Juan Bossicard (Impulse): “Soyons plus conciliants avec les projets VR”

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Par · 25/01/2016

Il est, à titre personnel, un fan de jeu vidéo et a développé, ces derniers temps, une passion pour la réalité virtuelle et augmentée qu’il a “évangélisé” dans le cadre de ses fonctions de directeur de la cellule ICT & Creative Industries chez Impulse (ex-Agence bruxelloise de l’Entreprise).

Juan Bossicard est l’une des chevilles ouvrières de la jeune “communauté VR” bruxello-belge, baptisée Be.VR, et le porte-drapeau de la VR au sein du MIC, dont il est devenu le président du conseil d’administration depuis quelques mois. De quoi embarquer la Région de Bruxelles dans cette aventure.

Comment voit-il le secteur belge de la VR, les chances et obstacles de positionnement pour les sociétés locales? Comment peut-on poser, en Belgique, les bases d’un secteur VR “performant”?

“En matière de réalité virtuelle, trois astres ou conditions sine qua non doivent être alignées.

Tout d’abord, une offre de formations. Il faudrait par exemple que des écoles telles qu’Albert Jacquard à Namur s’approprient les spécificités de la réalité virtuelle et fassent évoluer leurs formations en conséquence, en adaptant ou éventuellement en créant de nouveaux cours, dédiés aux interfaces VR, aux concepts de mouvement et d’émotions, explorent et enseignent les bonnes pratiques…

Deuxième “astre”: une multiplication des initiatives visant à supporter l’entrepreneuriat et les activités de développement. Il est nécessaire d’organiser régulièrement des activités, des événements spécifiques.”

Et cela, selon lui, pas seulement pour évangéliser la réalité virtuelle mais aussi pour encourager les professionnels à “faire pivoter leur carrière” afin d’insérer la VR dans leur CV et leurs objectifs.

Troisième condition?

“Amener les pouvoirs publics à s’approprier ce nouveau média, à devenir des “early adopters” afin qu’ils puissent eux-mêmes en faire la promotion, procéder à des campagnes de sensibilisation, devenir eux-mêmes des influenceurs.”

Il cite en exemple la réalisation d’Immersia Film: des vidéos filmées en 360° à des fins de promotion touristique en Wallonie. Première réalisation: le film “Spa Experience”. Voir encadré ci-dessous.

Spa, ville thermale, fut l’une des premières à exploiter cette immersion visuelle 360° pour mieux séduire, utilisant ce nouveau type de document pour faire sa promotion lors d’événements (à connotations) touristiques, en ce compris notamment lors de l’Expo universelle de Milan. Le spectateur doit coiffer un casque pour visionner le film promotionnel et s’immerger dans la ville. L’Office du Tourisme de la ville a ainsi installé, à demeure, trois stations VR (Galaxy S6 et le masque Gear VR) à l’hôtel Pouhon Pierre le Grand.

Le film “Spa Experience” permet de découvrir l’histoire, les bâtiments et monuments de la ville, son environnement nature. Lisez plutôt le ‘pitch’ du film: il “transporte le spectateur au coeur des Fagnes parmi les grues en migration, l’installe au volant d’une Audi R8 en pleine course des 24H, le plonge dans la piscine extérieure des Thermes de Spa, dans une montgolfière en vol, ou en chute libre à plus de 200 km/h au-dessus des nuages”.

La promo du film fait également découvrir d’autres attraits touristiques belges. En l’occurrence, via une immersion dans le rondeau, en plein carnaval de Stavelot, dans l’enclos des loups au parc animalier Forestia de La Reid (près de Theux) ou sur la Grand-Place de Bruxelles lors d’un spectacle son et lumière.

Il y ajoute une quatrième condition essentielle: des acteurs qui aient les moyens de leurs ambitions. A cet égard, il identifie, du côté des acteurs locaux, une situation pouvant potentiellement leur poser des problèmes de compétitivité à l’avenir.

“De nombreuses sociétés belges actives dans la réalité virtuelle opèrent en mode services, sur commande de tiers.

La multiplication des opportunités à laquelle on assistera sur le marché va leur poser des problèmes de croissance. L’organique ne suffira pas.

Dès à présent, les acteurs locaux ne peuvent satisfaire la demande et sont incapables de remettre offre sur de gros projets parce que les effectifs leur font défaut. Elles ne peuvent pas travailler en parallèle en mode service et sur des projets ambitieux. Le problème du financement de telles sociétés se pose face à la nécessité de surfer sur la vague exponentielle qui se prépare.”

Et de poser la question suivante: des fonds tels que St’Art ou Wallimage peuvent-ils apporter une réponse ou une partie de la réponse, en proposant par exemple des aides directes ou en servant de garantie pour des prêts bancaires? “Cela aiderait à tout le moins les sociétés à recruter et à se mettre ainsi en position de répondre à des appels d’offre importants.”

Catch 22

Quant à voir nos acteurs locaux se lancer dans le développement de produits, l’obstacle à franchir est encore plus grand à ses yeux. Des capitaux à risque sont pour cela indispensables. “Contrairement aux capital-risqueurs américains, les financeurs européens exigent d’abord que les demandeurs leur apportent la preuve d’un marché validé, de ratios ROI prouvés, d’expansion commerciale possible… Or, il est impossible de prouver la traction d’un MVP [minimum viable product] dans le secteur de la réalité virtuelle. Des entreprises orientées produits trouveront donc difficilement du financement…”

Juan Bossicard (Impulse): “La réalité virtuelle est un carrefour interdisciplinaire qui fait intervenir de multiples compétences et techniques: 3D, vidéo, audio, présence, interfaces, test d’applications…”

S’y ajoutent deux autres défis ou écueils. D’une part, l’appel d’air que suscitera la VR pourrait susciter la naissance d’une myriade de petits acteurs et agences, plus ou moins sérieux et compétents, “à la manière dont s’est faite la ruée vers l’or des sites Web”. Gare aux promesses surfaites, réalisations décevantes, factures salées pour le client peu averti et autres mauvaises surprises.

Deuxième écueil: la taille du marché local et la rentabilité qu’il peut procurer.

“Le nombre d’acteurs VR sur le marché, en ce compris à l’étranger, est encore limité. Une société belge a dès lors plus de chances de concurrencer efficacement des acteurs étrangers sur leur propre terrain.

Il faut éviter, en matière de VR, de penser trop belgo-belge. Il est au contraire conseillé d’avoir d’emblée une bonne perspective afin de pouvoir capter des clients étrangers, synonymes de marges plus intéressantes. A condition d’avoir des collaborateurs disposant d’une expertise suffisante, des commerciaux d’une certaine stature. A partir de là, la société belge pourra mieux trouver du financement…”

Et c’est là qu’on retombe dans le risque de cercle vicieux: si une société belge ne pense que local, elle ne pourra compter que sur une croissance organique qui, de toute façon, est insuffisante pour sa croissance et sa compétitivité. Mais il lui faut investir pour engager des ressources, gagner de beaux contrats à l’étranger et s’attirer ainsi l’opinion favorable d’investisseurs… Et “en opérant en mode services, on peut difficilement financer sa croissance ou une internationalisation.”

Ce point a été soulevé lors de la réunion acteurs locaux/représentants publics. Avec un appel du pied du côté des acteurs publics pour qu’ils dégagent des moyens pour financer des projets VR relativement ambitieux qui auraient l’avantage de jouer à la fois un rôle d’amorces et de références pour décrocher d’autres beaux contrats et enclencher le processus de croissance.

Quelles priorités?

Quels seraient dès lors, selon Juan Bossicard, les choses à mettre en oeuvre à court terme, les besoins immédiats?

“Il faut sensibiliser le public. Par exemple au travers de démos, d’événements réguliers. Il faut, de même, sensibiliser les grandes entreprises et les industriels.

Il faut aussi que les acteurs belges apparaissent sur la carte des gros acteurs du secteur, les Samsung, Oculus, Facebook… La Belgique figure malheureusement parmi les pays de seconde zone, sur leur radar et dans leur stratégie d’investissement et d’allocation de budgets marketing, là où la France, le Royaume-Uni mais aussi les Pays-Bas figurent en tête de leurs listes.”

Juan Bossicard (à g.), en pleine action VR, lors du récent VR Hackathon de Bruxelles.

Et pour attirer l’attention, il prône le volontarisme. A l’exemple de ce qui a été mis en oeuvre pour l’organisation du premier hackathon dédié à la réalité virtuelle, qui s’est déroulé à Bruxelles entre le 14 et le 16 janvier (relire l’article que nous y avons consacré).

“Nous avons réussi à obtenir un financement de la part de quelques “majors” tels que Microsoft, Google ou Samsung en avançant quelques arguments, tels le fait qu’il s’est vendu, à ce jour, plus de casques Samsung Gear en Belgique qu’aux Pays-Bas… Il faut être pro-actif, “vendre” les bons concepts auprès des majors qui sont d’autant plus intéressés qu’ils recherchent des clients pour faire la promo de leurs plates-formes.” Et qui cherchent aussi des talents, des développeurs, voire de bonnes idées de scénarios ludiques et de jeux. A cet égard aussi, les représentants de Samsung ont eu l’occasion de glaner des filons potentiellement intéressants auprès des quelque 12 équipes qui ont turbiné tout le week-end. Parfois avec des protos de jeux qui sont à quelques encablures d’un lancement réel – comme le jeu Curious Craft. Relire notre article consacré au VR Hackathon.

Le goulet du financement

La remarque ne vaut évidemment pas uniquement pour le secteur de la réalité virtuelle mais la “frilosité” des investisseurs locaux, moins audacieux – ou casse-cou, c’est selon – que leurs homologues américains, est souvent remise sur le tapis.

Comment un porteur de projet peut-il satisfaire un investisseur potentiel qui lui demande des gages de rentabilité qui n’existent pas? Comment financer un marché aussi naissant et des modèles commerciaux aussi improbables et difficiles à chiffrer?

Pour Juan Bossicard, un début de réponse peut éventuellement venir des invests publiques… “Elles doivent regarder la VR d’un oeil plus positif et prendre un risque.” Pour lui — mais il est, rappelons-le, un convaincu et même un “accro” des jeux vidéo et de la VR —, cela ne fait aucun doute: “il y aura une importante demande. Soyons dès lors plus ouverts, plus conciliants avec les projets VR parce que l’opportunité de marché est bien réelle.”

Il aspire également à un changement d’optique de la part d’organismes publics de financement tels qu’Innoviris à Bruxelles. “Ces organismes doivent accepter qu’on puisse innover dans le contenu et pas uniquement en développement de logiciels, d’algorithmes ou de matériels. Il y a toujours ce prisme d’évaluation sur lequel ils s’appuient et qui établit une distinction entre développement et recherche. Ce qui n’est pas considéré comme recherche pure n’est pas retenu.

0r, virtualiser Outlook par exemple grâce à la réalité virtuelle, doter le client mail d’une nouvelle interface pour y ajouter des fonctions, une interaction différente, c’est certes du développement, pas de la recherche, mais c’est innovant. Aujourd’hui, toute la magie est dans l’interface, l’interaction avec l’utilisateur et cela s’applique à tout – les applications de gestion, la banque, la logistique… Pourquoi ne pas créer une nouvelle catégorie [pour l’octroi de fonds dédiés à l’innovation]?”

Au-delà du financement, la création d’un contexte et d’un écosystème propices devrait à ses yeux être l’un des chantiers auxquels un acteur tel que l’Agence du Numérique pourrait s’atteler. “Il faudrait lancer un groupe de travail et de réflexion, une cellule, voire un incubateur.”

Quid du cluster TWIST? “Il a clairement un rôle à jouer. Si une grappe se crée, nous [lisez à Bruxelles, notamment au niveau des clusters software.brussels et screen.brussels] nous l’encouragerons, nous nous alignerons…”

Côté Bruxelles, il milite activement pour que le cabinet de l’Economie ajoute la thématique de la VR parmi les secteurs prioritaires à privilégier. Le Ministre Didier Gosuin avait d’ailleurs été invité – et avant accepté – lors de la remise des prix du récent VR Hackathon de Bruxelles.

Via le MIC (Microsoft Innovation Center) Brussels dont elle est partenaire, la Région est d’ailleurs engagée de facto dans le soutien aux acteurs de la VR. Depuis quelques mois en effet, la réalité virtuelle est venue s’ajouter à la santé comme thématique, Microsoft ayant, elle aussi, des ambitions en matière de VR.

Autres acteurs qui, à ses yeux, pourraient donner un petit coup de pouce, cette fois au rayon vidéo 360/vidéo immersive: “Wallimage, la Rtbf, les télévisions régionales. Ils pourraient valider, s’approprier ce format et le supporter en commandant des contenus, des créations, de la production live. Ne serait-ce qu’avec du matériel basique. La VRT l’a fait en créant un groupe de travail mais aussi au travers, déjà, de quelques projets-pilote…”