“Un coup de pouce fiscal ne suffira pas à rebooster le financement de l’innovation”

Hors-cadre
Par Olivier Fabes · 29/10/2015

Le bâtiment de la Bourse de Bruxelles – bientôt reconverti en Musée de la Bière… – était bien rempli hier soir à l’invitation de BeAngels et Internet Attitude d’ “oser le capital à risque en Belgique en 2015.” Dans son discours, Olivier Lefebvre, ancien CEO de la Bourse et co-fondateur d’Euronext, a quelque peu tempéré l’enthousiasme face aux incitants fiscaux du “Tax Shelter PME”, présenté ensuite par le ministre Willy Borsus.

Quelque 400 personnes avaient répondu à l’invitation du réseau de business angels BeAngels et du fonds d’investissement Internet Attitude. Beaucoup d’investisseurs aux profils très divers, du “business angel” amateur à l’investisseur “private equity” professionnel, quelques entrepreneurs — heureusement — et même des étudiants, pour rappeler que le capital-risque est essentiel pour construire les entreprises de demain.

On y a également vu des représentants d’invests publics, le mérite de l’événement étant justement de favoriser la rencontre entre des mondes de l’investissement qui se fréquentent peu ou prou, ayant des portefeuilles et des cibles souvent très éloignés. Tous n’ont pas non plus la même définition de “capital à risque”, mais tous revendiquent en tous cas la ferme intention de soutenir l’innovation et l’entrepreneuriat.

Les mines étaient réjouies lorsque le ministre fédéral Borsus a présenté les grandes lignes des incitants fiscaux du Tax Shelter pour PME: réduction d’impôt jusqu’à 45.000 euros lors d’une prise de participation dans une start-up de moins de 4 ans, exonération des intérêts de prêts afférents à la première tranche de 15.000 euros, etc. Autant pour l’investissement “private equity” en direct que via une plateforme de crowdfunding agréées.

Tous n’ont pas la même définition de “capital à risque”, mais tous revendiquent en tous cas la ferme intention de soutenir l’innovation et l’entrepreneuriat.

Quelques minutes auparavant, Olivier Lefebvre, ancien patron des lieux (entre 1996 et 2000), a toutefois mis en garde contre le fait qu’un coup de pouce fiscal, aussi bienvenu soit-il, ne suffira pas à résoudre “un problème structurel de tuyauterie défaillante pour faire face aux objectifs de financement de l’innovation et de l’entrepreneuriat en Belgique.”

Fonte ces dernières années

Et l’ex-cofondateur d’Euronext (aujourd’hui patron de Xylowatt et membre du conseil d’administration d la banque New York Mellon), de déplorer la décrue des acteurs financiers “traditionnels” dédiés au capital-risque ces dernières années: “le nombre d’intermédiaires présents sur la place à fondu, le nombre et la taille des équipes de corporate banking se sont réduits, le nombre d’analystes qui suivent les valeurs belges est en forte baisse…”

Certes, de nouveaux types d’acteurs apparaissent dans le private equity ou le crowdfunding, mais d’après Olivier Lefebvre, le mouvement de rattrapage est lent et n’est pas encouragé par les autorités de contrôle, la FSMA notamment.

Incohérences

Le financier égratigne au passage les incohérences politiques, en particulier de l’Europe, qui tout en se targuant de vouloir stimuler l’innovation a privilégié la liquidité des ‘blue chips’ (les entreprises cotées bien établies) au détriment de l’accès aux marchés primaires pour de jeunes entreprises innovantes. “15 ans de perdus pour le capital à risque en Europe.”

Olivier Lefebvre: “Est-on sûr que la taille du bazouka fiscal est proportionnée à la taille de la cible?”

Comme mesures structurelles, Olivier Lefebvre invite à mettre la gomme sur les “fintechs”, ces entreprises innovantes à la croisée entre finance et technologie. “Il faut profiter de ces technologies émergentes pour développer tout un écosystème, moderniser l’ensemble de notre système financier, en s’inspirant de ce qui se fait à Londres ou Luxembourg …”

Rejoint par les deux organisateurs, il a ensuite posé la question du tax shelter lui-même: “Est-on sûr que la taille du bazouka fiscal est proportionnée à la taille de la cible?” Le plafond actuellement prévu de 250.000 euros pour bénéficier du tax shelter est jugé trop bas. “Ne risque-t-on pas d’assécher la mare pour les entreprises qui sont juste au-delà de cette cible ?”

Last but not least, Olivier Lefebvre, défendant l’institution boursière, dénonce le risque d’incohérence politique à vouloir, d’un côté, encourager le private equity et, de l’autre, freiner les marchés publics d’actions avec de nouvelles taxes. “Ce serait une grave erreur. Il faut au contraire un continuum. Les investisseurs d’aujourd’hui espèrent un bel exit demain. Si on veut éviter que cet exit soit systématiquement la vente à une entreprise étrangère, l’introduction en bourse reste quand même une des idées les plus intelligentes qu’on ait inventées.”