EOregions!: exploiter la richesse du big data spatial

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Par · 01/03/2016

EORegions! (Earth Observation Regions) est un projet de R&D, initié dans le cadre du Pôle de compétitivité Skywin. Le consortium de recherche, piloté par Spacebel, se compose par ailleurs du Centre Spatial de Liège de l’ULg, de l’Ecole Royale Militaire, d’I-Mage Consult et, côté infrastructure, de NRB (plate-forme Wallonia Big Data).

Objectif: “dynamiser le marché des services géospatiaux par les données Sentinel en Wallonie”.

“Comparées aux applications spatiales orientées communications ou navigation, celles qui concernent l’observation de la terre par satellites représentent le secteur le plus complexe mais aussi le moins développé”, explique Bernard Stévenot, conseiller et ancien directeur général de Spacebel. Mais un secteur qui, grâce à la collecte, au traitement et à l’analyse des myriades de données générées, est aussi porteur d’innombrables avancées, solutions et services nouveaux et emplois potentiels.

“C’est dans ce domaine que se positionne le projet EORegions!, avec pour objectif de tirer parti de l’évolution fondamentale que sont en train de connaître les applications spatiales d’observation terrestre. Les satellites Sentinel bousculent la manière dont nous avons l’habitude d’appréhender l’observation de la terre.

Jusqu’à présent, l’obtention des données géospatiales était difficile. Désormais, elles seront libres et gratuites, disponibles et exploitables à long terme [grâce aux infrastructures de stockage], fournies à un rythme régulier qui est sensiblement accéléré par rapport aux temps d’attente (de 10 à 30 jours) qui prévalaient auparavant. C’est une véritable révolution.”

Autre révolution – et défi -: les volumes concernés. Chaque année, les satellites européens Sentinel produiront… 50 péta-octets de données, soit 5 millions de giga-octets. Voir ci-dessous.

Faire progresser l’analyse géospatiale

Le projet EO Regions! a dès lors pour ambition de “valoriser les compétences des acteurs wallons du secteur géospatial.” Des compétences présentes ou à développer dans divers domaines: surveillance dynamique du territoire, création de nouvelles chaînes de valeur sur base de l’exploitation des géodonnées, partage et mutualisation de données et de services.

Le programme de recherche pourra s’appuyer sur une plate-forme incluant l’infrastructure Wallonia Big Data et des services logiciels d’exploitation des données, qu’il s’agisse par exemple des images satellite ou de données du Géoportail de Wallonie.

“Les données collectées et exploitées viendront des instruments évoluant en orbite ou aéroportés, de réseaux de capteurs (mesurant par exemple la qualité de l’air) mais aussi des téléphones mobiles puisqu’ils permettent désormais de collecter données et images géoréférencées et identifiées en termes temporels (horodatage)”, souligne Bernard Stévenot.

EORegions!: servir de source de nouvelles technologies, d’outils, de compétences pouvant être exploités par les entreprises locales, dans une perspective d’expertise exportable et reproductible à l’étranger.

Les données ouvertes (open data) et les données générées par l’utilisateur, pour leur part, sont notamment destinées à alimenter et à améliorer les référentiels et modèles de données existants.

Le projet de recherche EORegions!, en lui-même, a pour but de servir de source de nouvelles technologies, d’outils, de compétences pouvant être exploités par les entreprises locales (ou d’autres partenaires).

Il est également conçu dans une optique de “vitrine technologique”. “Il doit motiver d’autres entreprises à se lancer dans l’exploitation des données géospatiales, susciter la création de start-ups, contribuer au Plan stratégique géomatique pour la Wallonie, afin de faire naître de nouveaux services et répondre aux nouveaux besoins des pouvoirs publics, des entreprises et des citoyens.”

Autre ambition: exporter l’expertise locale afin de faire naître et déployer des solutions dans les pays émergents – en Afrique, en Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud. Premiers pays destinataires évoqués: le Sénégal et le Vietnam. Mais des pays et régions plus proches sont également inscrits sur le radar. Notamment la Pologne et la Catalogne.

Une mine d’innovations potentielles

Lors d’une réunion conjointe du Pôle de compétitivité Skywin et du cluster Infopole, Dominique De Rauw, chef de projet Earth Observation & Remote Sensing au Centre Spatial de Liège (CSL) de l’ULg, était venu exposer les défis – mais aussi l’énorme potentiel – que représente l’exploitation des mégadonnées spatiales. Des données brutes gigantesques (un satellite balaye la terre en continu et peut générer des clichés portant sur plusieurs centaines de km2) qu’il faut (re)formater, pré-traiter (par reconstitution d’images au départ des séquences de données transmises), analyser, post-traiter pour en tirer des informations exploitables dans divers domaines: géophysique, agriculture, sismologie…

Ces données peuvent être “croisées”, combinées, enrichies par d’autres venant de multiples sources potentielles. Dominique De Rauw évoquait par exemple la combinaison des données d’observation satellitaire des forêts avec les données dont disposent les propriétaires ou des acteurs tels que Natura 2000.

“On peut combiner les données nouvelles avec les informations anciennes, historiques, dont on dispose. La surveillance dynamique du territoire ouvre par ailleurs de nouvelles perspectives: en combinant et comparant les données d’observation prises tous les 5 ou 6 jours, il devient possible de déterminer les évolutions et changements”, soulignait Dominique De Rauw.

“On peut par exemple penser à des services tels que l’identification des changements de végétation, l’analyse des mouvements de terrain, la surveillance d’anciens puits de mine (affaissements…), d’ouvrages d’art, de calamités, la surveillance de l’évolution du bâti…”

Destinataires de ces “services”? Les professionnels, les chercheurs, les géomaticiens, les administrations locales mais aussi, potentiellement, les simples citoyens.

Le croisement des données géospatiales générées par l’observation de la terre prendra de nouvelles proportions dans le cadre du programme Copernicus, initiative conjointe de l’ESA et de l’Union européenne (Agence européenne pour l’environnement). Il met en oeuvre un ensemble complexe de systèmes qui collectent des données à plusieurs sources: des satellites d’observation mais également des capteurs in situ, c’est-à-dire des stations terrestres, des capteurs aériens et marins.

Les données collectées sont destinées à six types d’exploitation: surveillance de la terre, de la mer et de l’atmosphère, changement climatique, gestion des urgences et sécurité.

Exploration Sentinel

Six missions d’observation ont été planifiées dans le cadre du programme Copernicus. Arrêtons-nous un instant sur les spécificités de la mission Sentinelle 1. Elle repose sur deux satellites en orbite polaire — Sentinelle 1A et Sentinelle 1B — qui partagent le même plan d’orbite et opèrent jour et nuit, quelles que soient les conditions météorologiques, pour obtenir des images générées par des radars dits à synthèse d’ouverture (RSO).

Leurs capteurs disposant de leur propre source de lumière (ondes radio transmises par une antenne), ils peuvent opérer en continu, faisant littéralement exploser les volumes de données collectées. Ces derniers gagnent aussi en important en raison de la précision et de l’envergure de chaque image. Le satellite Sentinelle 1 peut par exemple opérer en mode haute résolution (jusqu’à une précision de 10 m) et en couverture large (jusqu’à 250 km).

Petit calcul rapide: pour une image de 250 km x 250 (25 secondes de temps d’acquisition), il faut compter 1 Go. Après traitement, elle représente déjà un volume de 7 Go.

Multipliez par 1.400 (nombre d’images prises par jour) et cela donne 1.400 Go de données brutes par jour ou une dizaine de téraoctets en niveau 1.

Au cours des 6 premiers mois d’exploitation, 600 To ont été générés – “une quantité phénoménale qui est en constante augmentation”, soulignait Dominique De Rauw lors de sa présentation.

En 6 mois, ce sont aussi 90.000 images qui ont été distribuées dans le cadre de divers scénarios de services, pour divers utilisateurs.