L’administration 4.0: quelle réalité derrière le slogan?

Pratique
Par · 17/08/2015

Comme un petit mouvement de lemmings, tout semble vouloir revêtir le slogan 4.0 en Wallonie: Plan Marshall, ambitions de transformation numérique de l’industrie, intentions de modernisation de l’administration.

Arrêtons-nous justement sur cette “Administration 4.0” qui a montré le bout de son nez dans les intentions et projets du Plan Marshall immatriculé de même.

Quoi de neuf par rapport à ce qui a été mis en place ces dernières années? En fait, le “4.0”, tout en sautant une étape, s’inscrit dans le simple prolongement du passé mais ambitionne de réellement doper l’existant afin de donner enfin du corps à cette simplification administrative tant attendue, tant par le citoyen et que par le professionnel.

Le Plan Marshall 4.0 confirme par exemple la volonté de mettre en oeuvre un guichet unique pour les entreprises et un “espace personnel” pour chaque entreprise (ou indépendant)… Dans un timing qui gagnerait sans nul doute à être accéléré.

Un long chemin

Les intentions sont là. Qu’en est-il des réalisations?

La clé – et elle a, heureusement, déjà été forgée – sera la BCED (Banque Carrefour de l’Echange des Données). Mais cette dernière devra encore être alimentée en sources authentiques (pour l’heure, ces dernières viennent essentiellement du niveau fédéral: Registre national, SPF, Banque Carrefour de la Sécurité Sociale…).

Cette clé permettra d’activer le principe du “only once”. Autrement dit, une donnée, une information connue et répertoriée par une administration, quelle qu’elle soit, à propos d’un citoyen, d’une association, d’une entreprise, ne devrait plus être redemandée à l’administré lors de ses contacts avec l’administration mais sera fournie par celle qui la détient à celle qui la demande ou en a besoin.

La BCED n’est en réalité qu’un des maillons de la chaîne. Nombreux sont encore ceux qui doivent prendre forme. Et le moins qu’on puisse dire est que bien des choses doivent encore se mettre en place. Voire simplement se décider (les choses, à cet égard) devraient s’accélérer ces prochains mois.

Benoît Wanzoul (eWBS): “Il s’agit désormais d’aller plus loin que l’échange de données afin de modifier le mode de fonctionnement de l’administration.”

La concrétisation, elle, mettra un “certain” temps. “C’est un projet de législature”, prévient ainsi Benoît Wanzoul, directeur de la BCED à l’eWBS.

De quoi parle-t-on en fait?

Dans la suite de cet article, réservée à nos abonnés Select et Premium, découvrez les grandes mesures et étapes de mise en oeuvre. A commencer par le nerf de la guerre que seront les sources authentiques et les échanges entre administrations. Elles seront nécessaires pour les futures étapes: 

  • agrégats de données et sources mutualisées alimentant automatiquement les formulaires électroniques, le guichet Entreprise, l’espace personnel Entreprise, ou de multiples autres applications
  • espace personnel Entreprise, avec espace de stockage sécurisé, historique d’interactions avec l’administration, ressources disponibles…
  • information “spontanée” des services administratifs, anticipant les besoins

“Le principe du only once, on y travaille depuis trois ans”, déclare Benoît Wanzoul. “C’est, en quelque sorte, l’administration 2.0.” Et quelques réalisations viennent illustrer l’intérêt de ce principe. Voir notre encadré en fin d’article.

“Il s’agit désormais d’aller plus loin que l’échange de données afin de modifier le mode de fonctionnement de l’administration. L’Administration 4.0 se concrétisera moyennant la mise en oeuvre de divers instruments, tels que les sources authentiques et des bases de données de type référentiel qui seront les agrégats de données, de sources et de bases de données déjà existantes.”

Trois bases de données

Ces futurs référentiels, les responsables wallons les imaginent actuellement en trio — mais une fusion entre deux d’entre elles n’est pas exclue.

A savoir: Entreprise Economie. Entreprise Emploi-Formation. Entreprise Environnement. A noter que ces noms ne sont pas forcément définitifs.

Avec la BCED, elles serviront de sources mutualisées (”agrégats”) authentiques pouvant alimenter automatiquement les formulaires électroniques, le guichet Entreprise, l’espace personnel Entreprise, ou de multiples autres applications.

Première réalisation: le cadastre de l’emploi non-marchand (CENM) qui procure un état des lieux permanent et reprend “l’ensemble des informations relatives aux interventions de la Wallonie dans le secteur non-marchand et au volume de l’emploi et de ses évolutions au fil du temps.” Utile pour “le calcul des subventions et les vérifications des conditions de reconnaissance, d’agrément et d’autorisation.”

Avantages: pré-remplissage de formulaires, espace personnel non-marchand (profil des acteurs du non-marchand détaillant les agréments et subventions obtenus par un opérateur ou le personnel subventionné), meilleure vision sur le volume d’emploi et son évolution dans le temps, l’allocation des subsides publics, leur calcul et les vérifications des conditions de reconnaissance, d’agrément et d’autorisation.

Le chantier de la CENM est toutefois loin d’être terminé. Seules les sources destinées à deux dispositifs sur les 40 qui concernent le non-marchand sont actuellement activées (maisons de repos et MIRE- mission interrégionale de l’emploi).

Qu’y trouvera-t-on comme données et informations? L’ensemble des dispositifs (aides, etc.) auxquels ont droit les entreprises, des formulaires de demande pré-remplis… Le principe de base est de mettre de l’ordre et de simplifier les relations entre administration et “client”. A la manière de ce qui commence à prendre forme du côté du secteur non-marchand. Voir encadré ci-contre.

L’inventaire exact du contenu n’est pas encore bouclé et le contenu des bases Economie et Emploi-Formation pourrait encore évolué (les deux ayant des finalités proches, voire entremêlées).

Prenons l’exemple de la base de données Entreprise Economie. A priori, elle reprendra l’ensemble des dispositifs auxquels ont droit potentiellement les entreprises et indépendants: aides économiques à l’exportation ou subsides de l’AWEX, primes e-business, aides au premier emploi…

Côté base de données Entreprise Emploi-Formation, on pourrait retrouver des dispositifs tels les aides à l’emploi ou les chèques formation. A moins que – pour simplifier?! – on ne fusionne finalement ces deux bases de données. Notamment pour éviter que le professionnel ne sache plus très bien à quel base se vouer. Comme par exemple pour le dispositif des chèques formation, “à cheval” sur ces deux bases de données potentielles.

Espace perso Entreprise

L’“Espace personnel” a d’abord vu le jour pour le citoyen. Il consiste en une sorte de mini-site strictement personnel, ouvert sur le portail wallonie.be, via lequel le citoyen peut découvrir les formulaires électroniques lui permettant d’accomplir une variété de démarches administratives, de soumettre des dossiers, de stocker certains documents…

L’Espace personnel Entreprise sera une mouture professionnelle de ce principe, avec quelques fonctionnalités différentes et/ou complémentaires. La forme exacte que prendra cet espace pro est encore en cours d’évaluation mais on devrait sans doute y retrouver, à terme (aucun agenda précis n’est avancé), des fonctions telles que du stockage sécurisé de documents que le professionnel doit fournir à l’administration, le répertoire de données concernant l’entreprise ou l’indépendant (coordonnées, subventions ou agréments obtenus…).

Quand l’Administration deviendra anticipative

Autre perspective, dont rêvent depuis longtemps ceux et celles qui travaillent ou ont travaillé pour EasiWal et l’eWBS: la démarche spontanée de l’Administration. Sur base des données qu’elle possède sur chaque administré, son profil, son “parcours”, sa situation spécifique, le citoyen lambda (particulier ou professionnel) ne devrait plus prendre l’initiative des démarches et sollicitations mais se verrait proposer dynamiquement une information sur les démarches qui ont été initiées (par exemple les diverses étapes lors d’une création d’entreprise), sur une aide potentielle ou la possibilité d’un subside, etc.

Autre scénario étudié à l’heure actuelle: un espace ou un outil qui permettrait aux partenaires et interlocuteurs classiques d’une entreprise — qu’il s’agisse par exemple des Guichets de l’entreprise ou de réseaux d’entreprise — d’accéder aux informations spécifiques à chacune (révélatrices de sa situation et de ses besoins) afin que ces organismes puissent lui fournir spontanément— anticipativemennt— les informations dont elle a besoin. Une sorte de “CRM Entreprise”, pour reprendre les termes de Benoît Wanzoul, qui serait alimenté par la BCED et les autres bases “agrégats”. Mais il ne s’agit là encore que d’une vague idée dont la faisabilité doit encore être explorée.

Préalable obligé

Tous ces processus “spontanés”, ces bases de données exhaustives et pertinentes, ce guichet unique, ces espaces perso professionnels… ne seront possibles que si, en amont, plusieurs conditions sine qua non sont remplies. A commencer par l’authentification – et la mise en ordre – des sources. Autrement dit, que les données d’origine, où qu’elles se trouvent (dans l’une ou l’autre organisation), soient “nettoyées”, avalisées, mises en oeuvre, s’ouvrent aux mécanismes d’échanges et de “piochage” automatiques.

Ce travail de préparation constitue le défi immédiat. “Tout est à créer”, reconnaît Benoît Wanzoul. “La seule véritable source authentique qui existe est la BCED. La seule autre qui existe, au rayon Emploi/Formation, est le Cadastre Emploi du Non-Marchand, mais uniquement pour 2 des 40 dispositifs. Le gros défi consiste à faire exister les sources authentiques {de données]. Les bases, quand elles existent, sont éparses, prenant de multiples formats, parfois de simples fichiers Excel…”

Il faut donc procéder à un travail de recensement: quelles données existent pour quel dispositif, quelles sont les applications utilisées pour les gérer… C’est dans ce chantier de bénédictin que l’eWBS s’est engagé, s’appuyant notamment sur des consultants externes qui s’en iront, sur le terrain, répertorier l’existant, recommander des mises à jour, voire des migrations techniques.

Le principe de ce genre de marché? Le client confie, au fil de ses besoins, des missions à l’adjudicataire sous forme d’émission de bons de commande. Ces derniers sont émis sans négociation ou remise préalable en concurrence.

Deux consultantes, mises à disposition par le consortium NSI/Apricot (partenaire pour 4 ans de l’eWBS, à l’issue de l’attribution d’un marché à bons de commande – voir encadré ci-contre), travailleront à la documentation des sources devant alimenter la base de données Entreprise Economie.

Ces sources de données se trouvent en possession d’un éventail d’acteurs qui interviennent dans divers rôles pris en charge par l’AEI (Agence de l’Entreprise et de l’Innovation), l’AWEX et la DGO6.

Date-butoir de leur mission: premier trimestre 2016. A ce moment-là, l’eWBS sera en mesure de soumettre une note d’orientation au gouvernement: état des lieux, liste des choses à entreprendre, coût impliqué… Au politique de prendre les décisions et de procéder aux éventuels arbitrages par rapport aux coûts de réalisation des bases “agrégats”.

Le travail d’audit et de recensement a donc commencé pour la future base Entreprise Economie. D’autres consultants seront désignés dès que le feu vert aura été donné aux chantiers des deux autres grandes bases de données centralisées que seront Entreprise Environnement et Entreprise Emploi-Formation.

Sans échanges, pas de nouvelles applications

Exemples de solutions dématérialisées rendues possible par la mise en oeuvre d’échanges automatiques entre sources de données considérées comme authentiques et détenues par plusieurs acteurs.

Citons le processus de demandes de bourses d’étude. Même s’il a connu quelques couacs cet été.

Ou encore la délivrance d’une carte de transport TEC It Easy.

Lorsqu’un client s’adresse au guichet (physique ou virtuel), toute une série de requêtes partent vers des destinations diverses afin de collecter les informations nécessaires pour l’émission du titre de transport. Vers le serveur de l’eWBS, vers le Registre national (pour la vérification des données d’identification personnelle – photo comprise), pour vérifier la composition du ménages (éventuelles réductions), vers la Banque Carrefour de la Sécurité sociale (pour les statuts dits “précaires”), vers la DIV (pour ceux qui bénéficient d’un abonnement gratuit pour avoir renoncé à leur véhicule particulier)… S’y ajoutera encore à l’avenir, une collecte de données pour réductions pour familles nombreuses.

Un autre chantier est en cours qui devrait simplifier les demandes d’allocations familiales, pour les enfants de plus de 18 ans, sans plus contraindre les parents à demander systématiquement une attestation auprès des établissements scolaires concernés.

Pour ce faire, une base de données centralisée des Diplômes et Elèves devrait voir le jour (à la manière de ce que la Flandre a déjà mis en oeuvre). A terme, entre autres utilisations, elle permettra des échanges de données automatiques avec Famifed pour l’octroi des allocations. [ Retour au texte ]