Infotelligence: quand votre journal anticipera vos intérêts de lecture

Pratique
Par · 17/08/2016

L’un des groupes de travail qui avait été constitué dans le cadre du “Printemps du Numérique” – en préparation au Plan wallon du Numérique – avait pour thème global les médias et la culture numérique.

Dans la foulée de ces travaux, une idée a germé et a réuni dans un même consortium (baptisé La Presse.be) trois groupes de presse francophones: IPM (La Libre Belgique), Rossel (Le Soir) et les Editions Vers L’Avenir.

L’idée et l’objectif ? Donner naissance à une solution permettant aux internautes de consulter leurs sites d’actualités en se voyant spontanément proposer des informations “personnalisées”, autrement dit qui répondent spécifiquement à leurs centres d’intérêts, thèmes favoris…

Sorte de recommandation de contenus automatisée qui serait fournie à chacun et chacune en fonction de son profil, de ses préférences déclarées et de ses “comportements” de lecture et de navigation Internet.

Nom du projet: Infotelligence. Il a officiellement été porté sur les fonts baptismaux juste avant l’été mais les premiers travaux (réflexion et conception) ont démarré dès la fin de de l’année dernière. Le développement devrait s’effectuer sur une période de 3 ans mais avec de premières concrétisations partielles attendues dès 2017.

Partenaire technologique choisi: Selligent. Cette société, basée à Braine-l’Alleud mais avec des activités largement internationales, a été choisie à la fois en raison de sa carte de visite (développement de solutions et plates-formes omni-canal d’automatisation du marketing) et parce qu’elle était déjà prestataire de solutions marketing pour chacun des trois groupes de presse concernés. Pour l’essentiel, les solutions développées pour eux concernent essentiellement l’organisation de campagnes de communications par e-mail à destination de leurs abonnés respectifs. Le groupe Vers l’Avenir a également recours à une solution Selligent pour mesurer le trafic sur ses sites Internet.

Le libre arbitre du lecteur

Les différentes parties prenantes à ce projet s’engagent – et c’est important – à assurer une “totale transparence aux internautes au sujet du mode de fonctionnement de la plate-forme, dans le respect scrupuleux des législations européenne et nationale, existantes et futures.” Pas question en effet de devenir une boîte noire où des algorithmes et règles obscures concocteraient des panachages de contenus répondant à des logiques peu ou pas du tout respectueuses de la vie privée et/ou répondant à des impératifs et objectifs purement commerciaux.

Au-delà de l’intérêt qu’il y a pour le lecteur à se voir présenter automatiquement des contenus qui répondent à ses préférences, l’un des buts des éditeurs est de fidéliser leur lectorat afin de leur proposer des contenus payants.

Comment l’“intelligence” de la plate-forme opérera-t-elle? Sur quels éléments les algorithmes décideront-ils du profil de chaque lecteur et donc des contenus à lui afficher d’office sur son écran?

Quatre types de paramètres de sélection agiront en coulisses:

  • tout d’abord, les priorités éditoriales de chaque rédaction : la personnalisation des contenus ne sera en effet pas totale en ce sens que les éditeurs veulent que “la volonté et le positionnement éditorial de chaque groupe ou média gardent la primeur dans la sélection et la hiérarchie principale de l’information” – la personnalisation ne concernera donc vraisemblablement que certaines portions de leurs sites respectifs
  • ensuite, les préférences du lecteur: préférences déclarées, par exemple lors de sa prise d’abonnement ou de son inscription en-ligne comme lecteur du média concerné, ou via des questionnaires auxquels il aurait répondu ; à lui, dès lors, d’indiquer s’il est un dévoreur d’infos locales, un curieux de politique, un passionné de culture, un adepte du sport… Ce concept de “préférences déclarées” implique aussi que le lecteur accepte de s’identifier et de fournir un minimum d’informations – toute une nouvelle mentalité à développer pour lui faire accepter que plus il en dira sur lui-même, plus la recommandation sera efficace

Thierry Téchy (Selligent): “Il faut faire accepter l’idée que devoir fournir des informations est une bonne chose, pour les besoins de l’algorithme de recommandation de contenu, et ne doit pas être perçu comme un frein.”

  • les habitudes de lecture de l’internaute: ici, c’est le “pistage” de ses comportements lors de précédentes visites sur le site qui déterminera ce qui est sélectionné pour lui, selon des critères et statistiques tels que temps et la fréquence de lecture, le canal d’accès utilisé (ordinateur fixe, mobile…)
  • quatrième paramètre “qui représente la réelle innovation du projet”, souligne Thierry Téchy, Chief Technology Officer de Selligent: la mise en oeuvre d’algorithmes prédictifs permettant de segmenter les lecteurs en groupes et affinités et de proposer ainsi à chacun(e) des contenus qui ont également été consultés par le “groupe” auquel il ou elle est assimilé(e). Un peu à la mode Amazon mais selon un concept de groupe ou de “personae” plus affiné. “Si on se limite aux critères de préférences déclarées et aux habitudes de lecture, on risque en effet de toujours proposer le même type de contenu à une personne.” Ce qui peut être réducteur et de ne pas élargir son horizon. En lui suggérant que les personnes deson “groupe” lisent et aiment par exemple à la fois le sport et telle ou telle autre chose, on améliore la possibilité de répondre à ses attentes – même non formulées ou imaginées.
  • Un cinquième critère viendra enrichir le moteur de recommandation et de pré-sélection d’Infotelligence. A savoir, les articles les plus lus.

Ceci n’est pas un moule stalinien

Pour en revenir à la volonté de “totale transparence” que disent vouloir afficher les trois éditeurs, l’une des possibilités qu’offrira la plate-forme Infotelligence sera la faculté donnée à chaque internaute de consulter son profil où seront répertoriés ses centres d’intérêts et préférences.

Ce profil évoluera dans le temps, en fonction de ses types de “consommation” mais aussi sur base d’adaptations qu’il aura lui-même impulsées, suite à des sondages qui lui demanderont s’il a aimé ou non ce qu’on lui a proposé. Ses préférences demeureront donc gérables et adaptables.

Autre remarque essentielle: même si les trois groupes de presse se sont associés pour la circonstance, chacun a bien entendu ses propres stratégies éditoriales, des profils de lectorat différents…. parfois même au sein du même groupe (qui oserait comparer ou mettre dans un même sac Le Soir et les éditions de Sud Presse ?…).

La plate-forme que développe donc Selligent (avec les équipes des trois éditeurs – rédactions, IT, marketing, communication…) ne sera donc pas une solution “one size fits all”. “L’outil et la technologie que nous développons sont génériques. L’expérience et les différences-même qui existent entre les trois groupes de presse constituent un apport enrichissant et permettront de développer un outil pouvant être commercialisé auprès d’autres clients”, précise Thierry Téchy.

Premiers résultats dès fin 2016 ?

Le projet de développement couvre une période de 3 ans – de juin 2016 à juin 2019. Vu l’évolution des technologies et un terrain où nombre de concurrents, traditionnels ou jeunes starters, s’intéressent de près à la personnalisation des contenus pour internautes, il est évident qu’attendre 3 ans les résultats tangibles des développements a quelque chose de ridicule, voire de surréaliste.

Le projet a donc été structuré en mode “agile”, en étapes de 6 mois. “Notamment pour tester rapidement des choses qui marchent”.

Dès la fin de l’année, on peut donc espérer voir émerger de premiers “délivrables” et un premier potentiel de recommandation pour site Internet. Viendront ensuite des développements pour les spécificités des plates-formes mobiles et des développements plus poussés pour enrichir les mécanismes de recommandation.

Développements et tests s’effectueront en parallèle. Avec constitution de groupes-témoin “afin de définir les règles pertinentes”. A savoir: des groupes de lecteurs bénéficiant de mécanismes de recommandation et des groupes fonctionnant “à l’ancienne”. Avec comparaison des avantages nouveaux éventuellement dégagés…

Et après le contenu…

Le premier volet du projet de développement se concentrera sur l’orchestration de la sélection et diffusion automatisées de contenus répondant aux attentes et préférences personnelles de chaque lecteur.

Dans un deuxième temps, la plate-forme permettra de mettre en oeuvre un ciblage personnalisé pour la formulation des offres commerciales faites aux lecteurs-internautes (abonnements, avantages divers…). Idem pour l’affichage et la diffusion de publicités “segmentées.”

“Dès l’instant où un éditeur connaît mieux son audience et les habitudes de lecture de ses lecteurs, il lui devient possible de monétiser son espace publicitaire. En définissant des segments bien structurés, il peut les vendre aux marques qui peuvent alors par exemple proposer des bannières personnalisées qui s’affichent en mode push en fonction des profils de chaque lecteur”, souligne Thierry Téchy.

Le projet Infotelligence en faits et chiffres

Budget du projet: 12,9 millions d’euros

6,8 millions alloués par la Wallonie, sous forme d’avances récupérables.

Répartition de ces avances entre les différentes parties prenantes? “Selon une clé de répartition qui tient compte des efforts fournis, du temps et des ressources investis par chacun”.

Les éditeurs rembourseront l’avance perçue sur base de l’augmentation des revenus générés par leurs canaux d’édition numérique. La Région, par ailleurs, percevra un pourcentage sur chaque licence vendue à d’autres clients.

A noter aussi, indépendamment du développement de la plate-forme par Selligent, un investissement de 500 000 euros de Google, dans le cadre du programme européen « Digital News Initiative” (investissement global de 150 millions d’euros sur trois ans) destiné à financer des “projets numériques innovants au sein de la presse européenne.”