Culture et numérique: recommandations pour un “Plan” en Fédération Wallonie-Bruxelles

Hors-cadre
Par · 03/10/2016

Y aura-t-il, dans les mois à venir, un “plan culturel numérique”? Rien ne l’indique encore, du moins pour ce qui est de la forme. Peut-être s’agira-t-il davantage de “mesures”, d’“initiatives”, de “chapitres”…

Quoi qu’il en soit, les “coupoles” de réflexion (voir encadré ci-dessous) qui se sont penchées sur l’avenir de la culture en Fédération Wallonie-Bruxelles et, parmi elles, une “coupole numérique”, ont remis leurs conclusions. Avec présentation officielle des grandes lignes, mercredi dernier, en présence d’Alda Greoli, ministre chargée de la culture (et de l’enfance).

L’initiative en avait été prise, en collaboration notamment avec l’Observatoire des Politiques culturelles, alor que Joëlle Milquet était encore ministre de la Culture en Fédé: une vaste consultation des acteurs et opérateurs culturels et artistiques (nom de baptême: “Bouger les lignes”) visant à “adapter la politique culturelle à l’évolution de la société et construire la nouvelle offre culturelle du 21è siècle”.

Six “coupoles” thématiques, constituées chacune d’une dizaine de représentants des secteurs artistiques, culturels et créatifs, ont planché sur des recommandations entre mars 2015 et septembre 2016. Parmi les 6 coupoles, une était dédiée à un “Plan culturel numérique”. Avec pour mission de “présenter un plan culturel numérique intégré dans les initiatives des autres niveaux de pouvoir.”

Ce groupe de travail était co-présidé par Marie du Chastel, coordinatrice du KIKK Festival et chef de projet au hub créatif Trakk de Namur, Pascal Keiser, directeur de TechnocITé (Mons) et Jacques Folon, formateur en transformation numérique à l’ICHEC. Une vingtaine de personnes ont participé à la “coupole”, venues du monde de la recherche appliquée, des arts numériques, des technologies, des médias, de la programmation…

L’un des constats – et dès lors critiques – qu’a posé la coupole “Plan culturel numérique” est celui de l’émiettement, du manque de coordination, voire de cohérence, entre les différentes initiatives et les acteurs du secteur culturel francophone. On retrouve ce constat de fragmentation à la fois dans le champ de la formation au numérique, du soutien octroyé à la R&D, de financement de projets “qui sont refusés par la Commission des arts numériques parce que ne correspondant pas aux critères actuels. Un projet à orientation numérique touchant par exemple aux arts de la scène sera refusé sous prétexte qu’il relève de la catégorie Arts de la scène”, souligne Marie du Chastel.

Au chapitre formation, emploi et R&D, l’une des priorités sur laquelle tout “plan” numérique futur devrait se concentrer est celui de la simplification administrative, souligne Pascal Keiser, co-président de cette coupole numérique, et par ailleurs directeur de TechnocITé (Mons).

“Les acteurs de terrain pointent clairement ce besoin d’utiliser le numérique pour simplifier les démarches. Il y a trop de formulaires à remplir, trop d’interlocuteurs à qui s’adresser. Les acteurs de terrain ont besoin d’outils efficaces, notamment en matière de reporting administratif.”

Autre priorité qui a émergé: développer de nouveaux outils et plates-formes permettant un échange direct, “en transversal, en peer-to-peer” entre acteurs du culturel, “afin de favoriser l’intelligence collective [en ce compris dans des matières liées au numérique] via mise en réseau des ressources et compétences.” Ces “plates-formes collaboratives devraient associer l’artistique, l’économique, l’éducatif et le scientifique.”

En matière de R&D, le constat fut souligné d’un “manque de soutien et de structuration. Certes, quelques initiatives de R&D existent mais elles sont essentiellement le fait de centres de recherche. Or, la révolution numérique est quelque chose de transversal. Il est donc nécessaire de faire converger toutes les initiatives.”

Petit florilège de recommandations

Sans ordre particulier, voici quelques demandes et recommandations formulées par la coupole Plan numérique.

Le numérique bouscule les schémas classiques de diffusion de la culture. Il faudrait dès lors “imaginer et supporter de nouveaux canaux et mieux supporter les opérateurs existants, tout en suscitant l’arrivée de nouveaux opérateurs dans le registre production.”

Alda Greoli, envoyant un message aux groupes de travail qui ont participé à la consultation “Bouger les lignes”: “nous ne ferons pas l’énorme bêtise de ne pas tenir compte de votre avis.”

Les réseaux sociaux sont l’un de ces canaux de diffusion ou médiation. “Mais ils sont encore mal connus et maîtrisés par les acteurs culturels parce qu’ils impliquent un concept de communauté.” Une formation ou évangélisation s’avère donc nécessaire.

Par ailleurs, face au manque de moyens et à la rareté des compétences spécialisées, l’idée a été formulée de favoriser la mutualisation des ressources. Par exemple, la création d’un module de jeu vidéo, “instrument de médiation culturelle”, à destination des enfants, et que tous les acteurs de la Communauté française pourraient utiliser collégialement. Idem en termes d’accès à une équipe d’experts itinérante.

L’un des gros points noirs mis en exergue concerne la politique et la stratégie d’archivage numérique des oeuvres. Par manque de moyens mais aussi de décret, le dossier a été remisé dans les tiroirs et y végète désespérément. “Il y a là un risque d’obsolescence et d’incompatibilité technologique”, souligne Marie du Chastel. “Il faudrait à tout le moins diffuser les normes applicables vers tous les acteurs. Il faut aussi mettre à jour les outils de stockage. Sans quoi certaines oeuvres risquent d’être irrémédiablement perdues.”

Un signal d’alarme qu’a de toute évidence entendu Alda Greoli. “Il y a un évident enjeu en termes de conservation et de transmission de la culture. De nombreuses oeuvres risquent de ne plus pouvoir être vues parce que leur transmission n’a pas été assurée, pour cause de numérisation qui ne s’est pas faite à temps. C’est là un point sur lequel j’ai envie de travailler, en ce compris dans sa dimension recherche, qui est une compétence du ressort du ministre Jean-Claude Marcourt. Je sais qu’il est lui aussi en faveur d’une action dans ce domaine. Il y a donc quelques chances que nous revenions vers vous, sur ce sujet, d’ici quelque temps…”

Alors Plan ou pas “plan”?

Les co-pilotes de la coupole “culturel numérique” ne recommandent pas spécialement un “Plan”, au sens de canevas “global, monolithique, uniforme, parce que le numérique est quelque chose de systémique mais aussi parce qu’il implique des différences de facettes selon les acteurs et les axes culturels.”

Pascal Keiser et Marie du Chastel: “Le numérique n’est pas une “niche”, une nouvelle catégorie. C’est une nouvelle approche , en transversal Il faut dès lors repenser la culture et les types d’aide. Ne soyons plus schizophrène, en opposant numérique et non numérique.”

Les deux co-présidents relaient dès lors davantage la demande d’une “série d’initiatives au profit des arts du vivant, de la mutation du livre, etc.”

Sans préjuger de ce que décideront ou non la ministre Alda Greoli et le gouvernement de la Fédé, la question est de savoir dans quelle mesure le plan ou les initiatives pourraient ou devraient s’imbriquer dans d’autres Plans à orientation numérique dévoilés tant au niveau fédéral que régional. La question en a été posée, mercredi dernier, lors de la présentation publique des conclusions des coupoles.

Réponse de Marie du Chastel: “Il devrait en effet y avoir une certaine imbrication. La consultation a notamment permis d’identifier certaines problématiques. En matière de conservation des oeuvres d’art, par exemple, il y a une porosité évidente entre numérique et R&D.

Une imbrication est souhaitable avec les Plans numériques fédéral et régional [wallon]. Pour deux raisons. D’une part, les importantes lacunes en matière de R&D. Les artistes ont besoin de pouvoir collaborer avec les chercheurs, scientifiques et académiques, de parler avec les responsables de doctorats et post-doctorats universitaires.

D’autre part, on note un manque de connaissances au niveau de l’enseignement. Les acteurs de l’art numérique et médiatique devraient pouvoir proposer une meilleure formation à destination des enseignants.”

Pascal Keiser: “Les jeunes générations sont rarement impliquées dans la politique culturelle. Or, dans le domaine du numérique, nous avons besoin de les impliquer.”

Qu’on baptise les futures décisions de plan ou d’un autre vocable, une demande forte s’exprime pour un cadre global, un canevas le plus structurant possible. Ainsi peut-on lire, dans le document de synthèse intermédiaire, rédigé en juin: “à l’instar du Plan Marshall, ce plan s’appuiera sur le développement de pôles de création numérique dynamiques en lien avec les initiatives positives des Régions (Wallimage, Pôle Liège, Numédiart, mediadistrict.brussels) et avec les politiques audiovisuelles du Centre du Cinéma et de l’audiovisuel dans le cadre d’une coordination nouvelle. Les créateurs doivent être soutenus pour exceller en créations numériques liées notamment aux jeux vidéo, aux dessins animés, aux projections, musiques et écritures numériques.”

Le document reprenant les conclusions de la coupole “Plan culturel numérique” peut être tééchargé, via ce lien, au départ du site Tracer nos politiques culturelles.

On y trouve, classées par thème, les recommandations touchant à la formation, à l’emploi, à la R&D, à la création et production, à la promotion, à la diffusion et médiation, et à la conservation du patrimoine culturel.