En attendant la 5G, un “régime d’exception” est-il possible pour des projets-pilote?

Article
Par · 14/11/2019

Le déploiement de la 5G continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. En particulier, l’agenda qu’adoptera ou non la Belgique et, plus encore, les différentes régions du pays. On connaît les réticences et exigences régulatoires de Bruxelles, celles quasi identiques de la Wallonie. Voir aussi en fin d’article, en guise de petit rappel, ce que disent – ou ne disent pas vraiment ! – le Plan Digital Wallonia et les Déclarations de Politique Régionale (Wallonie et Bruxelles).

“En face”, les acteurs économiques, l’industrie, les fédérations professionnelles montent régulièrement au créneau pour réclamer une politique plus volontariste – ou, simplement, plus claire. Parmi les dernières voix à se faire entendre, celle d’Agoria qui s’appuie sur une étude réalisée de concert avec Capgemini Invent. Une enquête qui relaie l’“inquiétude” de “nombreuses entreprises de production qui craignent que notre pays passe à côté des opportunités d’investissement dans la 5G”. D’autres pays, adjacents notamment, pourraient en effet doubler nos régions au poteau et attirer davantage des entreprises internationales qui sont en phase de réflexion pour implanter des filiales ou des unités de production et de services. 

Sachant que la situation ne se débloquera pas de si tôt, que les décisions politiques (notamment) prendront encore du temps et pourraient intervenir en ordre dispersé, Agoria plaide pour une solution intermédiaire – qui permette à chacun, en ce compris les plus “prudents” voire réticents, de lâcher peut-être un peu de lest sans perdre la face ou paraître rétropédaler sur leurs convictions.

De quoi s’agit-il? De créer des “zones modérément réglementées” dans les limites desquelles “les opérateurs télécoms, les entreprises et les institutions de connaissances puissent lancer à court terme et de manière accélérée des actions en matière de 5G.” 

Agenda espéré? Un démarrage rapide, si possible dès le début 2020, en attendant la mise aux enchères de la bande des 3,6 GHz. L’étude et la proposition d’Agoria ont été envoyées aux gouvernements régionaux… Et des demandes de rendez-vous ont été formulées à destination des différents ministres concernés (Economie, Emploi…). 

“Modérément réglementée”. C’est-à-dire?

Non, ce ne seront pas des “zones de non-droit” mais des périmètres où l’on serait moins “regardants” sur les conditions à remplir – permis de bâtir, conditions de licence, niveaux de radiation en assouplissant, pour ces derniers, les normes d’émission imaginées localement et qui sont plus sévères chez nous (voir encadré ci-contre) que dans d’autres pays qui s’alignent, eux, sur les recommandations de l’OMS. 

De quelles normes d’émission parle-t-on?

A Bruxelles, un assouplissement de la norme d’émission précédemment imposée est promise. Par le passé, la Région avait défendu sa norme d’exposition aux rayonnements des antennes émettrices. A savoir 0,096 W/m2 ou 6 Volts par mètre (6 V/m), pour la fréquence de référence des 900 MHz. Pour la 5G, suite à protocole d’accord passé avec les trois opérateurs à l’été 2018, la Région devrait revoir ses précédentes exigences. Un projet d’ordonnance datant d’octobre 2018 prévoit en effet de relever  le seuil à 14,5 V/m. Un premier pas, estime notamment Agoria, mais encore insuffisant. La fédération demande dès lors, à l’instar de l’IBPT, que Bruxelles s’aligne sur la norme internationale recommandée par l’Union européenne, à savoir 41,5 V/m (la recommandation internationale étant elle de 41,25 V/m).

En Wallonie, les normes d’émission sont dictées par le décret du 3 avril 2009 “relatif à la protection contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les rayonnements non ionisants générés par des antennes émettrices stationnaires”. Limite fixée? 3 V/m pour chaque antenne, indépendamment de la fréquence.

Or, la dernière Déclaration de Politique Régionale semble réaffirmer le respect de cette norme. Sans toutefois fermer la porte à des aménagements et/ou révisions. Voir notre chapitre “Au-delà des intentions” en fin d’article.

Des zones-labo et démo, en quelque sorte où, “pendant un certain temps” (le temps que le scénario définitif ne soit connu et exploitable), “les entreprises pourront se préparer à la révolution qu’induira inévitablement la 5G en termes de connectivité.”

Quelles pourraient être ces “zones modérément réglementées”? Dominique Demonté, directeur général d’Agoria Wallonie, évoque en priorité les parcs scientifiques. “Ils présentent l’avantage d’héberger des industriels, de grandes entreprises, pas mal de PME, mais aussi des acteurs de la recherche. Ils se caractérisent en outre par une importante concentration de travailleurs, ce qui implique des contraintes d’accessibilité. Ces parcs sont donc, en soi, de bons terreaux pour s’attaquer au problème de la mobilité partagée mais aussi pour envisager des scénarios de reconnexion avec les zones habitées avoisinantes.”

Autre type de zones modérément réglementée potentielle: les aéroports régionaux (Liège, Charleroi)… “Charleroi présentant en outre la particularité de regrouper sur une même zone l’aéroport et un parc scientifique…”.

 

Agoria: “Nous réitérons notre demande d’aligner les normes d’émission sur celles des pays voisins et plaide une nouvelle fois pour que la mise aux enchères ait lieu rapidement.”

 

Tester et démontrer

L’idée, explique Dominique Demonté, est de permettre aux entreprises et industriels de pouvoir tester, dès à présent, le déploiement de la 5G et des nouveaux services qu’elle permet. Des tests en termes opérationnels, d’impact pour les entreprises, d’effets sur les utilisateurs, usagers et clients.

Le but est non seulement de permettre à certains acteurs de se lancer mais aussi d’acquérir de l’expérience, si ce n’est une réputation.

L’étude “Time to connect Belgium with 5G” de Capgemini Invent peut être téléchargée à partir du site d’Agoria. 

Comme le souligne l’étude de Capgemini Invent, “la Belgique manque encore de cas d’usage à haute visibilité pouvant non seulement accentuer la prise de conscience et la connaissance que l’on a des potentiels 5G” mais aussi “permettre d’identifier des cas d’usage intéressant dans différents secteurs industriels.”

Un autre objectif, qui n’est en rien secondaire, est de “procurer aux politiques un meilleur éclairage sur les enjeux et potentiels, d’apporter ainsi la preuve du côté game changing qu’implique la 5G. Dans l’état actuel des choses, cette vision précise fait encore défaut aux décideurs…”

Agoria estime que grâce à l’étude réalisée avec Capgemini Invent, son appel du pied a davantage de chances d’être entendu parce que procurant aux décideurs politiques matière mieux documentée à réflexion. “L’étude procure des chiffres concrets, une meilleure vue des enjeux – notamment pour les PME. Cela nous permet de mieux quantifier la situation et de l’objectiver.”

L’obstacle de l’investissement

L’un des noeuds majeurs sera bien évidemment celui de l’investissement. Agoria, en la matière, plaide pour une approche en mode partenariat public-privé. “A la manière de la convention passée entre la Région (wallonne) et les opérateurs mobiles dans la foulée de l’abrogation de la Taxe Pylônes, on peut imaginer un mécanisme similaire”, raisonne Dominique Demonté.

 

Pouvoirs publics, opérateurs télécom, fournisseurs (solutions, équipements, applications), intégrateurs, intercommunales, milieux universitaires… Tous unis dans une émulation “écosystémique”?

 

“Un mécanisme d’investissement privé et public, impliquant éventuellement aussi les intercommunales. Après tout, elles siègent aux organes de gestion des parcs scientifiques… On peut également réfléchir à un moyen d’impliquer les universités, les entreprises. Et pourquoi pas se tourner aussi vers la BEI (Banque Européenne d’Investissement) qui est à la recherche de projets à financer, qui soient structurants pour les régions…

Pour ce genre de problématique, il faut adopter une approche écosystémique. La problématique est en effet complexe. Il est donc nécessaire de faire intervenir divers acteurs et pas seulement les entreprises.” 

L’étude épingle aussi une responsabilité et, pour l’instant, un manque de volontarisme de la part des opérateurs télécom. “Ils se concentrent actuellement sur leurs propres intérêts en voyant dans la 5G une décision d’investissement. […]

Les opérateurs télécom jouent un rôle important dans la mesure où ils disposent d’une connaissance approfondie des réseaux télécom et de la 5G en particulier. Ils devraient donc se montrer plus proactifs dans l’information et la sensibilisation de leurs clients professionnels à propos des potentiels de la 5G ainsi que sur ses impacts sur les individus, les processus, l’IT et les produits et services professionnels. Ce rôle volontariste améliorerait la connaissance qu’ont les entreprises de la 5G et contribuerait à encourager le développement de cas d’usages professionnels basés sur des stratégies de connectivité réalistes – tout en préservant une nécessaire cohérence avec leur agenda de transformation numérique.

[…] Le fait que ces valeurs ajoutées soient concrétisées par les opérateurs télécom ou par de nouveaux acteurs dépendra de l’aptitude des opérateurs télécom à se muer en partenaires de transformation et ce, en comprenant les besoins sectoriels, en transformant les besoins en solutions et en impulsant l’implémentation de solutions.” S’ils ne le font pas, d’autres se chargeront de “disrupter” le secteur téléom B2B à leur place…

Au-delà des intentions…

Côté wallon… Dès 2015, la première mouture du Plan Digital Wallonia réservait un chapitre au déploiement du très haut débit sur le territoire. Il y était déjà question de zones ou  de “publics cibles prioritaires par le biais d’une stratégie adaptée”. Parmi les zones ou bénéficiaires jugés prioritaires figuraient à la fois les parcs d’activités économiques (zonings), les EPN et les établissements d’enseignement.

Le texte du Plan ne précisait par contre pas la manière d’aménager ce “très haut” ou “ultra haut” débit – mais tous les regards se tournaient en priorité vers la fibre. 4G et 5G étaient mentionnés en tout et pour tout une seule fois dans le texte, et uniquement pour constater que la couverture mobile en haut débit était encore largement lacunaire dans de nombreuses zones grises ou blanches – ce qui était jugé “préjudiciable au développement de nouvelles opportunités de croissance pour nos entreprises et de services pour nos citoyens. Dans cette perspective, la disponibilité de connexions 3G, mais surtout 4G et demain 5G, s’impose pour tout le territoire wallon.”

Quatre ans plus tard, le Plan Digital Wallonia “2.0” (2019-2024) n’était pas vraiment plus disert ou précis. Citation puisée dans le chapitre Giga Région: “la connectivité du territoire constitue la fondation de toutes les initiatives de transformation numérique, tant pour les entreprises que pour le secteur public ou encore le citoyen.
Digital Wallonia doit poursuivre et approfondir la mise en oeuvre d’une politique transparente et ambitieuse d’aménagement numérique de tout le territoire wallon par la qualité de ses infrastructures fixes et mobiles.”
Et cela doit passer par… “un accord avec les opérateurs et dans le cadre du suivi de l’accord Tax on Pylons […] pour une couverture optimale des territoires ruraux.” En filigrane, la fibre, encore elle, et sans doute aussi le mobile mais sans que des précisions soient apportées…

Poursuivons notre petit tour des textes officiels pour nous arrêter – dernière étape connue – sur la Déclaration de Politique Régionale 2019-2024. Que dit-elle à propos de la 5G?
“La Wallonie doit se doter des technologies les plus modernes, les plus respectueuses de la santé et les plus performantes pour assurer son attrait économique et favoriser la création d’emplois durables dans des secteurs d’avenir. […] Le déploiement de la 5G ne peut toutefois se réaliser sans prendre les précautions qui s’imposent.
Les nouveaux déploiements technologiques en matière de transmission des données (5G et autres) se feront après évaluation sur le plan environnemental (dont impact sur la biodiversité et la faune), de la santé publique (en se basant notamment sur les études existantes qui analysent les incidences sur la santé des populations exposées), de l’efficacité économique, de la sécurité des données et de respect de la vie privée. La mise en oeuvre de la 5G respectera les conditions du décret du 3 avril 2009 relatif à la protection contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les rayonnements non ionisants générés par des antennes émettrices stationnaires.”
La Wallonie sera-t-elle “plus catholique que le Pape”, plus stricte que ce que préconise l’OMS, s’alignera-t-elle sur Bruxelles? Début de réponse de la DPR: “Un groupe d’experts désigné par le Gouvernement procédera à des évaluations régulières et examinera si les conditions du décret du 3 avril 2009 doivent être adaptées à terme.
La Wallonie défendra au niveau européen l’adoption d’une norme commune aux États membres relative à l’exposition aux ondes, qui soit compatible avec les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé et le respect du principe de précaution.”

Côté bruxellois… Dans la DPR 2019-2024, le gouvernement bruxellois confirme vouloir “œuvrer au déploiement de la 5G” mais “les nouveaux déploiements technologiques en matière de transmission des données (5G et autres) se feront dans le respect du principe de précaution et après évaluation sur le plan environnemental, de la santé publique, de l’efficacité économique, de la sécurité des données et de respect de la vie privée”.

Il y aura toutefois, comme on l’a vu ci-dessus, un assouplissement de la norme d’émission, qui sera amenée à 14,5 V/m (volts/mètre), contre 6 V/m antérieurement.