BioBright: doter les labos d’outils IT dignes d’un “Iron man”

Pratique
Par · 20/05/2016

Biologiste de formation, Charles Fracchia y a ajouté des compétences et une passion pour les solutions d’informatique et d’électronique. Sa société BioBright, créée à Boston voici 18 mois, veut procurer aux chercheurs, en particulier ceux spécialisés en recherche biomédicale dans un premier temps, une solution de type “laboratoire intelligent”.

Le défi qu’il s’est lancé et que sa société BioBright s’attèle à relever: favoriser autant que possible la répétabilité des expérimentations scientifiques (biomédicales) et ouvrir la voie aux “sciences ouvertes”.

Le moyen? Le recours à une panoplie de solutions IT: systèmes open source, logiciels interopérables, capteurs en tous genres, mécanismes de collecte et d’harmonisation des données au sein d’une plate-forme centrale, interfaces naturelles (commande vocale…)… en vue de créer un “labo intelligent”.

Cette plate-forme, Charles Fracchia l’imagine comme une architecture ouverte, exploitable le plus librement possible par les scientifiques, les étudiants, les porteurs de projets, les start-ups… But: accélérer l’innovation et la création de nouveaux “produits” en biologie, en médecine…

Charles Fracchia: “Nous voudrions créer une série d’outils qui agrandissent l’écosystème de la recherche et qui permettent à d’autres personnes qui n’auraient jamais rêvé contribuer à un problème donné, d’utiliser nos outils, de les améliorer. C’est l’idée à long terme.”

BioBright conçoit et/ou intègre des matériels et logiciels majoritairement open source permettant d’“augmenter” les labos, de fournir des solutions qui interfacent l’être humain avec les instruments et les données qui influencent l’expérience.

Le but est de capter des informations qui sont disponibles, générées intra ou extra muros, mais qui ne sont ni collectées, ni exploitées jusqu’ici, de documenter en quelque sorte l’expérience biologique par des faits et des paramètres objectifs, collectés et interprétés, de “lier données collectées et paramètres pouvant avoir un impact sur la manière d’une expérience se déroule”. Avec deux objectifs immédiats: permettre au chercheur, au scientifique, de se concentrer sur des tâches “plus haut de gamme” et faire en sorte que tout ce qui a déjà été fait, expérimenté, tout ce qui est chose acquise, devienne reproductible automatiquement, récupérable, réutilisable…

“Le problème majeur du secteur biomédical est celui de la répétabilité de la recherche, dû notamment au fait que les équipements utilisés sont très différents, avec des types de communications et des formats différents. Selon une étude qui a été publiée dans la revue Nature, le coût des problèmes de répétabilité est de 28 milliards de dollars par an aux Etats-Unis.”

Traçabilité et reproductibilité

Connaître les raisons qui expliquent qu’une expérience marche ou non, assurer la traçabilité des paramètres, interactions, conditions d’expérimentation… Ce sont là des potentiels dont sont largement privés les chercheurs, estime Charles Fracchia.

“Les outils disponibles pour la recherche biologique sont dépassés. Ils se résument souvent à un simple ordinateur portable et à un minuteur.”

A l’âge des capteurs, des lunettes connectées et de la réalité augmentée, il était à ses yeux évidents que la biologie ne pourrait que bénéficier d’un sérieux coup de remise à neuf, d’une interface “de type Iron Man”, pour reprendre l’une de ses analogies favorites.

L’automatisation ne suffit pas

“Actuellement, les gens pensent que la solution se trouve du côté de l’automatisation. Autrement dit, retirer l’être humain de la boucle et le remplacer par des robots. Cela résoudra certes quelques problèmes mais en nombre limité.

En biologie, on utilise très mal les ressources. On demande aux êtres humains de garder en mémoire des faits tels que la variation de température sur une période de 10 minutes il y a de cela 3 semaines…

Or, il existe des technologies qui peuvent donner ce genre de réponse. Mais il faut qu’elles soient conçues de telle sorte à augmenter les capacités humaines. Il ne s’agit pas d’automatisation mais d’augmentation de capacités humaines. L’optique à prendre pour la conception de ces technologies est différente…”

Les solutions BioBright

La solution que développe BioBright se compose à la fois d’une infrastructure générale et d’une série d’outils – logiciels et matériels.

L’infrastructure, de type MIMO (multiple input, multiple output), se veut flexible afin de s’adapter aisément et rapidement à tout nouveau dispositif dont aurait besoin un chercheur biologiste et de faire en sorte que les données qu’il génère puissent s’intégrer avec celles de tous les autres équipements déjà supportés. Elle “permet de récupérer des données disparates, de les importer de manière automatique.”

Charles Fracchia: “Il ne s’agit pas d’automatisation mais d’augmentation de capacités humaines.”

La grande disparité des formats de données, des modes de communications utilisés par les équipements et dispositifs en tous genres ne concerne pas uniquement les matériels de laboratoire. Elle touche aussi le secteur de la médecine et semble encore devoir se décupler à l’heure du phénomène du “quantified self” et de l’e-santé.

“Allez demander à un médecin s’il peut corréler le nombre de pas que vous faites dans une journée avec votre activité cardiaque, la qualité de votre sommeil… Il est très difficile d’obtenir un historique longitudinal complet.

C’est ce qu’essaie de faire BioBright: uniformiser tous ces systèmes, en gommant les disparités de formats…”

En ajoutant que le système pourrait potentiellement trouver d’autres champs d’applications, du côté de la domotique, de la gestion des réseaux électriques intelligents…

Côté “outils”, ceux que développent BioBright sont de trois types:

  • des interfaces nouvelles, naturelles, pour la saisie de l’information. Exemple: un assistant personnel vocal baptisé Darwin qui obéit à la voix de son maître. Par exemple pour “take note that tube 65 fell on the flloor”. L’assistant s’appuie en outre sur l’intelligence artificielle pour procurer une solution d’“informatique cognitive”, apte à “comprendre l’intention du scientifique”. Par exemple: “Darwin, note que les cellules n° 45 ont été placées dans l’incubateur n°7”. “En sachant que la température adéquate pour le type de cellules concerné est sensée être 37° alors que l’incubateur choisi est à 42°… Le système est suffisamment intelligent pour avertir le scientifique, vérifier son intention…”
  • des

    Suivi temps réel des informations en provenant de divers dispositifs, intégrées à la plate-forme centrale BioBright

    logiciels de collecte de données au départ d’ordinateurs connectés aux systèmes de laboratoire, “pour enregistrer les données à la source, là où elles sont créées, par exemple par un système d’imagerie, avec envoi sécurisé, par chiffrement, vers la plate-forme centrale BioBright”. Les connexions se font en mode M2M, via mail, avec commande vocale… selon le type d’équipements et de données concerné

  • des interfaces Web, personnalisées, “qui aident le scientifique à visualiser les données de manière contextualisée, correspondant à son contexte de travail, ses propres procédures, les spécificités de son expérience.”

Exemple: BioBright a développé une solution pour des scientifiques qui travaillent sur des mutations rares de maladies orphelines. “Ces scientifiques recherchent une manière de créer un procédé qui leur permette de visualiser un grand nombre de mutations et d’identifier des composantes chimiques qui soient efficaces. Ils éprouvent actuellement des difficultés pour relier des données quantitatives et qualitatives qui viennent de systèmes différents, à intervalles différents…

Le but est de créer une interface de filiation de toutes les données, pour déterminer quelles étaient les conditions qui ont produit tel ou tel résultat sur telle ou telle image…”

De telles interfaces, spécifiques, “permettront de prendre rapidement des décisions essentielles dans tel ou tel contexte de recherche. Nous travaillons encore au cas par cas mais avec une interface structurelle qui autorise un taux élevé de modification.”

Objectif: open science

Le souhait de Charles Fracchia est que l’infrastructure que met en place BioBright devienne, demain, une infrastructure publique. “Par exemple pour qu’un étudiant de 3ème année, électronicien, qui travaille sur un dispositif de surveillance du sommeil ou du rythme cardiaque puisse télécharger sur Internet un fichier contenant les plans d’un électrocardiographe, améliorer le design, le vendre éventuellement en tant que produit, en faire l’objet d’une start-up.

Et, grâce à une un toolkit disponible gratuitement sur Internet, qu’il puisse utiliser toute cette infrastructure jusqu’à ce que sa start-up devienne société viable. Cela lui permettrait d’augmenter sa capacité de recherche, d’innovation, d’accélérer les délais de mise sur le marché.

Aujourd’hui, cela n’existe pas. Quelqu’un qui veut développer un nouveau dispositif doit réinventer la roue, réinventer des technologies que nous sommes en train de résoudre ou qui avaient déjà été résolues mais par des sociétés financées par des venture capitalists dont l’intérêt n’est pas de rendre cela public…”

Charles Fracchia: “augmenter la capacité de recherche, d’innovation, accélérer les délais de mise sur le marché.”

Mettre l’infrastructure et les ressources gratuitement à disposition des individus et des petites sociétés – et faire payer des licences, “modestes”, aux grandes organisations “qui ont les moyens de les payer et pour qui c’est de toute façon moins cher que de devoir tout réinventer en interne – permettra d’améliorer la vitesse d’innovation dans le secteur de la biologie, du médical…”

Et d’ajouter: “aujourd’hui, au vu de toutes ces maladies rares, des problèmes sanitaires causés par Ebola ou Zika, on ne peut plus se permettre d’attendre que de grosses boîtes pharmaceutiques aboutissent à des résultats.

Nous voudrions créer une série d’outils qui agrandissent l’écosystème et qui permettent à d’autres personnes qui n’auraient jamais rêvé contribuer à ce genre de problème, d’utiliser nos outils, de les améliorer. C’est l’idée à long terme. Et nous pouvons nous permettre de le faire grâce à notre structure de financement.”