ThingsPlay: intégrer l’Internet des Objets dans les solutions industrielles

Portrait
Par · 04/02/2016

Peu avant l’été 2014, la société HMI Products (Wépion) annonçait sa volonté de se lancer sur le marché de l’“Internet of Things” en commercialisant “une plate-forme applicative ouverte permettant de faire dialoguer et interopérer des capteurs et objets connectés en tous genres”. En ce compris dans l’environnement domestique.

La mise sur les rails du projet a pris plus de temps que prévu. Notamment pour imaginer un modèle économique à la fois “pragmatique” et potentiellement rentable. Comme vous pourrez le constater si vous comparer ce qui sera le positionnement réel de la société et ce qu’elle avait envisagé au début (voir notre article de l’époque), le scénario a quelque peu changé… Oubliée la domotique et le client privé. Place à une cible professionnelle et industrielle.

Cap sur l’industriel

ThingsPlay a vu le jour en tant que nouvelle société en décembre dernier (tous les actifs de HMI Products ont été transférés vers la nouvelle entité). Une première levée de fonds est intervenue. Hauteur? 250.000 euros venant d’investisseurs privés et 205.000 euros apportés par NamurInvest sous forme de prêt subordonné convertible.

Si, au début du projet, le marché du consommateur privé figurait sur son radar, la société s’est donc réorientée vers des cibles entreprises et industrie. “Nous nous spécialisons clairement dans l’IoT [Internet of Things] industriel, en proposant aux entreprises des moyens d’exploiter l’IoT et le big data”, souligne Frédéric Jourdain, co-fondateur et patron de la nouvelle entité.

“La domotique a été un point de départ et, ensuite, un levier. Cela nous a permis de réaliser une analyse de marché, un tremplin pour définir notre positionnement. L’Industrial IoT correspond mieux à nos ambitions et compétences. La domotique restera une activité annexe…”

La solution se présente sous la forme d’une carte électronique sur laquelle sont intégrés des capteurs potentiellement de divers types (température, humidité, CO2…) et des connecteurs, eux aussi variés (communications WiFi, 3G, LoRA…), assurant la collecte des données et leur relais vers le serveur où elles sont consolidées, historicisées et analysées. Voir dans cet autre article la manière dont ThingsPlay perçoit le débat WiFi vs LoRA.

End-to-end

Comment ThingsPlay espère-t-elle se différencier parmi la masse naissante de sociétés qui misent sur ce marché de la capture et du traitement de données IoT?

“Nous offrons une solution end-to-end, depuis la capture et la collecte des données, tous secteurs industriels confondus, jusqu’à leur analyse et, chose importante, leur intégration dans les systèmes ERP ou autres outils qu’utilisent déjà les entreprises. Nous ne leur fournissons pas une application – qu’elles possèdent souvent déjà – mais des données exploitables, selon le mode qui leur convient le mieux.” En l’occurrence, selon les besoins, des données temps réel ou des données pré-traitées, avec ou sans historicisation.

“Notre solution est avant tout une offre logicielle. Nous mettons une série d’API à disposition que nous appliquons aux données. Nos clients [pour rappel, de nature industrielle] désirent avant tout que les données qui concernent leurs propres clients soient directement intégrées dans leur ERP ou autre solution. C’est très différent d’une solution qui consisterait à leur permettre d’aller visionner les données sur un portail, avec une belle visualisation graphique.”

Modèle tarifaire? Une facturation sur abonnement en fonction des données et traitements appliqués. “Le coût est calculé sur base du modèle de traitement, de la modélisation opérée, de la volumétrie…”

Détail de la carte ThingsPlay

Les principaux arguments que fait valoir ThingsPlay?

D’une part, des composants matériels et logiciels standard, peu onéreux.

D’autre part, une capacité de traitement: chiffrement des données, inclusion possible de modules de scripting, de génération d’alertes sur base de scénarios prédéfinis…

Capacité de stockage de la carte: actuellement, 64 Ko pour les données et autant pour le logiciel. La prochaine version sera dotée d’une carte microSD qui pourra stocker jusqu’à 1 Go de données et offrir un espace mémoire de 256 Ko pour le logiciel (utile pour pouvoir procéder à des mises à jour en ligne de versions).

A partir de la carte, les données sont relayées vers des serveurs hébergés chez Ulysse Groupe (Mons). Organisés en grappe pour de l’équilibrage de charges (ThingsPlay annonce un potentiel de traitement dépassant le million de données par secondes), les serveurs font appel à la technologie MQTT (Message Queuing Telemetry Transport) d’IBM pour le traitement des données collectées. “L’historicisation se fait en NoSQL sur base de données MongoDB, avec calcul des moyennes, des écarts type… et application de modèles big data pour une historicisation personnalisée – à un rythme hebdomadaire, journalier, au quart d’heure, voire à la seconde…”, explique Frédéric Jourdain.

Pour permettre au client final de consulter, visualiser, intégrer les données collectées, ThingsPlay propose 4 interfaces. La première est l’intégration, comme on l’a vu, avec les solutions de gestion existantes (ERP, par exemple). Deuxième mode: la mise à disposition des données sur une base de données spécifique. Les deux dernières interfaces sont un accès à une plate-forme de visualisation de données (apps.thinsgplay.com) et, enfin, une application mobile sur smartphone pour le pilotage du dispositif.”

Pas d’exclusive

La carte a été conçue de telle sorte à pouvoir s’adapter à un maximum de scénarios et de secteurs d’activités. “Nous avons voulu une solution souple et flexible. Le client choisit les modules et fonctionnalités dont il a besoin. Il peut aussi se passer entièrement de nos composants matériels et n’installer que notre logiciel sur sa propre carte – que nous pouvons concevoir avec lui”, déclare Frédéric Jourdain. “Nous ne voulons pas, à toute force, vendre des cartes. Ce n’est d’ailleurs pas là que se situe la marge mais plutôt dans notre capacité à structurer les données et à les traiter en procurant des API et des modèles de traitement des données…”

Les différenciateurs sur lequels il compte agir? L’argument de l’offre d’une “chaîne complète de valeur, depuis la collecte des données jusqu’à l’intégration avec l’ERP, l’adaptativité aux besoins du client, un marché-cible qui ne se limite pas à la capture de données à finalité énergétique, et une modulation du service offert – collecte temps réel, stockage brut, historicisation, archivage des données (selon des durées personnalisables).

455.000 euros pour commencer

Pour ses débuts, ThingsPlay a donc levé 455.000 euros (250.000 euros de fonds privés et 205.000 euros sous forme de prêt subordonné convertible octroyés par NamurInvest).

D’ici deux ans, ThingsPlay envisage de procéder à une nouvelle levée de fonds, en vue d’initier une phase de croissance à l’international.

Pour Frédéric Jourdain, en effet, le marché belge, trop exigu, “est essentiellement pour nous un marché de prototypage [lisez: un marché où valider le concept et amorcer l’intérêt]. Notre premier gros marché sera surtout la France. Nos ambitions concernent en fait le marché européen. Dès à présent, nous visons d’ailleurs l’outre-frontière par le biais de nos premiers clients. Veolia et Hexagone Robotics sont des sociétés françaises. Stûv compte 80% de ses clients en France…”

Les premiers clients

ThingsPlay n’a pas attendu ses débuts effectifs sur le marché pour approcher de nouveaux clients. Officiellement constituée en nouvelle société en décembre, elle affiche d’ores et déjà quelques premiers clients au compteur. Notamment, le producteur de poêles Stûv, Veolia ou encore le producteur français d’équipements de nettoyage et d’équipements de piscines Hexagone Robotics.

Découvrez dans cette partie de notre article réservée à nos abonnés Select et Premium, la solution déployée pour ces trois sociétés – selon le cas, pour du télémonitoring de paramètre ou pour une collecte systématique de données accompagnée d’historicisation et analyse. Mais toujours avec intégration avec les systèmes de gestion pré-existants. A découvrir aussi d’autres secteurs auxquels ThingsPlay prévoit de s’attaquer

Le premier client belge qu’a décroché ThingsPlay est le producteur de poêles Stûv. Un connecteur ThingsPlay est désormais inséré sur la carte de régulation intégrée aux poêles à pellets Stûv.

La carte collecte en continu une foule de données sur le fonctionnement du poêle (courbes de charges en mode chauffe et refroidissement…) afin de le caractériser en fin de chaîne de production et d’avoir ainsi un “profil” auquel comparer son fonctionnement à vie. Utile pour de la maintenance préventive…

L’espoir de ThingsPlay est que Stûv généralise l’implémentation et intègre son connecteur dans tous ses poêles et opère ainsi une surveillance à distance. A terme, cela permettra en effet une surveillance de fonctionnement par l’utilisateur lui-même. “Il devient possible de vérifier le taux de consommation de pellets, leur qualité, taux d’humidité…”

Les données de surveillance de charge sont collectées, stockées dans l’application propre à Stûv et, de là, importées directement dans son ERP.

Les deux autres premières références de ThingsPlay viennent de France. Veolia a décidé de lui faire confiance (et de tester l’adéquation de la solution) pour la surveillance de l’une de ses stations d’épuration d’eau. Quelque 450 indicateurs concernant la qualité des eaux traitées sont collectés toutes les 15 secondes.

Des “objets communicants” dans les contextes les plus variés… Ici: un système de nettoyage Hexagone Robotics

“Veolia avait déjà installé des automates programmables mais sans qu’il y ait de pilotage ou de génération de rapports intégrés. Notre carte permet de collecter les données, celles générées par les automates mais aussi d’autres, qui lui sont propres, et de produire des données statistiques en vue de la génération de rapports.”

Pour ce contrat, ThingsPlay avait notamment pour concurrent un certain Siemens, qui proposait une solution davantage “grosse Bertha” et moins souple que celle de la jeune start-up namuroise.

L’avantage tarifaire a clairement joué en faveur de ThingsPlay, “avec une solution non propriétaire, en mode SaaS, avec facturation “à la donnée”. Siemens était sans doute en mesure de supporter du 100.000 données à la seconde mais le client n’en avait pas besoin… Son intérêt premier était à la fois la collecte, l’exploitation et l’historicisation des données.”

Autre client français: Hexagone Robotics. Le but: procurer une analyse des statistiques d’utilisation et de fonctionnement de robots utilisés pour le nettoyage de piscines, privées ou de collectivités.

S’attaquer à d’autres problématiques

Autre exemple potentiel de client que ThingsPlay aimerait sans doute ajouter à son répertoire: les intervenants de la chaîne de froid dans le secteur du transports de médicaments. “Il n’y a pas de traçabilité complète de cette chaîne”, souligne Frédéric Jourdain. “Le dernier maillon de la chaîne reçoit des données disparates des différents opérateurs, ce qui impose un important travail sur les données…”

Reste à convaincre les acteurs et à leur proposer un modèle qui, économiquement, tienne la route.   Où placer les capteurs, selon quel degré de granularité de surveillance et de suivi, à quel coût… Sur ce dernier point, au-delà des 500 unités, le prix d’une carte ThingsPlay peut théoriquement descendre en-dessous des 20 euros l’unité, en n’y intégrant notamment que les composants strictement utiles.

Actuellement, le prix pour moins de 500 pièces avoisine les 100 euros pièce. Mais la société en est encore à la phase du prototype et de la production en petites séries. Partenaire: Dekimo, associé à la société néolouvaniste QSpin (relire l’article concernant le positionnement conjoint de ces deux sociétés). Pour la production de plus grandes séries, il faudra sans doute trouver un autre partenaire – et pas forcément en Belgique…