Yves Poullet (UNamur): fédérer les efforts de recherche numérique pour être efficace et crédible

Interview
Par · 02/10/2015

Lors de la séance académique de rentrée organisée ce 29 septembre, Yves Poullet, recteur de l’UNamur avait évoqué en quelques mots l’arrivée prochaine d’un “Namur Digital Center” ainsi que la vision qu’il a du futur Digital Wallonia Hub, cet organe appelé à mieux structurer et fédérer (notamment) les rapports recherche-entreprises.

Nous l’avons rencontré afin de creuser un peu ce sujet. Et ce, en quelque sorte, sous une double casquette: en tant que recteur de l’Université de Namur mais aussi en tant que membre du Conseil des Sages (formé de huit académiques) qui a formulé une série de conseils et recommandations au Conseil du Numérique pour la remise de son rapport au Ministre Marcourt.

Lors de la séance académique de rentrée de ce 29 septembre, en évoquant le besoin d’interdisciplinarité dans l’approche de la recherche numérique, vous avez parlé d’un Namur Digital Center. Pouvez-vous en dire davantage?

Relire l’article publié hier, pour retrouver le contexte dans lequel ce Namur Digital Center a été évoqué. 

Yves Poullet: Plus qu’un Digital Center, c’est en fait d’un Namur Digital Institute dont il s’agit. Nous disposons à Namur d’un certain nombre de centres de recherche liés à l’IT et au numérique. A savoir, le groupe Focus (étude de langages déclaratifs, de performances et aide à la décision), Precise (ingénierie et gestion des systèmes d’information avancés), Naxys (systèmes complexes), le CRIDS (informatique, droit et société) et le Circe (innovation et management). Sans oublier la chaire e-gov, qui s’appuie à la fois sur Precise et le CRIDS.

Au total, 200 chercheurs. L’idée est de rassembler tous ces groupes et centres de recherche au sein d’un “Digital Institute” qui puisse donner une image cohérente de la recherche numérique à Namur vis-à-vis de l’extérieur. Cela correspond à notre volonté d’interdisciplinarité, cette dernière étant d’ailleurs un passage obligé dans de nombreux domaines numériques. Pensez au big data ou à l’e-administration, et leurs multiples implications, en termes sociétaux, réglementaires…

Le regroupement sera le fruit d’une procédure interne, devant en principe aboutir en fin d’année (2015). Ce serait un signal fort dans le cadre du Digital Wallonia Hub et présenterait une composante namuroise originale.

Dans la suite de cette interview, réservée à nos abonnés Select et Premium, Yves Poullet nous parle du rôle que devrait jouer, selon lui, le futur Digital Wallonia Hub, chargé de dynamiser les collaborations entreprises-recherche sur le terrain du numérique, ainsi que sur l’importance que devraient tenir, dans les futurs plans et initiatives wallons, le concept d’acceptation sociétale du numérique et la recherche fondamentale.

Au sujet du Digital Wallonia Hub, vous déclariez regretter que la dimension “digital society” n’ait pas été prise en compte dans la proposition faite par le Conseil du Numérique et remise au Ministre Marcourt… Comment voyez-vous ce Digital Wallonia Hub?

Le Digital Wallonia Hub ne doit pas être un pôle de compétitivité en plus. Le secteur IT, le numérique, est en effet présent partout. Cela veut dire que la recherche et l’innovation peuvent émaner de partout – de BioWin, des biotechnologies, de SkyWin… Le Digital Wallonia Hub doit se situer à un autre niveau.

Yves Poullet: “Il faut une réflexion plus large sur le type d’innovation qui est possible, afin de s’en servir pour infléchir la recherche.”

Un parallèle est possible avec ce qu’a fait la Flandre avec iMinds, avec un axe research support, purement académique, et un axe business support.

Mais la question est de savoir si on se limite, du côté participants au dialogue avec la recherche, aux seules entreprises. Il faudrait aussi mettre autour de la table des représentants de l’administration, où il y a beaucoup de choses à développer, et des associations de citoyens, afin d’inclure une réflexion qui vienne de la base. Il faut une réflexion plus large sur le type d’innovation qui est possible, afin de s’en servir pour infléchir la recherche. Peut-être avec une structure plus limitée de contact et de dialogue entre la recherche et l’entreprise. Mais je plaide pour qu’on n’exclue pas l’idée d’un élargissement…

Ce volet supplémentaire doit-il être intégré au Digital Wallonia Hub ou pourrait-il par exemple être assumé par l’AdN (Agence du Numérique)?

L’AdN semble devoir intervenir comme administration de support du Digital Wallonia Hub. Je ne crois pas que ce sera en son sein qu’on pourra avoir cet échange d’idées.

Elargir le cadre à des participants venus de l’administration et de la société civile ne risque-t-il pas de diluer le tout, de créer un nouveau “gros machin” dont il ne sortira rien?

Il n’est pas nécessaire que ce soit un organe, doté d’une personnalité juridique. Ce Hub élargi peut opérer sur base de réunions de brainstorming.

Si l’AdN peut être l’organisateur du Hub, j’en serais très content. Il ne faut pas créer quelque chose de nouveau mais il faut de véritables organes.

La première étape ne consistera-t-elle pas à faire collaborer les universités entre elles? La volonté existe-t-elle? Des mécanismes sont-ils en place?

C’est en effet quelque chose sur laquelle il faudra travailler. La concurrence entre universités est un fait. Mais au sein du Conseil des Sages, les représentants des diverses universités se sont dits prêts à collaborer. Reste à voir si la sauce prendra… Sans doute faut-il imaginer une structure pour assurer le research support. C’est ainsi que fonctionne iMinds avec une équipe de 5 personnes qui se voient régulièrement pour obtenir un effet de collaboration maximum.

Cinq thèmes. Oui, mais…

Cinq thèmes de recherche ont été préconisés dans le document du Conseil du Numérique. A savoir: l’industrie 4.0, l’industrie des médias et de la création, l’e-santé, la “smart region” (connectivité, infrastructures optimisées…) et le big data.

Aux yeux d’Yves Poullet, cela s’aligne sur l’approche flamande, où l’on trouve aussi 5 thèmes de focalisation (en partie similaires, d’ailleurs). Il y voit à la fois une bonne idée et une lacune.

Côté bonne idée, il applaudit la manière dont iMinds procède en Flandre: 5 thèmes avec, pour chacun, un responsable qui le pilote et qui fédère les chercheurs des différentes universités sur ce thème. “Cette idée de fédération du personnel de recherche est très positive. Je suis en faveur d’une coopération similaire entre les centres de recherche, tout en préservant l’autonomie de chacun.”

Yves Poullet: “Il faut fédérer les efforts de recherche de toutes les universités pour être crédible vis-à-vis de l’international. Mais aussi pour représenter une force avec laquelle le monde des entreprises puisse dialoguer.” Et de souligner que les grands noms de l’IT à l’échelle internationale n’investiront dans la recherche régionale qu’à condition d’avoir en face d’eux une “entité” d’une envergure certaine.

Côté lacune, Yves Poullet regrette qu’un point intéressant qui avait été évoqué lors des travaux du Conseil des Sages n’ait pas été repris dans le projet final. A savoir que chaque entité responsable d’un thème de recherche ait l’obligation de mettre des ressources à disposition des entreprises. “Un peu comme l’UNamur a commencé de le faire avec son legal lab où des étudiants en droit, gestion et technologies de la communication prestent des services aux entreprises, en leur donnant quelques premières indications, sans pour autant entrer en concurrence par exemple avec des cabinets juridiques.”

De même, Yves Poullet regrette qu’au-delà des thèmes de recherche épinglés, on ait fait l’impasse sur le concept de “société numérique”, d’acceptabilité du numérique par la société (au sens large, sociétal, du terme). Or, le numérique, rappelle-t-il, a des implications majeures, en termes d’usages, de vie privée, d’intrusion dans la sphère personnelle… De même, estime-t-il, la notion d’économie du partage, qui s’appuie sur les technologies nouvelles, “nécessite une réflexion. Il ne s’agit pas uniquement de logiciel, de création de plates-formes, d’utilisation du Web 2.0…”

Ne pas oublier la recherche fondamentale

Un autre sujet auquel Yves Poullet tient beaucoup (comme d’autres) est la nécessité, pour l’université, de faire de la recherche fondamentale dans le numérique. Par exemple, dans le domaine du Web sémantique ou de l’analyse des signaux.

“Il faut un fonds stratégique dédié au domaine ICT, l’ICT étant considérée dans toutes ses composantes – e-santé, etc. Il pourrait s’inspirer de ce qui a été fait avec Welbio“ [Ndlr: recherche fondamentale dans les sciences du vivant, dont l’objectif est de promouvoir la valorisation des résultats scientifiques en applications biotechnologiques].

L’idée serait d’associer cet organe de recherche fondamentale au FNRS à son propre FRFS (fonds pour la recherche fondamentale stratégique).