Industrie 4.0: affaire de mentalité et de compétences

Hors-cadre
Par · 07/09/2016

Dans le cadre de la présidence wallonne de la Grande-Région (Lorraine, Grand-Duché de Luxembourg, Sarre, Rhénanie-Palatinat, Région wallonne), l’AWEX avait récemment organisé, en collaboration avec le Pôle de compétitivité Mecatech et l’Infopole Cluster TIC, un séminaire consacré à l’“industrie 4.0” – autrement dit, la manière dont les divers secteurs industriels peuvent mettre en oeuvre, notamment, des techniques de collaboration trans-métier, d’informatisation et numérisation des processus, en vue de s’optimiser et de renforcer leur compétitivité (voir dans l’encadré, en fin de texte, les différents “leviers” de l’industrie 4.0).

L’occasion pour plusieurs industriels et entrepreneurs de venir exposer leurs réalisations, projets ou encore leur vision des potentiels d’avenir pour l’industrie wallonne.

Fertilisation croisée

L’innovation et, surtout, sa concrétisation sur le terrain, vient souvent de rencontres qu’on dit “improbables” – entre individus, entreprises ou secteurs qui, a priori, n’ont pas l’habitude ou de raison apparente de se rencontrer et d’échanger de bonnes idées et pratiques. Et pourtant…

Voir en encadré ci-dessous, la place que le Pôle Mecatech réserve au numérique dans sa stratégie.

Pour illustrer le potentiel de progrès que recèle la collaboration trans-secteurs en matière d’innovation industrielle, Jacques Germay, président du Pôle de compétitivité Mecatech, évoquait l’exploitation qui a été faite des technologies mises au point dans le domaine des téléscopes géants destinés à l’observation spatiale dans le monde de la santé (nouvelle génération de lentilles oculaires) ou pour le traitement du cancer. Ou quand la R&D d’Amos et des Ateliers de la Meuse permettent à PhysIOL et à IBA de marquer, eux-mêmes, des points dans leur différenciation technologique.

Frédéric Jourdain (ThingsPlay) évoquait la manière dont l’un des clients de la jeune pousse (Hexagone Robotics, fabricant français de robots nettoyeurs de piscines) exploite des jeux de données (techniques, historiques et météorologiques, coût de l’énergie) pour optimiser les périodes de maintenance des robots, en les planifiant à un moment où le coût de l’énergie est au plus bas et… pour caler la période de production (en fabrication additive) de pièces détachées nécessaires à des réparations.

Bel exemple de nouveau service ou mode opératoire qui rend la gestion d’une entreprise plus efficace et peut améliorer sa différenciation concurrentielle.

Défis et opportunités

Quelques mastodontes de l’impression 3D au Sirris, à Liège…

Dans le domaine de la fabrication additive, les prochains défis à relever seront d’ordre divers, estime Grégory Nolens, fondateur de Cerhum, start-up liégeoise spécialisée en fabrication additive d’implants (v. l’article que nous lui avons consacré). Il faudra selon lui accentuer la flexibilité des processus de production afin de combiner davantage de technologies et de types de matériaux. La précision de dépôt devra aussi être améliorée, affinée. En effet, le dépôt des couches successives de matériaux pose encore parfois des problèmes. En la matière, des outils de simulation devront être imaginés pour simuler les processus en amont mais aussi pour les observer et les corriger, le cas échéant, en temps réel.

Le numérique, nouvelle priorité du Pôle Mecatech

La stratégie et les activités du Pôle de compétitivité Mecatech seront placées, ces trois prochaines années, sous le signe du numérique. A trois niveaux:

  • politique visant à favoriser l’intégration du numérique dans les produits développés et commercialisés par les membres du Pôle (tous métiers confondus: maintenance, automobile, dispositifs médicaux…)
  • numérisation des processus industriels, en vue d’améliorer la productivité et la compétitivité
  • développement de nouvelles compétences permettant de maîtriser et d’utiliser les nouvelles technologies, dans le contexte de l’apparition de nouveaux métiers et profils: automaticiens, spécialistes high computingbig data, concepteurs de composants pour équipements et objets connectés…

Ce processus de “numérisation du tissu industriel” passera par un regain de coopération entre PME et ténors. “Pas de big bang pour les PME”, soulignait Jacques Germay, président du Pôle. “Elles n’en ont pas les moyens. Mais plutôt une progression incrémentale des processus industriels, avec transfert de technologies et collaboration avec les grands acteurs.” Des programmes de formation et des groupes de travail thématiques seront par ailleurs organisés.  [  Retour au texte  ]

Autre défi : la “logistique intelligente” afin de respecter les contraintes légales et autres (apposition de traceurs, de tags, traçage RFID…), quel que soit le type de fabrication concerné (petites, moyennes ou grandes séries).

La fabrication additive ouvre la voie à d’immenses potentiels mais aussi à l’exploitation d’autres technologies numériques et processus nouveaux. Grégory Nolens en citait trois:

le recours à la modélisation mathématique pour prédire l’interaction entre tissu humain et implant; cela permet de personnaliser le design de l’implant

– la traçabilité, avec marquage automatique de chaque implant, afin de garantir l’efficacité logistique

– la fabrication directe: on pousse la personnalisation de la production 3D des implants jusqu’à les ajuster en temps réel. Pour ce faire, une connexion vidéo est établie entre le lieu où se situe l’imprimante 3D et le chirurgien en salle d’opération, éventuellement même sur son smartphone. Sur base du modèle 3D de la partie du corps réceptrice et de l’implant, “chirurgien et ingénieur peuvent intervenir en temps réel sur le design de l’implant et l’adapter en temps réel”, souligne Grégory Nolens, fondateur de Cerhum.

Jean Martin (Sapristic, ancien patron de BSB) pointait pour sa part quelques défis de l’Internet des Objets. A commencer par la sécurité: “on assistera sans aucun doute, à l’avenir, à quelques piratages monstrueux”. Avec des conséquences insoupçonnables. Petit exemple d’“accident” digne d’un scénario hitchcockien où les voitures autonomes auraient accaparé le rôle des célèbres oiseaux noirs.

Le scénario? Détournement d’une voiture, pas forcément autonome [des piratages ont d’ores et déjà plusieurs fois documentés], qui serait utilisée pour commettre un attentat ou pour tuer quelqu’un. “Il est tellement plus facile de détourner ainsi une voiture, en prenant le contrôle de son électronique, que de mettre la main sur un revolver…”

Dans un registre plus pragmatique, Jean Martin évoquait l’évolution, voire le chamboulement, des modèles économiques: pay per use, tarification à l’usage, gratuité totale de l’équipement (le fournisseur se rémunérant sur le service presté, quelle qu’en soit la nature)…

Philippe Mack (Pepite): “A condition de marier judicieusement maintenance et performance, la maintenance préventive ne doit plus être vu comme un centre de coût mais plutôt comme un centre d’opportunités. La collecte systématique et l’analyse sophistiquée des données autorisent désormais la mise en oeuvre de la maintenance prédictive.”

En vrac, citons encore quelques autres défis, potentiels et promesses de l’“industrie 4.0”, tels qu’évoqués lors du séminaire de l’AWEX:

  • l’évolution vers les “robots collaboratifs”, qui s’adaptent aux opérateurs humains et à ses contraintes, comportements, préférences, degré de compétences…
  • la “personnalisation de masse”, avec une fabrication de produits tous différents des voisins
  • le paramétrage direct, temps réel, des équipements
  • la maîtrise des compétences et des connaissances – à l’heure des objets “intelligents”, de la collecte constante de données qui sont expédiées et traitées dans le cloud, l’entreprise n’a plus le contrôle (exclusif) de ces données. C’est un serveur lointain, un obscur algorithme, les résultats de l’analyse du big data qui décident de l’optimisation d’une machine, de la planification de la production. Quid dans ces conditions des relations et du rapport de forces entre constructeurs, prestataires de services, sous-traitants et clients/utilisateurs finaux ?
  • la nécessité d’une réflexion pertinente sur le concept d’économie circulaire: “l’industrie 4.0 favorisera un regain de proximité, une interaction plus étroite entre acteurs industriels locaux. Parce que les stocks, notamment, se trouveront à 5 km et non plus à 5.000…”
  • la nécessité du “changement perpétuel”: moins que jamais, les industriels de cette ère de l’économie circulaire ne pourront plus se reposer sur leurs lauriers ou se contenter des acquis; “ils doivent prendre conscience que le changement adopte un rythme en accélération constante selon des cycles de 2 ou 3 ans”, déclarait par exemple Jean Martin. “Cette accélération du changement a des conséquences en termes de capitalisation des efforts R&D ainsi que sur l’adaptation des équipes et de leurs compétences”

C’est désormais un serveur lointain, un obscur algorithme, les résultats de l’analyse du big data qui décident de l’optimisation d’une machine, de la planification de la production. Quid dans ces conditions des relations et du rapport de forces entre constructeurs, prestataires de services, sous-traitants et clients/utilisateurs finaux ?

  • le “décrochage” potentiel du législateur qui ne parvient pas à suivre le rythme de la rupture technologique ou des modèles – pensez non seulement à l’“effet Uber” mais aussi aux changements qu’induisent les smart grids et, avec eux, le concept de tarification dynamique de l’énergie. Le soutien et l’exploitation que font les entreprises du numérique n’est pas en cause. Mais il faut aussi penser aux moyens nécessaires pour que la législation soit, elle aussi, à l’avant-garde afin que les nouveaux produits puissent être testés chez nous et de ne pas devoir exporter cette tâche, déclarait en substance Jean Martin. Avec les pertes d’expertise, de pouvoir concurrentiel, de puissance à l’exportation que cela peut impliquer

Jean-Claude Noben (Sirris): “Installer des capteurs est facile. Ce qui importe surtout, c’est de traiter les données. Pour ce faire, il est impératif que toutes les machines soient connectées et parlent entre elles. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra réellement analyser les données et éviter par exemple des pannes.”

  • la nécessité d’embarquer tout le monde dans l’aventure et ne pas laisser les PME abandonnées sur le quai. A cet égard, Benoît Hucq, directeur de l’Agence du Numérique, mettait l’accent sur l’importance de campagnes de sensibilisation et de la mise à disposition d’”outils” (diagnostic de maturité, acquisition de compétences 4.0…). “L’aide doit se faire par de la consultance sur projets axés ou orientés industrie 4.0, par la mise en valeur des bonnes pratiques, l’apport de témoignages pour la diffusion des usages.”
Les leviers de l’industrie 4.0

La transformation de l’industrie vise à optimiser les coûts, les processus, la compétitivité et la différenciation. Les “leviers”?

  • pilotage continu de l’approvisionnement
  • réseaux avancés de production
  • personnalisation de masse
  • suivi continu de la production
  • opérateurs augmentés
  • produits intelligents
  • conception virtuelle
  • ressources intelligentes

L’amélioration du chiffre d’affaires via le recours au numérique emprunte notamment les voies suivantes:

  • personnalisation des offres (produits ou services)
  • amélioration et accélération de la prise de décision
  • innovation externe via promotion des partenariats

Leviers pour l’amélioration de l’efficacité opérationnelle:

  • automatisation et mise en réseau de la chaîne de production et de la logistique
  • maintenance prédictive
  • recours à des plates-formes cloud pour harmoniser pratiques, processus et information
  • dématérialisation des échanges et des processus  [  retour au texte ]