc l’objet d’un point inscrit à l’ordre du jour du conseil des ministres de cette semaine. Et une analyse sera entamée pour décider de “premières mesures concrètes” à prendre, en collaboration avec la Cellule d’Analyse Economique et Stratégique de la Sogepa (organisme public wallon spécialisé dans le redéploiement et l’accompagnement des entreprises).

“Le rapport et la mise en place du conseil restreint sont le début de quelque chose qu’il faut désormais déployer, indépendamment de la composition gouvernementale”, déclare encore Jean-Claude Marcourt. “Il serait inacceptable de ne pas se saisir l’opportunité qu’ils représentent.”

Du côté du Conseil de l’Industrie, on indique que “les recommandations qui ont été faites ne dépendent aucunement de la couleur du pouvoir politique en place”.

Yves Prête plaide en outre pour une résolution la plus rapide possible de la crise et pour la continuité. “Notre espoir est que le gouvernement actuel continue à travailler [en attendant le résultat des négociations] même s’il ne peut continuer dans les mêmes conditions qu’avant, et qu’il clôture les dossiers en cours. Il faut espérer que la crise sera la plus courte possible et que le nouveau gouvernement, quel qu’il soit, se saisisse des réels enjeux et de projets ambitieux pour hisser la Wallonie à un haut niveau en Europe.”

Pascal Lizin, membre du Conseil de l’Industrie en sa qualité de président de la fédération Essenscia, l’exprimait d’une manière plus directe: “La Wallonie n’a plus le temps d’attendre. Il est urgent d’intégrer les différentes dimensions, en ce compris le renforcement du capital humain, un domaine dans lequel un changement rapide et majeur est nécessaire.”

Prière de ne pas détricoter ce qui marche…

Côté continuité, on ne peut que relever l’une des 8 conditions de réussite listées par le Conseil de l’Industrie: “garantir une politique économique stable”. Petite phrase d’Yves Prête: “en Wallonie, nous avons eu la chance d’avoir un ministre qui reste en place longtemps, qui a été constant dans ses actions et qui a maintenu le cap. Il faut continuer comme cela…”

L’un des socles à préserver et à renforcer sera, aux yeux du Conseil, celui des Pôles de Compétitivité. “Il faut capitaliser sur ce qui a marché. Les Pôles de Compétitivité sont un outil efficace, qui fonctionne bien. Il faut en faire le “catalyseur de la politique industrielle wallonne mais en les intégrant mieux dans certains domaines.” Le Conseil prône à cet égard une plus grande implication dans la mise en oeuvre de divers aspects de la politique industrielle (recherche, formations,, investissements étrangers, financement, exportation…). Objectif: renforcer synergies et décloisonnements. Parmi les axes à améliorer: un développement plus volontariste des résultats de la valorisation des projets soutenus par la Région, une amplification de l’effet d’entraînement qui se concentre essentiellement sur les gros acteurs industriels afin que le développement d’écosystèmes profite davantage aux plus petites structures.

A lire par ailleurs cet autre article sur un mémorandum d’Agoria intitulé “8 priorités pour l’industrie technologique”. Un appel lancé à la veille de la remise du rapport du Conseil de l’Industrie dont Thierry Castagne, directeur général d’Agoria Wallonie, était d’ailleurs l’un des membres.