“Zones blanches” wallonnes: c’est bien gentil, M. De Croo, mais…

Hors-cadre
Par · 24/10/2016

Le “Plan Zones blanches” du ministre De Croo a attiré l’attention la semaine dernière. Mais en quoi cela apporte-t-il du neuf et de l’espoir aux communes wallonnes, telco-démunies, concernées? Les mesures, pour beaucoup, sont prévues dans le plan Digital Wallonia. Mais le fédéral, dit-on côté wallon, ne propose rien qui soit réellement de sa compétence. La Wallonie demande davantage de concertation.

Etonnant ! En milieu de semaine dernière, tout le monde semblait découvrir – comme une sorte de révélation tardive – que les zones blanches, ces zones mal ou à peine couvertes par un débit telco valable, se situent surtout en Wallonie.

Ce constat, on l’a pourtant fait depuis longtemps.

Mais voilà, une réunion avait été organisée par le Cabinet du Ministre Alexander De Croo afin d’annoncer un “plan d’action pour les communes mal desservies par les connexions télécoms”. Quelques mois plus tôt, l’IBPT avait identifié 39 communes qui souffrent d’un déficit en couverture 30 Mbps (moins de 60% de leur territoire couvert; au total, 230.000 foyers sont concernés). La couverture 4G y est en outre largement déficiente – que ce soit en termes de pourcentage géographique ou de puissance du signal.

Toutes ces communes se situent en territoire wallon.

Si les 39 communes répertoriées par l’IBPT se situent en Wallonie, cela ne veut par contre pas dire que le problème d’une couverture déficiente se limite au territoire wallon. Suite à la communication faite par Alexander De Croo, des voix se sont en effet élevées en Flandre, pour souligner qu’il y avait aussi des “zones blanches” en Flandre et qu’il faudrait donc sans doute réviser le bilan de l’IBPT. Le problème vient d’une appréciation insuffisamment précise du problème. Entre degré de couverture d’un territoire géographie et qualité du signal ou du débit, il y a en effet une nuance qui n’a pas encore été pleinement documentée…

Renouer le fil fédéral-Wallonie

La réunion au Cabinet De Croo était la conséquence de contacts établis en juin dernier entre le ministre fédéral au Numérique et son homologue wallon, Jean-Claude Marcourt. A l’époque les deux ministres s’étaient penchés sur la manière d’améliorer le taux de couverture, de trouver des pistes de synergie et de mettre en oeuvre des mesures relevant de leurs compétences respectives.

Un Plan en 4 idées-clé

Faciliter l’accès à l’infrastructure des gestionnaires de câbles et canalisations

Dresser la carte numérique de l’infrastructure passive

Utiliser les façades pour le déploiement des réseaux

Installer des conduits en mode “stand-by” en cas de travaux de réfection des routes

La réunion de la semaine dernière rassemblait le Ministre De Croo, des représentants du Cabinet Marcourt et des communes concernées. En termes de “plan Zones blanches”, ce sont surtout des pistes de propositions et des idées qui ont été formulées. En quoi sont-elles nouvelles, concrètes, adaptées?

A la Région, on salue certes le coup de projecteur mais on souligne aussi et surtout que les quelques idées émises (voir encadré ci-contre) sont pour la plupart déjà mises en pratique (dans le cadre de son plan Digital Wallonia) ou en passe de l’être et – surtout – sont des mesures et initiatives qui relèvent des seules compétences de la Région.

Rien de neuf par contre en termes d’action ou de proposition relevant des compétences du fédéral.

A boire et à manger…

Les réactions régionales, mesure par mesure?

Faciliter l’accès à l’infrastructure des gestionnaires de câbles et canalisations? “Cette mesure est déjà avalisée. Le décret Impétrants a été modifié afin de faciliter cet accès et de transposer la Directive européenne Tranchées en législation locale”.

Dresser la carte numérique de l’infrastructure passive? C’est en cours (notamment du côté de l’IBPT) “mais quid de l’infrastructure “active”, fibre optique”?

Utiliser les façades pour le déploiement des réseaux? “C’est une idée qui vient de nous. Le nouveau CoDT (code de développement territorial) autorise spécifiquement la pose en façade et en aérien. L’idée a été jugée plus qu’intéressante par le ministre De Croo parce qu’elle n’existe pas en Flandre mais pourrait y être utile…”

Installer des conduits en mode “stand-by” – autrement dit, des gaines vides – en cas de travaux de réfection des routes? “Certaines villes le font systématiquement mais de nos contacts avec les opérateurs, il en ressort que les choses ne sont pas aussi simples. Il faut tout d’abord procéder à un inventaire. Se poseront ensuite les problèmes de sa tenue à jour, de la gestion des conduites, du principe du “premier arrivé, premier servi” et de la rémunération qu’il exigera des autres…”

Quid de l’idée des groupements d’achat, dont il fut également question?

“C’est également quelque chose que nous avons amené sur la table”, déclare Sébastien Legat, conseiller au Cabinet Marcourt. “Mais encore faut-il déterminer le type de groupement d’achat qu’on envisage. Les habitants d’une même rue peuvent en effet se réunir pour demander ensemble une meilleure couverture auprès de leurs opérateurs. Cela leur permettrait d’être davantage pris en considération parce que l’opérateur détecterait alors un plus grand potentiel de clientèle.”

Par contre, le doute est plus grand en termes d’opportunité d’un groupement d’achat pour la pose de la fibre optique. “C’est une option qui avait été envisagée. Notamment avec Jean-Luc Crucke, député-bourgmestre de Frasnes-lez-Anvaing [Ndlr: l’une des communes en mal de couverture. La carence venait surtout du VDSL, la couverture 4G, par contre, étant par contre correcte].

La topologie de la commune, avec ses villages dispersés, pouvait faire école.  Mais on s’est rapidement rendu compte que la pose de la fibre représente rapidement un coût très élevé qu’il est difficile à une commune d’amortir.” D’où la solution qu’a finalement choisie la commune, en l’occurrence le déploiement d’une infrastructure hybride, à l’aide de la solution de Tessares (xDSL/4G), adoptée par Proximus. Précisons qu’on en est encore, à Frasnes-lez-Anvaing dans une phase-pilote devant permettre “un retour d’expérience et l’identification des clients qui peuvent le mieux tirer parti de cette solution hybride”, nous déclarait encore récemment Denis Périquet, patron de Tessares.

“La technique d’agrégation xDSL/mobile peut faire office de solution complémentaire, là où un déploiement classique s’avère le plus compliqué. Par exemple lorsque plusieurs centaines de mètres séparent les habitations et où la fibre n’est pas une solution.”

Aller plus loin

La réunion de la semaine dernière et le “plan Zones blanches” formulé sont donc un premier pas, positif, “mais sans rien de neuf” en termes d’initiative relevant du fédéral. “Nous aurions voulu qu’on aille plus loin. Il faudrait désormais qu’Alexander De Croo, en tant que ministre de tutelle des opérateurs télécoms, viennent avec des propositions qui relèvent de ses compétences, du niveau fédéral”, dit-on au Cabinet de Jean-Claude Marcourt… “plutôt que de venir avec des solutions qui relèvent de la Région et qui ont déjà été entamées.”

Jean-Claude Marcourt a certes écrit dans un tweet “Heureux que #DeCroo s empare enfin de sa responsabilité en terme de couverture du pays”, mais la Région reste un peu sur sa faim. Et renvoie la balle – pour la suite de la partie – au fédéral.

Il faudrait que le ministre fédéral explique comment il entend atteindre les objectifs qu’il s’est fixé dans le cadre de son projet Digital Belgium – 30 Mbps minimum pour tous les ménages d’ici 2020 et des connexions à 1 Gbps pour 50% des ménages. Et qu’il n’oublie pas les zones moins “porteuses” situées en Wallonie…

“En Wallonie, nous avons pris les initiatives qui relèvent de notre niveau. C’est au tour du fédéral d’expliquer les moyens de ses ambitions.”

Le ministre de tutelle des opérateurs formulera-t-il des “mesures plus contraignantes ou incitatives” qui leur soient destinées? Les derniers échanges entre Alexander De Croo et Jean-Claude Marcourt ne semblent pas l’indiquer. Le ministre wallon avait demandé que le raisonnement de la couverture haut débit se fasse davantage en termes de territoire que de (densité de) population. Ce à quoi Alexander De Croo a rétorqué que seule la Wallonie étant demandeuse, elle devait s’attendre à en payer le prix (tout est toujours affaire de marchandage et e compensations…) “parce que les autres ne seront pas prêts à contribuer”…

La Wallonie, toutefois, n’est pas la seule à demander ou à espérer que le ministre fédéral pèse un peu plus sur les opérateurs. Des voix s’élèvent également en Flandre pour le réclamer. Ainsi Roel Deseyn, député CD&V, qui réagissait à l’annonce du Plan Zones blanches en demandant “davantage d’ambition et des obligations de couverture plus élevées pour les opérateurs télécoms.”

Au-delà, les responsables wallons font passer un autre message au fédéral: “mettez enfin sur pied un organe de concertation impliquant toutes les Régions et Communautés et le fédéral afin de voir ensemble quelles mesures coordonnées peuvent être mises en oeuvre et de partager les bonnes pratiques.“

Mots importants? Concertation. Ensemble. Coordination.

A quand une réelle concertation pluri-compétences sur la manière de concrétiser les ambitions du projet Digital Belgium?

“A ce jour, hormis les comités de concertation qui se penchent surtout sur des points techniques, il n’y a pas encore eu de réunion d’alignement, de concertation sur les enjeux du numérique et la couverture du territoire. Dans la perspective des ambitions 2020/Digital Belgium déclarées du fédéral. Tout, jusqu’à présent, s’est toujours passé en bilatéral.” Il est temps de passer à la dimension supérieure.

Comment financer?

Le noeud du problème réside évidemment dans le financement de la couverture télécoms. Et la volonté des différentes parties prenantes à consentir ce financement.

Côté opérateurs, le discours – logique, d’ailleurs, de leur point de vue – se base d’abord sur un raisonnement de rentabilité. Or, l’éparpillement géographique wallon et la moindre densité de population dans certaines zones ne garantit pas la rentabilité des investissements nécessaires. Relire à ce sujet l’article consacré à l’investissement télécoms en zones rurales.

“En attente de cartographie plus détaillées et complètes, en ce compris en termes de puissance du signal, pour pouvoir orienter les choix d’investissement.”

Côté investissement, le fédéral, par la bouche d’Alexander De Croo, ne semble guère s’engager ou émettre de proposition. Si ce n’est d’évoquer comme “option crédible”, la possibilité d’activer des fonds… européens (Plan Juncker en matière d’investissements stratégiques). Ou de ramener la fameuse Taxe Pylônes sur le tapis. Le Cabinet d’Alexander De Croo a en effet répété que “sa suppression améliorerait aussi la couverture mobile”.

On sait le sujet chaud, délicat et sensible du côté de la Région. Qu’en dit-elle? “Les contacts et échanges avec les opérateurs mobiles se poursuivent. Les choses évoluent dans le bon sens”. Un message répété depuis de longs mois.

Le bout du tunnel serait malgré tout en vue. D’ici la fin de l’année. On retient son souffle…