La Wallonie a besoin de “locomotives” et d’efforts Smart City structurés

Hors-cadre
Par · 22/02/2016

L’une des conférences du Salon des Mandataires, qui se tenait, fin de semaine dernière à Marche-en-Famenne, avait choisi comme thème les “villes intelligentes” – et durables. Objectif: faire témoigner plusieurs villes, d’importances diverses, sur les projets qu’elles ont déjà réalisés ou sur la vision qu’elles ont de l’adéquation et de l’applicabilité de ce concept un peu fourre-tout dans leur contexte spécifique. En scène: Wavre, La Hulpe et Liège. Le panel d’invités accueillait aussi notamment des représentants de l’AdN (Agence du Numérique), de Belfius et d’Agoria.

Messages-clé émis par les participants: pour réussir et prendre réellement racine, le phénomène “smart city” – et “smart commune” – doit avant tout partir des besoins réels, sans adopter à l’aveugle des nouvelles technologies pour la simple raison qu’elles ont suscité l’engouement d’autres villes. Autre condition sine qua non, inclure le citoyen, potentialiser l’innovation venue des start-ups, mieux organiser le réseau de ces dernières, s’appuyer sur quelques “locomotives”.

Participation de tous

Si l’on devait résumer l’un des points sur lequel nombre de participants de la table ronde ont insisté, à des degrés divers, c’est que tous les acteurs concernés doivent être étroitement impliqués. A commencer par le citoyen, les acteurs économiques locaux, les pouvoirs publics. Autrement dit – en filigrane – ne pas laisser la main ou la bride sur le cou d’un prestataire technologique qui, aussi séduisante ou affriolante que soit la technologie proposée, peut passer à côté du besoin ou du contexte local.

Jean-Christophe Peterkenne, directeur Stratégie et Développement à la Ville de Liège, mettait ainsi en garde contre la tentation de déployer une même solution, à l’identique, dans toutes les villes et communes, de la cloner. “Faire du smart city ne consiste pas à rassembler un faisceau de technologies mais plutôt à trouver des solutions innovantes afin d’être efficace et de rencontrer les besoins des citoyens ainsi que les grands objectifs stratégiques.”

Ce qui ne veut pas pour autant dire – le piège est tout aussi dangereux – que chaque municipalité doive recréer de toute pièce une solution. Bien au contraire, l’un des messages émis lors du débat, venant de Pascal Poty de l’AdN, était qu’il faut désormais dépasser le stade des projets-pilote – même s’ils sont encore trop rares en région francophone du pays – et progresser vers l’“industrialisation”.

Christophe Dister, bourgmestre de La Hulpe: “si la dynamique est éclatée c’est aussi parce qu’il est difficile de mettre autour d’une même table tous les opérateurs locaux avec lesquels la commune doit compter. Via son projet Smart Village 2025, la commune de La Hulpe veut miser sur une approche globale, avec 5 axes de travail et 10 actions par axe.”

“Un début de dynamisme est certes présent mais demeure éparpillé. On relève quelques réalisations, parfois plus vite du côté des villes intermédiaires, en raison de leur plus grande agilité. Mais il faut absolument se raccrocher à des “locomotives” pour avancer, dépasser le stade du proof of concept.” Ces locomotives peuvent, à ses yeux, avoir un profil industriel, infrastructurel (connectique) ou financier. Il pointe notamment le rôle que peuvent jouer “les grandes entreprises présentes sur notre territoire, mais en impliquant le réseau de start-ups très actives qui ont vu le jour, réseau qu’il s’agit d’organiser.

Il relevait par ailleurs un manque criant: celui de compétences, dans le chef des acteurs publics locaux, pour exploiter efficacement ce qui sera le carburant des “villes intelligentes”. A savoir, les données, matière brute qui doit être enrichie d’“algorithmes, de potentiel analytique, participatif, prédictif” pour devenir intelligente et utile. “Or, on manque encore de tout cela pour aller vers l’industrialisation.”

Jeter les bases

Passer à la vitesse supérieure exige qu’un socle de bonnes pratiques, de guidance, de compétences existe. Et là, on en est encore loin. Essentiellement au niveau des petites entités mais sans que ce constat épargne les villes moyennes ou même de grande taille.

A noter qu’Agoria a publié un “Guide d’inspiration” à l’usage des villes et communes, pour les aider à définir et développer des projets “smart city”, dans les domaines de la gestion de l’énergie, de la mobilité, des bâtiments, de l’environne-ment de vie et de travail, et des communic-ations numériques. Ce guide comporte un certain nombre de cas pratiques, belges et étrangers, de modèles d’affaires et de solutions technologiques. Il peut être téléchargé via ce lien.

Agoria, d’ailleurs, déplorait qu’il y ait encore si peu de réalisations en Wallonie alors que les candidats aux “Awards” annuels de la fédération se multiplient du côté flamand.

Mais dès lors, comment concilier manque de projets, compétences peu présentes au niveau local et besoin de généralisation, voire d’“industrialisation” pour reprendre ce terme?

Thierry Castagne, directeur d’Agoria Wallonia, signalait qu’une mesure a été imaginée dans le cadre du Plan du Numérique. A savoir: la création d’une plate-forme régionale (voir encadré en fin d’article) qui mettrait des ressources et des outils partagés au service de toutes les communes et des acteurs de terrain. “Parce qu’on est loin d’avoir, dans chaque entité, un M. ou une Mme Smart City.”

Il appelle de ses voeux la concrétisation, si possible rapide, de cette “plate-forme”. Il a d’ailleurs reçu un écho favorable de la bouche du ministre Jean-Claude Marcourt qui reconnaissait, lors de son passage au Salon des Mandataires, qu’il était nécessaire de “sensibiliser et d’informer les entités et villages où les bourgmestres et échevins ne savent pas quoi faire, ne savent pas quelle technologie utiliser, quels services espérer des technologies.” Et de promettre qu’avec son collègue Paul Furlan, des efforts seraient fournis à la fois pour informer et diffuser l’information et pour encourager les start-ups proposant des solutions dans cette thématique.

Reste évidemment à concrétiser l’intention.

Jean-Christophe Peterkenne (Ville de Liège): “Une veille est nécessaire pour vérifier l’adéquation des technologies aux besoins. Il faut inventer un endroit où lister les solutions, les mettre à disposition et en pratique.”

Les “barbares” et les locomotives

“Locomotives” et nouveaux entrepreneurs, avec leurs nouvelles technologies et idées, doivent faire cause commune. C’est tout un écosystème participatif – et équitable en quelque sorte – qu’il faudrait mettre en oeuvre. “Il faut connecter les nouvelles filières à des locomotives qui sont capables de faire de l’innovation ouverte”, déclarait encore Pascal Poty. Il reprenait là l’un des thèmes qui lui tiennent à coeur et qui concerne la manière dont on prend en compte et apprivoise le phénomène des “nouveaux barbares”, ces start-ups, souvent venues d’ailleurs, qui imposent de nouveaux concepts, bousculant ou brisant les anciens schémas.

“Les auteurs de ces nouvelles applications s’imposent. Or, elles ne sont passées par aucun marché public, n’ont pas demandé la moindre autorisation aux pouvoirs publics. Mais elles captent et exploitent nos données, dans des data centers qui ne sont pas chez nous, avec des algorithmes que nous n’avons pas décidé et qui détermineront pourtant les actions des citoyens et qui bypasseront les autorités publiques.”

Thierry Castagne (Agoria Wallonia): le principe des smart cities est indissociable de deux éléments à favoriser à chaque stade – de la réflexion à la concrétisation. A savoir: le souci du développement économique local et l’emploi.

Face à ce phénomène, il devient urgent de se l’approprier, de permettre à des acteurs locaux de proposer leurs propres solutions, davantage en prise avec la réalité locale.

N’est-il pas aberrant, demandait en substance Pascal Poty, que l’on vante les qualités de nos start-ups innovantes lors de missions à l’étranger et qu’une fois de retour au pays, on s’entende dire par des décideurs clients potentiels locaux: “pas dans mon jardin”?

Les smart cities dans le Rapport du Conseil du numérique

Que recommandait le Conseil du Numérique en matière de projets smart cities?

“- accélérer les projets par le biais d’un cadre réglementaire favorable (marchés publics innovants et Open Data) et une gouvernance innovante

– mettre en œuvre un environnement régional de développement, d’expérimentation et de déploiement des initiatives Smartcities

– mutualiser, via une plateforme en ligne, les ressources techniques et humaines nécessaires à la mise en place d’un projet de type Smartcity et assurer leur transfert vers les pouvoirs locaux.”

Rôle (notamment) de cette plate-forme: identification et évaluation des projets émergents ; accompagnement des projets pour la réalisation des business cases ; veille sur les technologies et les usages ; mutualisation des ressources techniques et légales, des compétences ; mise en oeuvre d’une “matrice et grille d’évaluation générique Smart cities sur la base de la maturité des communes” ; valorisation des initiatives régionales et locales auprès des citoyens.”

Le document du Conseil du numérique préconisait aussi de “lancer (ou spécialiser) un ou des Living Lab(s) dédié(s) à la Smart city pour systématiser les modes d’expérimentation rapides et proposer des lieux démonstration.”

“En Wallonie, les politiques en faveur des Smart cities doivent être envisagées à l’échelle régionale, seule susceptible de permettre une taille critique des usages et un véritable impact sur le développement socio-économique des écosystèmes urbains. Cette approche permettra de lutter contre la dispersion des projets Smart cities, de pallier au manque de points de repère des pouvoirs locaux et d’éviter l’échec d’initiatives locales par une mutualisation des ressources nécessaires à la mise en place d’un projet de Smart city.” [  Retour au texte  ]