Benjamin Böhle-Roitelet (Ekito), 2è partie: “être vertueux pour éviter de mettre les start-ups inutilement sous perfusion”

Hors-cadre
Par · 15/09/2016

Tout au long de l’exposé qu’il a récemment fait à l’occasion de l’Université d’été de Technicité à Mons, Benjamin Böhle-Roitelet, fondateur des accélérateurs de start-ups Ekito et Grand Builder (Toulouse) a égrené une série de conseils, mises en garde et diagnostics que la réalité de l’accompagnement des start-ups. Des constats qui franchissent sans peine les frontières…

 

Une start-up, ce n’est pas… une idée portée par deux personnes. “C’est une idée, de la technologie, de la propriété intellectuelle mais surtout une idée qui soit exécutable. Qui délivre rapidement un produit ou un service nouveau, disruptant éventuellement un marché, avec des clients qui sont prêts à payer, et qui soit scalable.”

 

“Une idée qui consiste en un produit ou un service pour lequel les gens ne sont pas encore habitués à payer marchera moins bien qu’une autre qui vise un produit ou un service devant renouveler quelque chose pour lequel les gens ne sont pas choqués de déjà devoir payer. Amener les gens à payer pour quelque chose qui est jusqu’ici gratuit demandera d’énormes moyens et ne sera pas rentable pour la start-up parce qu’il faudra intégrer cela dans le coût du service.”

 

Benjamin Böhler-Roitelet: “Même si on évolue dans le contexte de l’économie collaborative, ne jamais perdre de vue qu’il y a en coulisses des milliards de dollars qui sont investis dans les projets et que les investisseurs veulent en tirer profit.”

“Ne soyez pas un trop bon étudiant. Oubliez beaucoup de choses que vous avez apprises à l’école. A l’école, on n’apprend pas (ou pas encore) à combiner technologie, branding, modèle économique…”

 

La fameuse “zone de confort” qu’un jeune porteur de projet doit apprendre, accepter de quitter.

“L’une des erreurs fréquentes que commet un ingénieur ou un profil purement technologique, lorsque son produit ne marche pas, c’est d’y ajouter de nouvelles fonctions au lieu de chercher des moyens nouveaux de le vendre. Il s’y refuse parce qu’il préfère rester dans sa zone de confort plutôt que de se remettre en question et de chercher la solution ailleurs, à apprendre quelque chose qu’il ne connaît pas.”

 

“Préférez les clients aux utilisateurs.”

La différence? Les premiers paient, les seconds annoncent – éventuellement – être tentés…

“L’acquisition d’utilisateurs relève du principe de communauté à construire et à monétiser. Privilégier une telle approche est la réaction d’un porteur de projet qui a peur de sortir de sa zone de confort. Ne miser que sur des utilisateurs dans une zone géographique déterminée n’est pas viable. Rien n’indique que l’utilisateur qui se dit “prêt” à payer le fera réellement…”

 

“Deux choses à garder à l’esprit. Un: il est toujours possible de monétiser et de réaliser un chiffre d’affaires plus tôt que prévu. Deux: on lèvera toujours de l’argent plus tard qu’on ne le pense.”

 

Relire la première partie de cet article où Benjamin Böhle-Roitelet explique comment et pourquoi son accélérateur (Ekito) s’écarte du canevas traditionnel d’un accélérateur à l’américaine.

 

“Ne jamais oublier que, même si on évolue dans le contexte de l’économie collaborative, il y a en coulisses des milliards de dollars qui sont investis dans les projets et que les investisseurs veulent en tirer profit.”

 

“Il faut se placer dans une réflexion d’économie durable. Et cela passe nécessairement par la quête de clients qui sont prêts à payer [pour le produit ou le service]. Il ne faut s’inscrire dans une logique reposant uniquement sur des levées de fonds, en continu. Cela peut en effet durer très longtemps… jusqu’au moment où il n’y a plus d’argent à aller chercher. Il est donc impératif de travailler, en parallèle, sur la monétisation.”

Gare donc aussi aux financements (notamment apportés par les pouvoirs publics) qui ne servent qu’à garder certains projets sous perfusion, alors que l’on sait – ou que l’on a de fortes raisons de croire – qu’ils n’aboutiront jamais…

Ne nous laissons pas impressionner

“Il y a clairement une place, un rôle à jouer pour l’Europe [et les projets des starters européens]. Parce que nous avons une autre manière de voir les choses.

Certes il y a Uber mais il y a aussi BlaBlaCar. Il y a Google mais aussi Qwant [projet de moteur de recherche éthique européen]. C’est la preuve qu’il est possible d’attaquer le premier arrivé si on travaille sur la marque, la qualité, le positionnement.

Ce que le premier arrivé montre en fait, c’est qu’il y a un marché. face à un Netflix, il n’y a peut-être qu’une part de marché de 5% à prendre sur une niche mais cela permet d’offrir des points de vue différents au client. Construire des activités, notamment dans le domaine culturel, avec une vision européenne a du sens. Les gens en ont besoin et sont, seront, demandeurs.”

“On ‘casse’ beaucoup de jeunes qui voulaient devenir entrepreneurs en raison d’un mauvais encadrement.”

 

Encourager la naissance d’un maximum de start-ups, viser le volume [et ce peut être le fait aussi bien de certains accélérateurs privés que de responsables publics], ne pas analyser la pertinence par des métriques… Autant de pièges et mauvais réflexes. “Il faut être vertueux dans la démarche, être plus sélectif. Avoir sans doute moins de start-ups mais qui en inspireront d’autres.”

 

Si 9 start-ups sur 10 sont vouées à l’échec (!), le taux de succès moyen affiché par les accélérateurs européens est de 60%. Métrique utilisée: la start-up lève des fonds après être passée par l’accélérateur. “Mais cela ne garantit pas pour autant qu’elle ira jusqu’au bout et sera pérenne.”

Toutefois, passer par un incubateur, a pour effet de “faciliter les levées de fonds suivantes parce que les investisseurs partent du principe que s’il y a déjà du seed money, le projet doit avoir du bon…”

Problème: “à aucun moment dans cet enchaînement, il n’y a réellement de mesure (au sens de métrique).” L’une des choses à améliorer, aux yeux de Benjamin Böhle-Roitelet, est de faire en sort que le premier financement soit réellement une validation de paramètres objectifs, l’occasion de déterminer si on peut aller plus loin ou non. Et il faut, à chaque étape, une remontée d’informations objectives” [objectives et significatives – plus qu’un simple business plan ou que les nouveaux codes développés…]

 

Attention aux profiteurs et exploiteurs. Beaucoup de gens surfent sur le phénomène start-ups pour se faire du fric, beaucoup de fric… “Beaucoup essaient de prendre l’argent sur de mauvais sujets. C’est autant d’argent qui ne sera pas disponible pour de bons projets.”

Exemple d’abus? “Les conseils en propriété intellectuelle dans le domaine du logiciel. Cela ne sert pas à grand-chose. On dépense ainsi beaucoup d’argent qu’une start-up pourrait utiliser pour trouver et attirer des clients…”

Croiser les expertises

Les accélérateurs toulousains Ekito et Grand Builder ne se contentent pas d’accompagner et de faire mûrir des start-ups. Ils interviennent également sur des projets pour de grands groupes industriels, ceux en tout cas qui veulent tenter l’intrapreneuriat, insuffler une dynamique de type start-up à leurs propres équipes.

Cette activité, tout comme l’axe événementiel, permet en outre à Ekito de trouver un équilibre financier. Chose non dédaignable…

Cette double action d’accélérateur pour jeunes pousses et grands groupes se traduit, chez Ekito, par l’expression “les rois et les pirates”. Objectif: faire se croiser les (in)expériences, entre grands groupes et start-ups, tester, voire implanter au coeur des premiers des pratiques imaginées par les secondes. Et – vice versa – faire bénéficier les jeunes pousses des acquis de leurs aînées.

Ainsi peut-on lire sur le site d’Ekito: “Nombre de technologies que nous avons pu conseiller à des rois [lisez: les grands groupes, leaders industriels, pour lesquels travaille Ekito] avaient précédemment été implémentées chez des pirates [start-ups]. Non que nous fassions de ces derniers un champ d’expérimentations, mais n’ayant pas à gérer un patrimoine, les startups sont naturellement plus réactives et propices aux dernières innovations. A l’inverse, nos expériences auprès des rois sont souvent précieuses aux pirates lorsqu’ils grandissent, qu’ils ont besoin de se structurer davantage, de recruter, d’industrialiser des processus… Car les pirates ont vocation à devenir des rois.”

Ekito a par exemple travaillé pour ebay, BlaBlacar, Qwant, Kaazing, scoop.it, pour l’OCDE et divers ministères français.