Décret wallon Open data: un texte trop timide?

Hors-cadre
Par · 10/05/2016

Le 28 avril, le gouvernement wallon adoptait en troisième lecture la proposition de décret “Open data”, texte qui prévaudra aussi bien en Wallonie qu’en Communauté française.

Que retenir de ce texte, dont nous vous parlions ici, et qui devra encore passer l’étape d’une approbation par le Conseil d’Etat et celle d’un vote au(x) parlement(s)?

A bien des égards, le texte s’aligne sur la directive européenne mais aussi sur le texte qui a été voté au niveau fédéral. Notamment en termes de flou – ou de prudence – dans le choix de certaines formulations. Par exemple, là où il s’agit de déterminer le format dans lequel les jeux de données devront être mis à disposition. Un format qui, “dans la mesure du possible”, sera électronique “dans un format ouvert et lisible par machine”. Et le format et les métadonnées accompagnant les jeux de données devront répondre “autant que possible” à des normes ouvertes.

Che va piano…?

“Dans la mesure du possible”, “autant que possible”. On mise donc largement sur la bonne volonté des acteurs publics.

Par ailleurs, la facilité de réutilisation ne fait pas non plus l’objet d’une contrainte rigoureuse. Même si les documents sont rendus accessibles, rien ne dit que les “ré-utilisateurs” et développeurs qui voudraient s’en servir pour développer de nouveaux produits ou services auront la tâche facile. Il se peut qu’ils doivent toujours se dépatouiller avec des documents PDF ou propriétaires. Tant pis donc pour l’appel du pied lancé par la communauté des (open) développeurs qui appellent de leurs voeux une généralisation de formats standard tels que XML ou JSON.

Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi de ne pas adopter un discours plus contraignant?

Stéphane Vince, information & technology manager de l’ADN qui suit plus particulièrement ce dossier: “Le fait est – et le gouvernement en prend acte – que le degré de maturité informatique est variable au sein des Administrations. Si l’on peut dès lors obtenir des jeux de données, même en format PDF ou Word, c’est déjà utile.”

Pas de contrainte excessive au départ. “L’un des rôles de l’Open Data Officer sera de servir d’aiguillon pour l’amélioration de l’informatisation.”

Et d’ajouter: “L’un des rôles de l’Open Data Officer sera d’ailleurs de servir d’aiguillon pour l’amélioration de l’informatisation. Il lui reviendra notamment de faire passer le message que tout nouveau projet informatique devrait, dès le départ, mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour une libération des jeux de données.”

Dans l’opposition, et plus spécifiquement du côté d’Ecolo, on regrette que le texte de la proposition de décret ne soit pas plus contraignant. “Notre proposition fait du format ouvert et lisible par machine le principe, sauf exception motivée”, souligne Stéphane Hazée, député wallon. “Le projet du Gouvernement se limite à la formulation de la Directive – format ouvert « dans la mesure du possible” -, ce qui est plus minimal et moins volontariste.” Relire à ce propos les critiques déjà émises face au texte adopté au fédéral, où là aussi les Verts regrettaient un certain attentisme de la part des autorités publiques.

Comité de coordination

Pas un mot dans le texte de la proposition (gouvernementale) de décret de cet Open Data Officer qui devrait être désigné en Wallonie. Il n’est question que d’un “comité de coordination”, formé de représentants de l’AEI (Agence pour l’Entreprise et l’Innovation), de l’AdN (Agence du Numérique, de l’eWBS (eWallonie-Bruxelles Simplification), des services du Gouvernement wallon et du Gouvernement de la Communauté française.

Or, le poste d’Open Data Officer a bel et bien été proposé dans le cadre du Plan du numérique et validé par le gouvernement wallon. Et le budget nécessaire prévu.

Bientôt un “chief open data officer” chez nous?

Son arrivée n’est pas remise en cause, estime-t-on à l’ADN (dont il deviendra, en principe, l’un des collaborateurs). La procédure de recrutement, elle, doit encore être lancée – et a donc pris un petit retard par rapport aux intentions premières.

Réaction d’Ecolo, qui préconisait la désignation d’un “administrateur général des données au rôle assez large”? “Dans le texte du Gouvernement, un comité administrera certes le portail et l’Agence du Numérique (AdN) exécutera, mais nous pensons qu’un certain nombre de tâches supplémentaires peuvent être définies et prises en charge, pour aller plus loin dans l’impulsion et la proactivité”, insiste Stéphane Hazée.

Ecolo estime en effet que la mission et le rôle prévus pour le comité de concertation [à savoir: facilitation de la recherche et de la réutilisation de documents, de mise à disposition et de mise en œuvre de la stratégie des Gouvernements (Wallonie et Fédération)] sont trop limitatifs.

“Le gestionnaire général des données prévu dans notre proposition de décret présente à notre sens une plus-value dans 4 dimensions:

– un champ plus explicite que les seules recherche et réutilisation des documents, en visant aussi l’inventaire, la production, la circulation et l’exploitation des données

– une mission de coordination de l’action des autorités – en incluant en outre les pouvoirs locaux alors que le projet se limite aux Gouvernements et OIP

– une capacité d’initiative et de proposition à l’égard des Gouvernements – et pas seulement une mission de mise en œuvre -, de même qu’un pouvoir de recommandations à l’égard des services

– une possibilité d’être saisi par les services et par les usagers.”

Un peu à l’image de ce qu’a décidé le gouvernement français, au printemps 2015, en imaginant cette fonction d’“administrateur générale des données” (chief data officer). Sa mission:

  • “organiser une meilleure circulation des données dans l’économie comme au sein de l’administration, dans le respect de la vie privée et des différents secrets légaux
  • veiller à la production ou à l’acquisition de données essentielles
  • lancer des expérimentations pour éclairer la décision publique
  • diffuser outils, méthodes et culture de la donnée au sein des administrations et au service de leurs objectifs respectifs.”

La manière dont l’AdN envisage le rôle du Chief Data Officer (wallon ou francophone) est d’ailleurs fort proche. Il s’agira dès lors de juger, sinon à l’usage, du moins lorsque cette fonction sera concrètement créée chez nous…

L’AdN à la barre ?

Certains, lors du débat intervenu, courant avril, en commission au Parlement wallon, s’interrogeaient sur le bien-fondé d’un “Mr Open Data” ou sur l’identité de la structure dont il dépendrait.

Le MR disait préférer que la fonction de “gestionnaire général des données” soit prise en charge par l’AdN. Histoire de ne “pas rajouter des couches à la lasagne”, pour reprendre l’expression utilisée par Laurent Henquet.

Ce à quoi Ecolo, partisan de la désignation d’un “administrateur général des données”, rétorquait que l’intention n’était pas de compliquer le système mais disait aussi s’interroger sur sa filiation institutionnelle.

“Ce gestionnaire doit-il être un service du Service public de Wallonie (SPW) ou une de ses cellules? Le gestionnaire doit-il être l’Agence du Numérique? […] La Fédération Wallonie-Bruxelles peut-elle se retrouver dans un gestionnaire qui serait l’Agence wallonne du Numérique ? Je l’ignore et on ne peut pas le décider unilatéralement”, déclarait alors Stéphane Hazée.

Le découpage institutionnel achoppe à nouveau sur la logique et les besoins transversaux.

Mais d’ajouter: “Y aura-t-il un gestionnaire général des données, une impulsion, avec une autorité de référence aussi pour les pouvoirs locaux? Nous nous rendons bien compte que lorsque la Wallonie agit, elle agir aussi pour les communes et pour les pouvoirs locaux. C’est donc un mouvement très large qui peut aussi susciter beaucoup d’interrogations. Nous pensons que cette autorité de référence est nécessaire.”

 

A l’AdN, on ne raisonne d’ailleurs pas autrement. “Le rôle et les actions de l’Open Data Officer ne se limiteront évidemment pas au seul niveau régional wallon”, estime Stéphane Vince.

“Les autres niveaux de pouvoir, les pouvoirs locaux, sont évidemment concernés par les open data. D’ailleurs, les jeux de données recensés par l’eWBS [agence à la simplification administrative] concernent à la fois la Région et la Communauté…”

Toujours est-il qu’en prévoyant ce comité de coordination où siège directement la Communauté française, le gouvernement semble apparemment vouloir contourner l’obstacle éventuel de sensibilités institutionnelles qui pourraient gripper certains rouages.

Redevance

En matière de redevance exigée pour certaines réutilisations de documents administratifs, la Région s’aligne, là aussi, sur la Directive européenne et sur la position adoptée au niveau fédéral. La rétribution sera “limitée aux coûts marginaux de reproduction, de mise à disposition et de diffusion”, “permettant un retour sur investissement raisonnable”.

En la matière, Ecolo regrette que son idée de redevance “progressive en fonction du bénéfice réalisé” n’ait pas été retenue.

Quel est le raisonnement tenu par Ecolo? “Dans un certain nombre de cas, la Directive européenne permet – et nous pensons que c’est une possibilité qui a du sens – une redevance en faveur des pouvoirs publics. Si cette redevance apporte un bénéfice, une plus-value économique, nous proposons qu’elle soit progressive afin de prendre en compte cet élément de bénéfice et qu’il y ait une part de retour vers la collectivité.”

Convergence de dernière minute?

Certaines propositions des Verts n’ont donc pas été retenues par le gouvernement wallon. Mais peut-être les dés ne sont-ils pas définitivement jetés…

En effet, comme nous le signalions plus haut, le texte de décret doit encore franchir plusieurs étapes. En l’occurrence, une évaluation par le Conseil d’Etat et un débat au parlement.

Or, lors de la discussion intervenue en avril en commission (fonction publique) au Parlement wallon, la contre-proposition de décret rédigée par Ecolo avait été considérée comme présentant des pistes (complémentaires) intéressantes par le camp des députés de la majorité. Stéphane Hazée avait alors proposé que le texte d’Ecolo soit lui aussi envoyé au Conseil d’Etat pour examen conjoint. Cet envoi a bel et bien été effectué.

Le Conseil d’Etat pourra examiner, en parallèle, deux propositions de décret Open data: celle du gouvernement et celle d’Ecolo.

Et il y aura encore la discussion finale au Parlement, tout d’abord en commission et ensuite devant l’assemblée. Une discussion qui devrait se tenir “au cours des prochaines semaines”. Dès la mi-mai, comme certains l’espéraient ?

Cela semble trop optimiste. Notamment parce que l’examen final doit se faire au sein d’une commission parlementaire conjointe (Région-Fédération) étant donné que le texte de décret est commun aux deux instances. Or, contrairement à ce que prévoit le règlement d’ordre intérieur du Parlement wallon, une telle commission conjointe n’a pas encore été avalisée dans le règlement d’ordre intérieur du Parlement de la Fédération…

Quoi qu’il en soit, l’examen devrait se faire dans une commission “économie et numérique”, dans laquelle siège le ministre Jean-Claude Marcourt, et non plus une commission orientée “fonction publique“. Notamment pour jeter un éclairage plus économique et numérique sur la question mais aussi pour prendre en compte certains aspects de cohérence avec le programme Creative Wallonia.