Respect-IT: mieux construire les cahiers de charges IT

Portrait
Par · 01/07/2016

Respect-IT, spin-off de l’UCL, s’est positionnée sur le terrain de l’“ingénierie des exigences”. Autrement dit, de cette pratique qui consiste à “établir et maintenir un accord entre toutes les parties prenantes en matière d’exigences que l’on définit pour le système (informatique) à construire.”

L’objectif est d’en arriver à une meilleure maîtrise et définition des besoins métier, des objectifs stratégiques et opérationnels d’une entreprise afin de guider les choix et les développements en matière de systèmes et de solutions IT.

“On constate souvent que le développement ou qu’une refonte de système d’information ne répond pas toujours aux objectifs stratégiques et métier”, déclare Robert Darimont, directeur de la société. “On émet un cahier de charges, on aboutit à une solution. C’est ensuite la croix et la bannière pour faire coller la solution à la problématique qu’on voulait résoudre.”

Problème classique, bien connu et universellement regretté… Le mal, en fait, se situe souvent à la racine, au moment de la formulation la plus exacte et précise possible du besoin.

L’étape de l’expression des besoins, de leur formulation et de l’écriture du cahier de charges est fondamentale. Et souvent bancale.

C’est là que se positionne Respect-IT, dans ce qu’on appelle donc l’“ingénierie des exigences” (requirements engineering, en anglais). Sa solution Objectiver est le fruit des recherches d’une équipe de la Polytech (voir encadré ci-dessous). Elle se positionne comme un outil d’assistance à la rédaction de cahiers de charges. Et cela passe par l’élaboration de modèles d’exigences (requirements). La société est à la fois éditeur logiciel et prestataires de services (conseils, réalisation de cahiers de charges, coaching à l’utilisation de la méthodologie).

Respect-IT (acronyme de REquirements and SPECification Techniques for Information Technology) a été créée en 2006.

La solution Objectiver est la résultante commerciale d’une spécialisation développée depuis les années 90 au sein de l’équipe du prof. Axel van Lamsweerde de l’Ecole polytechnique de Louvain (UCL).

Ses travaux lui ont valu de recevoir deux distinctions de l’ACM (Association for Computing Machinery): la SigSoft Distinguished Service Award, en 2000, et la SigSoft Outstanding Research Award, en 2008.

La spin-off a bénéficié d’une aide financière de la Région wallonne, sous forme d’une avance récupérable pour le développement initial de la solution. Tout récemment, pour les besoins du projet destiné à Huawei (voir plus loin dans l’article), une étude de faisabilité logicielle a été entamée avec le CETIC, financée à 75% pour la Wallonie.

Objectiver existe en français et en anglais. L’interface est également disponible en néerlandais et en chinois, et Respect-IT a développé un plug-in pour traduire un modèle de français en néerlandais.

Une académie virtuelle permet aux utilisateurs de se former à l’outil (structuration des objectifs, études de cas, exercices, tutoriels vidéo, quiz). La formation en-ligne se double d’une session en présentiel.

Axel van Lamsweerde est également l’auteur d’un livre consacré à la méthodologie. “Requirements engineering: From system goals to UML models to software specifications”. Editeur: Wiley, 2009.

L’une des méthodes suivies par Respect-IT est d’impliquer toutes les parties prenantes dans l’exercice de préparation et de rédaction du cahier de charges. “On identifie tous les rôles. On procède par interviews et observations, afin de comprendre les règles, le contexte, les objectifs – c’est-à-dire les propriétés que le système devra avoir. L’important est d’identifier les problèmes, les conflits et de les arbitrer le plus tôt possible.”

Objectiver produit un diagramme complexe, schématisant et décrivant les exigences et les objectifs (du projet ou du système), les responsabilités concrètes de chacun, les obstacles éventuels…

Les gens adhèrent à ce genre de représentation [sous forme de modèle, de diagramme] parce qu’on parle le langage métier. “Chaque exigence est ensuite documentée via rédaction des clauses contractuelles détaillées que les fournisseurs devront remplir…”

Une fois généré, le cahier de charges est transmis (avec ou sans les tableaux détaillés d’exigences) à des fournisseurs potentiels.

“On inverse en fait la charge de la preuve. D’habitude, si le cahier de charges n’est pas très détaillé, n’exprime pas tout ce dont l’entreprise a besoin, elle devra se faire une sorte d’intime conviction sur l’adéquation de la proposition de tel ou tel fournisseur.

Traiter le mal à la racine

La solution Objectiver s’applique essentiellement à des projets informatiques complexes ou de grande envergure. Mais dans une grande variété de domaines: technique, administratif, aéronautique…

Parmi ses clients, citons Alcatel, Eurocontrol, Arcelor, Pfizer, le CHR de La Citadelle à Liège, les assurances GAN, l’ETNIC…

Exemples de projets qu’Objectiver peut permettre de préparer dans de meilleures conditions: le développement et le déploiement d’un dossier médical informatisé au sein d’un hôpital, ou la rédaction d’un cahier de charges pour un système embarqué pour avion de ligne.

Ne jamais croire que les deux parties se comprennent naturellement…

Autre exemple sur lequel planche actuellement Respect-IT: la définition d’un cahier de charges pour les Maisons de Justice. En raison de la 6ème Réforme de l’Etat, les compétences ont été transférées du fédéral vers la Communauté française, imposant une refonte du système de gestion utilisé par les assistants de justice, qui sont notamment chargés de l’encadrement des personnes sortant de prison et réinsertion, ou de personnes devant effectuer des travaux d’intérêt général. “C’est une application importante et complexe en raison du nombre d’intervenants et de procédures de travail – plus de 350…”

Respect-IT a également participé au projet européen Safee (Security of Aircraft in the Future European Environment) initié au lendemain des attentats du 11 septembre en vue de développer des systèmes d’assistance en situation critique, capables de “prévenir n’importe quel type de menace terroriste survenant au cours des vols”, via l’intégration d’un large éventail de systèmes de détection embarqués, la conception d’un logiciel d’analyse et la définition de procédures manuelles ou automatiques pour un “retour au sol sans encombre”.

La solution Objectiver a été mise à contribution à la fois pour imaginer une communication efficace entre les membres du consortium (31 sociétés – dont Airbus, Thales, EADS, Sita, Airtel…), et pour la rédaction du cahier de charges interne – qui portait sur le développement du système expert embarqué chargé d’estimer les niveaux de menace et de proposer les informations voire les actions correctives à entreprendre.

Autre client: EVS, pour la rédaction notamment d’un cahier de charges pour un système d’assistance administrative.

Respect-IT travaille actuellement sur un projet destiné au géant chinois des communications Huawei qui désire utiliser la méthodologie et l’outil d’ingénierie des exigences de la société pour développer certains systèmes de communications industriels. Ce projet exigera que des adaptations soient effectuées dans l’outil Objectiver. Une aide financière de la Wallonie, via la DGO6, a été obtenue à cet effet. “C’est essentiel pour une petite structure telle la nôtre, qui doit faire face à des géants, de bénéficier de cet appui, à la fois technique, via le CETIC, et financier”, souligne Robert Darimont.

La suite de cet article explique plus en détails la “méthode” Objectiver, ses domaines d’application – en ce compris pour l’évaluation des capacités à développer en interne et son implémentation dans le cadre des méthodes de développement agile.

Cette partie de l’article est réservée à nos abonnés Select et Premium.

Problème de communication

Quiconque est passé par là sait que le problème d’incohérence entre la solution informatique proposée et le besoin réel vient souvent d’un manque ou d’une mauvaise communication entre le métier et l’IT – que ce soit le département interne ou un prestataire externe.

L’une des méthodes suivies par Respect-IT est d’impliquer toutes les parties prenantes dans l’exercice de préparation et de rédaction du cahier de charges. “On identifie tous les rôles. On procède par interviews et observations, afin de comprendre les règles, le contexte, les objectifs – c’est-à-dire les propriétés que le système devra avoir. L’important est d’identifier les problèmes, les conflits et de les arbitrer le plus tôt possible”, souligne Robert Darimont.

Les objectifs, les propriétés décrites peuvent se situer à différents niveaux – depuis le stratégique jusqu’à l’opérationnel, jusqu’aux niveaux technique et managérial. Notre rôle consiste à déterminer les divers objectifs et à établir des relations entre eux.”

Modéliser et schématiser les “arbres” d’exigences, afin que tout le monde puisse valider objectifs et interdépendances. Source: Respect-IT.

 

La solution – Objectiver – produit un diagramme complexe, “un peu en mode mind mapping mais adapté à l’expression des besoins, avec représentation et schématisation des objectifs, des responsabilités concrètes de chacun, des obstacles éventuels…

“Chaque exigence est ensuite documentée via rédaction des clauses contractuelles détaillées que les fournisseurs devront remplir…”

Robert Darimont (Respect-IT): “Les gens adhèrent à ce genre de représentation [sous forme de modèle, de diagramme] parce qu’on parle le langage métier.”Les grilles d’exigences, ainsi générées, peuvent être potentiellement très détaillées – depuis les objectifs de haut niveau jusqu’aux exigences les plus fines.

“Cela permet par exemple de découvrir que rien, dans ce qui existe côté métier, ne permet d’atteindre un objectif stratégique défini par la direction… Il y a donc un trou qu’il faudra combler.

Les gens adhèrent à ce genre de représentation [sous forme de modèle, de diagramme] parce qu’on parle le langage métier. On ne montre pas des schémas de base de données, avec des attributs, des notions techniques…

On demande à chacun s’il est d’accord avec les objectifs énoncés et s’il considère que le fait de satisfaire à tous les sous-objectifs permettra d’atteindre l’objectif au cran supérieur…”

Un diagramme peut toutefois être ardu à interpréter. Dès lors, les grilles produites par Objectiver sont expliquées au travers d’une synthèse “afin que les gens de métier puissent se faire une idée du cahier de charges.”

Le cahier de charges, lui, est automatiquement généré par Objectiver au départ de la description des exigences réalisée. Il comporte une table des matières, le texte détaillé, une description de la plate-forme existante et de la solution-cible, un glossaire… Des hyperliens sont en outre insérés afin de relier virtuellement les éléments d’un diagramme avec les objectifs détaillés qui sont repris dans un autre.

Chaque diagramme s’accompagne d’une table avec une liste des exigences auxquelles les fournisseurs devront répondre.

Un cahier des charges sans surprise

La représentation graphique de l’expression des exigences peut prendre une autre forme qu’un diagramme afin de prendre en compte d’autres contextes. Objectiver supporte par exemple le principe de la notation de processus BPMN (Business Process Modeling Notation) ou encore une documentation des schémas de bases de données.

L’argument majeur sur lequel joue Objectiver est d’assurer, dès le départ, une description sans surprise du projet à réaliser.

Une fois généré, le cahier de charges est transmis (avec ou sans les tableaux détaillés d’exigences) à des fournisseurs potentiels. “On inverse en fait la charge de la preuve. D’habitude, si le cahier de charges n’est pas très détaillé, n’exprime pas tout ce dont l’entreprise a besoin, elle devra se faire une sorte d’intime conviction sur l’adéquation de la proposition de tel ou tel fournisseur.

Par contre, si le cahier de charges est suffisamment précis, détaillé, complet, si on demande aux fournisseurs de se positionner par rapport à chacune des exigences, l’entreprise obtient une grille de comparaison objective. En tout cas, en termes techniques… D’autres facteurs entrent évidemment en jeu – l’expérience, la solidité financière du prestataire… En la matière, nous n’apportons pas de valeur ajoutée”, commente Robert Darimont.

Il ajoute: “dans le pire des cas, si le client constate que le fournisseur ne délivre pas ce qu’il a affirmé pouvoir produire, il a en mains un élément tangible, clairement documenté dans le contrat… Il pourra au moins négocier dans une position un peu plus confortable.”

Robert Darimont (Respect-IT): “Dans 99% des cas, nos clients nous demandent que nous leur livrions le document final du cahier des charges dans sa version complète, avec les descriptions détaillées d’objectifs qui lui correspondent. Certains le transmettent également sous cette forme à leurs fournisseurs potentiels.”

Autres finalités possibles

La description détaillée des besoins et exigences peut servir soit pour la préparation et l’envoi d’un appel d’offres ou peut servir, en interne, pour expliquer à chacun la nature du projet à mettre en oeuvre, pour déterminer s’il peut être assumer sur base des compétences internes ou s’il faudra faire appel au marché.

Quid des projets en mode “développement agile”?

“C’est un processus essentiellement itératif et incrémental. Certaines estiment que cela supprime la nécessité d’un cahier de charges puisqu’on construit au fur et à mesure avec l’utilisateur. C’est une perception fausse”, estime Robert Darimont. “Même en processus agiles, on a intérêt à ne pas partir d’une feuille blanche. On a besoin d’une description, même sommaire, de ce qu’on veut afin d’éviter des allers-retours qui coûtent cher. Notre méthode permet par ailleurs de construire des modèles progressivement, en mettant à jour la structure, à la fois en mode rétro-action et pour définir l’étape suivante du projet agile.”

Gain de temps, d’argent?

“Notre approche prend plus de temps que de rédiger un cahier de charges de 10 pages, comme une bouteille qu’on jette à la mer. Mais il n’y a pas de miracle. Le temps “perdu” sera regagné par la suite, en temps, en ennuis, en retard, en coûts…”

Difficile d’évaluer les gains financiers qu’autorise une solution telle qu’Objectiver. “Il faudrait “cloner” un projet, les équipes, pour comparer la manière habituelle de procéder et notre méthodologie. Mais on peut néanmoins prendre quelques points de repère.

Une étude pour la réalisation d’un cahier de charges, pour un système d’une certaine envergure (avec plusieurs centaines d’utilisateurs et de processus), peut prendre de 3 à 6 mois. Vient ensuite le projet de développement, qui peut se chiffrer en centaines de milliers voire millions d’euros.

Robert Darimont: “Notre approche prend plus de temps que de rédiger un cahier de charges de 10 pages, comme une bouteille qu’on jette à la mer. Mais il n’y a pas de miracle. Le temps “perdu” sera regagné par la suite, en temps, en ennuis, en retard, en coûts…”

Si on regarde les moyennes de dépassement de projet, qui sont de 150 voire 180%, si le projet revient en principe à 5 millions d’euros, je vous laisse faire le calcul… Cela vaut certainement la peine de “dépenser” un peu de temps, quelques semaines de plus, en analyse.

Certains de nos clients viennent vers nous après “s’être déjà ramassés”, en voulant désormais prendre un maximum de garanties… Pour eux, Objectiver est une sorte d’assurance sur le projet futur.”

L’avenir de l’ingénierie des exigences

Les modèles existants (“arbres d’exigences”) devraient à l’avenir évoluer afin d’intégrer des capacités d’auto-adaptation à un environnement changeant. “L’un des défis consiste à faire en sorte que l’on maîtrise également le changement, sous-jacent, des objectifs et des modèles d’objectifs. Ce sont là des recherches qui sont menées en parallèle avec l’évolution des technologies.”

A cet égard, Respect-IT a gardé des contacts avec l’UCL. Le Professeur van Lamsweerde, lui, a été élevé à l’éméritat mais en profitera pour se concentrer sur des domaines de recherche qui l’intéressent plus particulièrement. Par ailleurs, un ancien chercheur de l’UCL a été nommé à l’University College of London qui a développé une cellule en ingénierie des exigences. Rien n’a encore été décidé mais une collaboration pourrait se développer à l’avenir entre les deux universités.

Et la collaboration pourrait également s’instaurer avec d’autres pôles de recherche, comme par exemple à Namur où ont essaimé d’anciens étudiants d’Axel van Lamsweerde.