Réalité virtuelle & augmentée: à quand le décollage?

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Par · 25/01/2016

Comment les acteurs locaux voient-ils le potentiel, les possibilités de déploiement de solutions de réalité virtuelle ou augmentée? Quels sont les marchés les plus porteurs chez nous? Et quels sont les obstacles encore à franchir? Petit tour d’horizon.

“L’éclosion du marché de la réalité virtuelle et augmentée (AR/VR) devrait arriver entre 2016 et 2018 avec la commercialisation des dispositifs grands publics”, estime François Honhon, co-fondateur de l’agence 3D liégeoise Cynaptek.

“Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour que ce marché soit mature. En effet, la miniaturisation a fait des progrès, le prix est accessible (on parle de montants entre 100€ et 500€ selon le dispositif) et la création de contenus 3D est à la portée de tous grâce aux éditeurs 3D tels que Unity3D, CryEngine ou Unreal Engine.

Nous pourrions comparer le marché actuel à celui des téléphones portables il y a quelques années. Selon cette analogie, nous sommes actuellement dans la phase de commercialisation des premiers GSM, qui vont ensuite céder la place aux smartphones plus puissants, plus petits, avec de meilleurs écrans et la collection d’applis qui les accompagne…

La Belgique devrait logiquement suivre la tendance du marché global. Les sociétés vont progressivement prendre conscience des nombreuses opportunités qu’offrent les technologies AR/VR et vont vouloir les exploiter. En toute logique, des sociétés vont donc se créer ou adapter leurs services pour répondre à la demande.”

Même si…

Des freins subsistent en effet. A commencer par le proverbial retard – ou regard prudent du Belge. “La Belgique a plutôt tendance à adopter des innovations sur le tard, lorsqu’elles ont eu le temps de faire leurs preuves chez nos voisins. Je pense donc que le marché belge mettra un peu plus de temps à prendre son envol.”

Quels secteurs l’adopteront en priorité?

Pour François Honhon (Cynaptek), il ne fait aucun doute que “le marché de l’AR/VR va d’abord exploser dans le divertissement, et particulièrement du côté des jeux vidéo – on parle d’un marché représentant 5 milliards de dollars dés 2018. Mais les applications concrètes pour les entreprises sont nombreuses.” Voir cet autre article où François Honhon énumère une série d’applications possibles de la “VR/AR”.

Juan Bossicard, directeur de la cellule ICT & Creative Industries chez Impulse, pointe quant à lui en priorité le marketing: “Les marques joueront le jeu parce que la VR est un intéressant outil de marketing”. Avec un effet de captivité totale (du moins, pourrait-on dire, dans l’état actuel de la technologie… “Ces dernières années, l’évolution de la technologie, avec la multiplication des écrans via lesquels l’utilisateur consomme informations et messages, la manière dont un annonceur touche son public a été diluée. La réalité virtuelle a l’avantage de capter l’attention totale du “viewer”, de rendre l’audience captive et, par ailleurs, de créer des émotions nouvelles, intrinsèquement liées aux marques.”

Juan Bossicard (Impulse): “Les distributeurs de matériels et de contenus devront s’appuyer sur des créateurs locaux pour attirer des gens vers la VR.”

Mais à ses yeux, les opportunités sont nettement plus vastes, pour toute une série d’acteurs, en ce compris locaux. Des acteurs aux profils divers et variés: concepteurs de périphériques et de dispositifs en tous genres “qui viendront enrichir l’expérience immersive”, producteurs de contenus et applis “où pratiquement rien n’existe encore”, agences proposant des services d’un genre nouveau “en ce compris aux PME”, ou encore “toute société désireuse de se différencier en rendant leur interface compatible avec la réalité virtuelle.”

“La réalité virtuelle va modifier en profondeur la manière dont les gens se connectent et interagissent à distance, dont ils collaboreront.”

Pour Pierre Collin, directeur du cluster TWIST, la première opportunité se situe du côté de l’événementiel et de la pub – parce que c’est là que sont pour l’instant les budgets. L’avantage étant toutefois que ce fil rouge traverse une multitude de secteurs.

A ses yeux, il faut avant tout jouer sur la créativité et pas uniquement dans la production de contenus mais aussi en termes de scénarios de déploiement en multi-plates-formes, multi-contextes.

Car le défi premier, dans l’état actuel des choses – et plus encore pour de petits acteurs -, c’est le modèle business. A cet égard, souligne Pierre Collin, il faut éviter de limiter l’“AR/VR” à la seule technologie qui la sous-tend. Il faut penser plus large, penser interactions et implications avec d’autres dimensions, telles que l’exploitation des données, l’analytique…

Trio technologique gagnant, aux yeux de Pierre Collin: AR/VR, captation omnidirectionnelle, reconnaissance des mouvements.

Quelles sont, selon lui, les principales attentes des acteurs locaux? “Un accompagnement, l’opportunité d’être présents aux grands événements internationaux qui comptent – une présence qu’une PME ou une start-up ne peut financer. Et aussi l’opportunité aussi d’être mis en contact avec de potentiels donneurs d’ordre de gros calibre.”

La réalité augmentée, comme outil fonctionnel

Si une société telle que Disruptive Digital Studio se positionne avant tout sur le terrain du marketing (lire notre article), Laurent Silan, son directeur, est convaincu que la vraie valeur viendra de l’insertion de la réalité virtuel dans les processus professionnels et industriels.

Avant d’introduire un nouvel élément dans un environnement industriel, mieux vaux simuler virtuellement les implications. Source: Siemens.

“De grands acteurs tels que PTC, en intégrant la réalité virtuelle dans leurs propres solutions valideront la technologie et permettront son intégration dans notre tissu industriel. Cela permettra de donner naissance à des solutions fonctionnelles, d’optimiser les processus avec lesquels de nouvelles interactions seront possibles. Bien au-delà du simple effet waouw de la réalité virtuelle… Chez nous, la vision reste encore trop limitée aux jeux vidéo et à une audience de gamers.”

C’est la raison pour laquelle il a établi un contact avec un acteur tel que PTC, concepteur de solutions de Product Lifecycle Management, dans l’espoir de pouvoir conclure avec lui un partenariat pour l’utilisation de ses solutions logicielles (PTC a racheté la plate-forme de réalité augmentée Vuforia de Qualcomm Connected Experiences, ainsi que ThingWorx, spécialisée en IoT) afin de simplifier les processus de conception des solutions imaginées par Disruptive Digital Studio. La boucle serait alors bouclée: de la réalité virtuelle ou augmentée pour la conception de dispositifs de réalité virtuelle!

Côté professionnel et industriel, les applications potentielles de la VR se situent dans le domaine de la conception, de la manipulation de données complexes, de la maintenance de produits, dans celui de la formation de personnel technique. “Nos modes d’interaction avec les produits vont donc naturellement évoluer vers une réalité mixte associant interactions physiques et numériques”, déclarait notamment Jim Heppelmann, le grand patron de PTC à l’occasion de l’annonce du rachat de Vuforia.

AR/VR pour télé-collaborateurs, chercheurs, formateurs…

Eric Krzeslo, directeur marketing de Softkinetic, estime pour sa part que “l’une des utilisations les plus intéressantes pour la réalité virtuelle est le travail collaboratif où plusieurs personnes interagissent sur un même “objet” caractérisé par une structure complexe. C’est là quelque chose qui intéresse beaucoup les chercheurs. La réalité virtuelle leur permet d’avancer plus vite, d’être beaucoup plus à l’aise dans leurs manipulations.”

A ses yeux, la Belgique est un marché potentiel particulièrement attractif pour la “VR”, compte tenu de la “haute concentration d’industries, chimiques et mécaniques notamment. Avec des bureaux d’études qui travaillent sur des produits complexes.”

Selon lui, la réalité virtuelle pourrait s’implanter à la fois dans les départements marketing, production et recherche. “Les départements recherche sont un centre de coûts tandis que le marketing est considéré comme un centre de profit. Il est toujours intéressant pour une entreprise d’utiliser la technologie, en parallèle, dans ces deux centres. Cela doit aller de pair. Pour le chercheur, la réalité virtuelle est un véritable outil. Pour le responsable marketing, c’est un véritable atout pour de nouvelles expériences , un moyen de découvrir un nouveau produit…”

“De nombreux secteurs explorent les potentiels qu’offre la VR et commencent à les expérimenter”, confirme de son côté Matthieu Labeau, responsable business development de Nozon. Il cite notamment le monde de la formation (avec une utilisation déjà effective du côté des forces armées de certains pays ou encore en aéronautique), celui de l’éducation ou des soins de santé “pour se former en explorant le corps humain d’une manière entièrement nouvelle”.

Les obstacles et défis

Premier défi… la technologie, tant côté matériel que côté logiciel.

Des progrès, nombreux, restent à faire. Les différents orateurs qui ont participé, en décembre, à la conférence 3D AR/VR de l’événement 3D Stereo Media (Liège) en ont égrené toute une série.

Côté matériel, on pourrait par exemple citer l’efficacité des caméras de captation vidéo sphérique ou encore l’ergonomie et le poids, l’encombrement et l’ergonomie des casques.

Ni très esthétique, ni très confortable…

Ce dernier est loin d’être un élément anecdotique, soulignait par exemple Angus Cameron, co-fondateur de Vision3, société de production britannique spécialisée dans les contenus 3D. “Déjà que l’on estime que les lunettes connectées sont inconfortables…” Par ailleurs, ajoutait-il, la résolution doit encore évoluer pour que l’expérience [immersive] devienne de qualité. Or, cette résolution est une condition sine qua non pour la qualité des contenus. Et sans contenu de qualité, on court à l’échec.”

Même avis du côté de François Honhon, de Cynaptek: “Hormis les marchés-niche en B2B, il existe encore à l’heure actuelle quelques freins au développement de la réalité virtuelle. Les dispositifs restent toujours un peu encombrants et ne favorisent pas les mouvements. La résolution des écrans manque encore de définition pour garantir une expérience optimale. Les effets nauséeux et maux de tête que provoque cette immersion touche encore beaucoup trop de monde et les moyens d’interactions avec le virtuel sont encore trop hasardeux. Il existe certes des gants connectés et des capteurs qui reconnaissent les mouvements mais ces projets n’en sont toujours qu’au stade pilote. Or, le marché ne décollera vraiment que lorsque l’expérience sera (presque) parfaite.”

Juan Bossicard (Impulse): “l’industrie devra se structurer pour adresser les nouvelles problématiques. Il faudra aussi en passer par une future réglementation européenne.”

La maîtrise de la captation d’images passe aussi par le développement de nouvelles méthodes ou d’algorithmes, par exemple pour éviter que les effets de zoom ou de panoramique ne provoquent des mouvements réflexe de la part de l’utilisateur qui seraient contradictoire avec le but recherché. Les logiciels de recomposition ou assemblage d’images, eux aussi, doivent évoluer, gommer les imperfections du “stitching” afin de produire un effet parallax complet et naturel, sans distorsion.

Sönke Kirchhof, fondateur de Reallifefilm International (Allemagne), soulignait pour sa part que l’une des prochaines étapes à franchir pour obtenir un effet immersif efficace sera l’amélioration du scénario sonore. “Son stéréo, binaural, spatial… Un son binaural [perception par les deux oreilles en simultané] est nécessaire pour guider l’utilisateur dans un environnement 360°. Le son spatial est, lui, nécessaire dans les casques pour optimiser l’immersion. Quand on bouge la tête, le son doit lui aussi changer afin que l’on ne capte pas le son qui provient de l’endroit d’où l’on vient.”

Autres éléments sur lesquels il attirait l’attention: la puissance et l’efficacité de la chaîne de traitement qu’implique la captation de milliers d’images en 360°

Quid du modèle économique?

Le potentiel économique de la VR et de l’AR, en particulier dans certains secteurs d’activités, le modèle économique sur lequel la production de contenus devra se reposer, sont encore assortis d’un énorme point d’interrogation. “On se situe encore au stade de la R&D. Il faudra passer d’une attractivité pour le monde des amateurs [et autres fanas] à une portée nettement plus large. Et, en la matière, tout dépendra de la mise en oeuvre”, déclarait Angus Cameron (Vision3) lors de la conférence 3DSM. “Il s’agit de trouver les bonnes recettes pour que la réalité virtuelle s’infiltre dans le monde quotidien, celui du bureau, de l’hôpital… A ce stade, la dimension divertissement sera devenue partie intégrante de ce nouveau monde.”

Autre – très – grosse inconnu: le caractère disruptif qu’imprimeront de nouveaux acteurs venus de secteurs “improbables”.