“De simple exécutant, un directeur IT doit devenir stratège”

Hors-cadre
Par · 16/06/2016

Marc Senterre a pris ses fonctions de directeur ICT chez Prayon en 2015, en provenance d’UCB, où il occupait les fonctions de vice-président IT.

Comment cette société – “provincial de service par rapport au grand groupe qu’est UCB Pharma” (l’expression est d’Yves Caprara, le patron de Prayon) – l’a-t-elle convaincu de venir travailler à Engis? Tout simplement parce que la direction de ce producteur de phosphates destinés à l’alimentation, à l’horticulture ou encore à des applications industrielles avait une idée précise du rôle à confier à son nouveau Chief Information Officer et de son importance pour le positionnement et l’exécution stratégiques.

“Une société comme Prayon ne peut plus ignorer les bouleversements qu’induit l’IT à tous les niveaux et ne peut plus se contenter de continuer comme avant. L’IT doit être associée au niveau de la stratégie. Qu’on l’appelle CIO ou DSI (directeur des systèmes d’information), le responsable informatique ne peut plus être simplement l’adjoint du directeur financier [Ndlr: comme c’était précédemment le cas chez Prayon] mais il doit devenir membre de ce que nous appelons chez nous le leadership council. Et cela change tout: le CIO doit avoir une obligation stratégique et délivrer une vraie stratégie. Il lui revient aussi d’analyser les risques de l’IT. Le CIO devient stratège et permet à la société de réellement bouger.”

“Le responsable informatique ne peut plus être simplement l’adjoint du directeur financier. Il devient stratège et doit formuler et délivrer une vraie stratégie pour l’entreprise.”

Ce fut là l’un des arguments qui a convaincu Marc Senterre de changer d’employeur.

Prouver la pertinence du changement

Désormais membre du comité directeur, chargé de formuler une stratégie, des pistes de changement, le CIO de Prayon doit aussi convaincre tous les niveaux de la société de l’utilité opérationnelle de technologies et projets nouveaux.

Les 6 étapes de la gestion du changement (et de la résistance au changement), selon l’auteur Patrice Wellhoff.

“C’est sur base des avancées et des progrès réalisés grâce à de nouveaux projets technologiques qu’il sera possible de convaincre les autres responsables business et chefs de départements. Il s’agit donc de débusquer des créneaux en marketing, des points d’optimisation en production”, poursuit Yves Caprara. “Cela génère du cash, immédiatement. Il est important de chiffrer les gains et de les réinvestir dans de nouveaux projets.”

A ses yeux, l’un des panneaux les plus dangereux dans lequel une société puisse tomber – et c’est une question de mentalité dont beaucoup ne se sont pas encore affranchie -, c’est de continuer à ne voir dans l’IT qu’un centre de coûts, de l’opérationnel pur. “Si on adopte ce point de vue, on ne fait pas grand chose. Je pense à ces sociétés qui refusent d’équiper leurs collaborateurs d’iPhone ou d’iPad au prétexte que c’est trop cher. C’est surtout le signe d’un manque de réflexion sur ce qu’on peut en faire.” Et d’ajouter: “ces sociétés sont condamnées à disparaître…”

Prayon a décidé, quant à elle, de devenir plus “proactive” dans l’utilisation qu’elle fait des ressources et technologies IT. Avec, comme effet espéré, l’attraction de nouveaux talents. Relire l’article sur ses projets en matière d’analytique.

Changement de mentalité à tous les étages

Le chantier, pour mettre une société sur de nouveaux rails en termes d’exploitation des outils IT, est immense.

La remise à plat de l’infrastructure, le choix de nouveaux outils de gestion et de bureautique, l’évolution vers des systèmes virtualisés ou encore vers un hébergement partiel dans le cloud ne sont en fait que des exemples de changements fonctionnels. En coulisses et de manière nettement plus fondamentale, c’est à une évolution des réflexes et mentalités de chacun que Prayon et son nouveau CIO s’attaquent.

Yves Caprara: “Les gens ont toujours eu peur de partager l’information par crainte de perdre du pouvoir. Mais la performance globale de l’entreprise est plus importante qu’une carrière personnelle. Cela n’a d’ailleurs aucun sens de travailler pour une société non performante qui pourra donc préserver moins d’emplois. Il faut jouer le collectif mais c’est une véritable révolution culturelle.”

“Nous nous sommes engagés dans la voie d’une entreprise mobile, collaborative. C’est un réel changement de mentalité. Les outils et processus collaboratifs vont par exemple forcer les gens à changer leur mode de travail, à éviter les silos. Ils le feront aussi sans devoir appeler systématiquement l’IT à la rescousse. L’utilisateur décidera s’il partage ou non l’information. Cela va générer un changement, en ce compris dans les processus de travail.”

Redynamiser l’équipe

L’un des premiers exercices auquel s’est livré Marc Senterre en arrivant chez Prayon fut d’évaluer le mode de travail, les compétences, les potentiels de chacun. “Techniquement, tous les membres de l’équipe (13 personnes à Engis et 2 dans chacune des 4 filiales) étaient au top mais elle était timorée. Une première remise à niveau a consisté à identifier et reconnaître les talents et les compétences.

Marc Senterre: “La philosophie de Prayon est que l’IT permet de faire évoluer la stratégie par sauts quantiques. La réduction des coûts, les économies qui sont générées sont réinvesties en projets. De la sorte, le budget IT finance une partie de l’innovation du groupe.”

J’ai ensuite veillé à recréer un comité IT, avec mes adjoints. Ensuite, il s’est agi de communiquer sur les axes futurs de Prayon, former chaque personne de l’équipe IT afin qu’elle soit en mesure de concrétiser les objectifs. Nombre d’éléments, à cet égard, avaient trait à un changement de mentalité. Chaque personne de l’équipe doit pouvoir expliquer la stratégie afin que tout le monde soit aligné.”

Autre changement: la manière dont l’IT se positionne, agit vis-à-vis des utilisateurs. “Il faut les considérer comme des “clients”, les replacer au centre des problématiques.”

Enfin, Marc Senterre s’est attelé à la promotion, au “marketing” de l’IT aux yeux de tous: “si elle n’est pas “vendue”, la plus belle IT ne fonctionnera pas…”

Marc Senterre: “La philosophie de Prayon est que l’IT permet de faire évoluer la stratégie par sauts quantiques. La réduction des coûts, les économies qui sont générées sont réinvesties en projets. De la sorte, le budget IT finance une partie de l’innovation du groupe.”

Ces différentes actions de remise à plat ou à niveau des talents et rôles de chacun ne furent pas un “one shot”, un exercice qui, une fois accompli, peut tenir la distance. “Il est important d’assurer, pour l’équipe IT, un accompagnement en permanence. En effet, c’est avec eux, en priorité, qu’il faut faire la transformation numérique et la faire ensuite percoler jusqu’aux utilisateurs.”

Des rôles et rouages bien définis

Chez Prayon, Marc Senterre a instauré un système de groupes de travail ayant, chacun, une raison d’être bien particulière.

Tous les deux mois, il rencontre un “groupe d’ambassadeurs”. Des “ambassadeurs”? C’est le nom donné en fait aux personnes, une par département, qui est chargée d’identifier, de relayer et de prendre en charge les problèmes et soucis de son département – et il ne s’agit pas du directeur ou du responsable de ce département ! “Cette réunion bimensuelle est un peu mon KPI – key performance indicator”, déclare Marc Senterre. “Cela me permet de sentir réellement ce qui se passe.”

Deuxième groupe de travail: un groupe de key users SAP, formé de “vrais” utilisateurs – “des gens de terrain, pas des chefs de service”. La raison de la création de ce groupe: “SAP fonctionne bien mais est sous-utilisé chez Prayon. Nous ne tirons pas la quintessence du produit.” Le groupe de travail, qui se réunit une fois tous les deux mois, a pour mission d’identifier de nouveaux types d’usages, d’améliorer l’outil, de simplifier certaines choses. “Il devient un centre de discussion entre des personnes directement concernées. Et cela contribue à la nouvelle philosophie de collaboration afin que tout le monde participe à faire progresser la société.”

Troisième groupe de travail: celui qui réunit tous les trois mois le comité IT et les autres directeurs afin de “fixer les orientations des grands projets et traduire la stratégie en projets IT”.