André Vandenberghe (CHU Charleroi): “nombreuses opportunités pour les acteurs e-santé locaux”

Interview
Par · 16/11/2015

Les discussions intervenues lors des Assises du Numérique et les travaux du Conseil du Numérique ont porté sur l’identification de mesures, de projets et initiatives qui, en matière d’e-santé, pourraient avoir un impact, un effet de dynamisation sur l’économie de la Région.

Nous avons rencontré trois professionnels du monde des soins de santé — André Vandenberghe (CHU de Charleroi), Isabelle Salmon (Hôpital Erasme, Bruxelles) et Julien Compère (CHU de Liège) — qui ont activement participé aux travaux des Assises et du Conseil du Numérique. Objectif: faire avec eux le point sur les propositions remises par le Conseil du Numérique au Ministre Marcourt (et, derrière lui, au gouvernement wallon).

Que se cache-t-il derrière le rapport du Conseil? Quelles sont les priorités que le futur Plan du Numérique devraient favoriser? Quelles opportunités peuvent/doivent-elles être saisies par la Wallonie et par ses acteurs économiques dans le domaine de l’e-Santé?

André Vandenberghe (CHU Charleroi): “nombreuses opportunités pour les acteurs e-santé locaux”

Interrogé sur ce que le futur Plan du Numérique wallon devrait identifier comme besoins prioritaires sur lesquels se focaliser dans le secteur de l’e-santé, André Vandenberghe, directeur informatique du CHU de Charleroi et directeur du projet RSW (Réseau Santé Wallon), commence par souligner que les “besoins sont énormes et les attentes extrêmes”.

Indépendamment des thématiques qui peuvent être des opportunités économiques et technologiques pour les acteurs locaux, il pointe deux besoins essentiels auxquels Régions et fédéral devront répondre impérativement.

Le premier besoin essentiel est, selon lui, l’intégration entre les solutions mises à disposition des divers prestataires (médecins généralistes, spécialistes, pharmaciens, médecins hospitaliers, infirmières…). “Même au sein des hôpitaux, il y a encore un manque d’intégration entre solutions [Ndlr: DPI (dossier patient informatisé), DII (dossier infirmier informatisé)…] Cela provoque de multiples réencodages.”

La compartimentation des spécialités, profils et solutions demeure trop importante. C’est d’ailleurs là l’un des chantiers prioritaires auxquels veut s’attaquer le Plan d’Actions fédéral (relire notre article).

Or, le besoin d’échanges entre divers “métiers” médicaux ne peut que gagner en importance, aux yeux d’André Vandenberghe. Notamment en raison de la tendance croissante (en partie pour raisons budgétaires) à un raccourcissement des séjours en hôpital avec tout ce que cela implique en termes d’entrée en jeu d’autres intervenants, pour assurer la suite du traitement (en hospitalisation à domicile, période de convalescence, de revalidation…

Deuxième besoin majeur: la sécurité. “Si l’on veut que les professionnels s’échangent et partagent les données patient, il faut nécessairement que la sécurité et la confidentialité des données apparaissent comme des garanties”, souligne André Vandenberghe. “L’Etat ou les Régions devraient investir davantage sur cet aspect de “confiance”. Les hôpitaux, de leur côté, communiquent encore mal sur ce qui est fait avec les données dont ils disposent, comment la vie privée des patients est protégée.”

Opportunités locales

D’ici janvier 2018, le Plan d’Action fédéral prévoit que tous les patients aient accès à leur dossier médical résumé (le “Sumehr”, SUMmarized Electronic Health Record, en jargon médical). Il y a donc une opportunité à saisir par les éditeurs de logiciels, en ce compris locaux.

Découvrez dans la suite de l’article, réservée à nos abonnés Sélect et Premium, ces opportunités auxquelles pense André Vandenberghe pour les acteurs locaux. Il y sera question d’applications mobiles, d’alternatives à la carte d’identité électronique comme moyen d’identification et d’accès sécurisé, mais aussi de l’intérêt quasi vital qu’il voit pour les acteurs locaux à défendre leurs intérêts au sein d’un “cluster” e-santé.

Première opportunité pour eux: développer des outils d’accès, y compris au départ des équipements mobiles et autres dispositifs “mettables” et capteurs en tous genres qui se multiplient dans notre quotidien.

Il s’agira en effet de connecter les données ainsi générées et collectées à celles du dossier médical officiel. Non seulement pour le compléter mais aussi pour que les professionnels disposent d’informations potentiellement utiles pour garantir la qualité des soins tout au long du trajet patient et dans son quotidien.

Au niveau du plan fédéral e-Health, un processus d’accréditation sera d’ailleurs mis en oeuvre afin de certifier les logiciels et applis mobiles, veiller à la qualité et à la pertinence des flux et connexions qu’ils activeront.

Un groupe de travail – dont la composition, à ce jour, n’a pas encore été déterminée – se penchera notamment sur les conditions et modalités d’accès aux données du dossier. Idéalement, estime André Vandenberghe, ce groupe de travail devrait comprendre, outre des professionnels des soins de santé, des représentants des associations de patients et des réseaux (régionaux) collecteurs d’information.

André Vandenberghe: “La majorité des échanges de données médicales se font sur le territoire régional. Les acteurs locaux sont donc sans doute mieux placés pour proposer des solutions qu’ils peuvent promouvoir auprès des patients, par exemple par l’entremise des associations de patients…”

L’occasion est belle via cette procédure d’accréditation ou de certification de logiciels de mettre en oeuvre un label qui renforcera la confiance et les garanties de traitement judicieux des données. Cela, aux yeux d’ André Vandenberghe, pourrait aussi faire office d’appel d’air pour les initiatives et développements locaux. “On constate que la majorité des échanges de données médicales se font en local [sur le territoire régional]. De ce fait, les acteurs locaux sont sans doute mieux placés pour proposer des solutions qu’ils peuvent promouvoir auprès des patients, par exemple par l’entremise des associations de patients…”

En matière de sécurité et de création de confiance, André Vandenberghe estime que la Région, via les compétences qui sont désormais les siennes, pourrait apporter sa pierre à l’édifice en “agissant sur l’un des aspects handicapants actuels qui est le recours obligatoire à la carte d’identité électronique comme seul et unique moyen d’identifier patients et professionnels.

André Vandenberghe: “Pourquoi ne pourrait-on pas stimuler, au niveau des acteurs locaux, la création d’autres solutions, reposant par exemple sur le principe Digipass et des tokens?”

Cela pose actuellement encore un problème sur les terminaux mobiles et dans des environnements utilisant des navigateurs Web pour lesquels les solutions du fédéral n’offrent pas une compatibilité optimale. Pourquoi dès lors ne pourrait-on pas stimuler, au niveau des acteurs locaux, la création d’autres solutions, reposant par exemple sur le principe Digipass et des tokens? Le besoin est important. Ce serait une bonne chose que des acteurs wallons portent de telles solutions…”

Quels créneaux porteurs pour les acteurs locaux?

Le domaine des applis mobiles, déjà évoqué plus haut pour l’accès au dossier médical personnel, est une évidence aux yeux d’André Vandenberghe. Le terrain est encore largement vierge, le marché reste à créer et représente une belle opportunité à condition de veiller à une relation “privilégiée” entre start-ups, acteurs commerciaux, acteurs hospitaliers, RSW…

Autre terrain fertile: le télémonitoring, qu’il soit de nature médicale ou fitness. C’est toute la problématique de la surveillance et du contrôle du patient à distance et du suivi des soins à domicile.

Troisième domaine à exploiter: l’informatisation de l’hôpital, où le travail est loin d’être terminé.

Un “cluster” e-santé

Le Conseil du Numérique, dans son rapport final, ne va pas jusqu’à recommander la création d’un nouveau “pôle de compétitivité”, dédié à l’e-santé, mais parle plutôt d’une “grappe – ou éventuellement un cluster technologique coordonnant les acteurs wallons de l’e-santé.”

Pour André Vandenberghe, cette “grappe” pourrait être l’ébauche d’un forum, le lieu où les acteurs industriels se rencontrent, se concertent, échangent. “Ce serait la plate-forme où acteurs commerciaux, représentants des mutuelles, des hôpitaux, des patients… se rencontrent, expriment les besoins pour atteindre, au mieux, les objectifs.”

“Sur le terrain des solutions de telemonitoring, par exemple, les acteurs wallons sont assez nombreux mais tous petits. Il y aurait donc intérêt à organiser une synergie entre eux mais aussi avec d’autres acteurs.”

Ce constat, estime-t-il, peut être généralisé à l’ensemble de la réalité des solutions informatiques ou télématiques pour soins de santé.

“La Wallonie souffre d’un déficit, en termes d’acteurs. Les acteurs industriels sont petits. Ils devraient peut-être se fédérer pour atteindre une taille critique sur le marché.”

Dans cet esprit, il estime que l’idée de créer une grappe (ou “cluster”) dédié à l’e-santé est une bonne chose. Une “grappe” qui “regrouperait les acteurs wallons pour améliorer leurs performances.”

Il rappelle que “la labellisation des logiciels spécialisés destinés à la première ligne [généralistes] s’est soldée par une hécatombe dans les rangs des acteurs francophones. Il ne reste plus que deux logiciels labellisés pour infirmiers. Plus rien pour les kinés. L’écrémage fut intense.” La Flandre a quasi tout repris son compte, notamment via Corelus, actif dans de multiples créneaux (médecins généralistes, maisons de repos, pharmaciens, soins à domicile…).

Conclusion? “Si les acteurs wallons veulent survivre, ils doivent s’unir. Le RSW peut les aider à exploiter les services mis à disposition par la plate-forme fédérale e-Health. Ils doivent potentialiser leurs échanges, éviter de développer des solutions que d’autres proposent déjà, se faire mieux connaître. A cet égard, l’idée d’un cadastre e-santé, avec une liste “qui fait quoi”, serait déjà utile.”

Autre conseil: jouer la carte du partenariat.

Si les acteurs locaux se fédèrent, s’inscrivent dans le cadre de cette grappe, ils pourraient aussi en faire leur représentant pour peser plus lourd dans les négociations et échanges avec la Flandre et le fédéral (plate-forme eHealth). “A l’heure actuelle, la petite taille des acteurs locaux, leur poids modeste, leurs lacunes linguistiques [bilinguisme rare] et le fait qu’ils sont mal représentés les défavorisent. Les choix effectués au niveau de la plate-forme fédérale eHealth sont parfois orientés en défaveur des acteurs wallons. Tous les dirigeants e-santé sont flamands. Leurs réflexions, l’initiation de projets-pilote se tournent donc quasi naturellement vers les industriels flamands. Cela met le pied à l’étrier pour ces derniers.” La grappe wallonne e-santé aurait donc l’avantage d’être un relais régional pour les acteurs wallons, pour améliorer leur représentativité et leurs chances d’être entendus.

“A l’heure actuelle, la petite taille des acteurs locaux, leur poids modeste, leurs lacunes linguistiques et le fait qu’ils sont mal représentés les défavorisent.”

La grappe devrait aussi, selon lui, oeuvrer dans le sens d’une politique de projets de recherche mieux coordonnés, pour mettre fin à une fragmentation trop importante des initiatives ponctuelles, isolées “voire opportunistes”.

Comme le propose le rapport du Conseil du Numérique, cette grappe pourrait être animée, piloté opérationnellement par l’AdN (Agence du Numérique, ex-AWT), qui guiderait les priorités et les actions “vers des pistes convergentes.”

A suivre… Dans la deuxième partie de l’interview (accessible à tous), André Vandenberghe aborde le sujet du rôle futur du Réseau Santé Wallon. Il commente à cet égard les idées et recommandations formulées dans le rapport du Conseil du Numérique. Il s’exprime aussi sur certains “oublis”, autrement dit des éléments qu’il aurait souhaité voir figurer dans le rapport du Conseil.