Belfius, promoteur d’e-commerce. Une bonne idée?

Hors-cadre
Par · 10/06/2015

La semaine dernière (relire notre article), Belfius annonçait vouloir aider ses clients (entreprises, PME, indépendants, artisans) à se lancer dans l’e-commerce. Pour ce faire, la banque a présélectionné 7 prestataires qu’elle estime “réputés” et a convenu avec eux de conditions tarifaires avantageuses (réductions sur certaines prestations).

Objectif: donner davantage envie aux entrepreneurs de se lancer, faire disparaître certains freins – notamment en termes de choix.

Une telle initiative soulève bien évidemment nombre de questions. Est-ce plus qu’une opération de comm’? L’occasion pour la banque de mieux se positionner sur ce terrain? L’offre présélectionnée l’a-t-elle été selon des critères objectifs et lesquels? Est-elle suffisamment diversifiée pour répondre à l’éventail des besoins, pour des clients potentiellement très divers? Y a-t-il de la part de Belfius une dynamique nouvelle à espérer, en termes de facilités financières qui seraient octroyées à l’avenir à quiconque vient vers elle avec un dossier de financement d’un site d’e-commerce? Les clients qui choisiraient les partenaires désignés auront-ils plus de chances d’obtenir un prêt?

Qu’en pensent les observateurs, habitués du secteur de l’e-commerce?

Nous avons posé la question (les questions) à deux d’entre eux: Damien Jacob, consultant indépendant (et ancien collaborateur de l’AWT) et Dominique Moraux qui, récemment (nous vous en parlions ici), a imaginé une formule quelque peu similaire, en ce sens qu’elle procède par présélection de solutions pouvant aider les commerçants (et dans son cas spécifiques, les petits commerçants de proximité) à se lancer dans le “commerce connecté” – mais toute comparaison avec l’initiative de Belfius s’arrête là…

Un coup de projecteur

Quelles que soient les motivations et la manière dont l’offre a été “packagée”, l’initiative aura en tout cas l’avantage, selon Damien Jacob, de faire parler de l’e-commerce et d’inciter les entreprises à y réfléchir davantage.

“Grâce au service communication, réputé efficace de cette banque, cette initiative sera probablement médiatisée et sans doute, davantage d’entrepreneurs se poseront-ils dès lors la question de l’opportunité de vendre en ligne.

Par contre, pour les e-commerçants actuels, cette initiative risque d’être perçue cyniquement. Encore hier, l’un d’entre eux me faisait part de la difficulté qu’il rencontrait à pouvoir emprunter ne serait-ce que 15.000 euros pour investir dans une deuxième version de son e-shop parce que sa banque paraît ne pas avoir confiance dans l’e-commerce. On lui demande que ses parents se portent caution…

Au niveau de l’image de marque, c’est probablement de bon ton pour une banque de promouvoir l’e-commerce mais il faudrait aussi avoir la même attitude dans l’arrière-boutique. Ou ne pas s’étonner si le secteur bancaire s’ubérise progressivement, avec de nouveaux acteurs issus du web et de nouvelles formules (crowdfunding…) qui remplaceront les banquiers 1.0.”

Damien Jacob: “Au niveau de l’image de marque, c’est probablement de bon ton pour une banque de promouvoir l’e-commerce mais il faudrait aussi avoir la même attitude dans l’arrière-boutique.”

Face à la sélection des sept prestataires, en particulier des 4 acteurs autres que les fournisseurs de solutions de paiement en-ligne, nos deux observateurs sont quelque peu dubitatifs.

“Pour ce qui est de la sélection”, estime Damien Jacob, “un souci de diversification a été recherché pour le volet ”paiement” mais pour les autres…”

Sans vouloir porter de jugement (ne connaissant pas les méthodes et critères choisis pour la sélection – voir, à ce sujet, les explications que nous a fournies Belfius), il met en garde contre une confiance aveugle dans les choix effectués.

“C’est un peu comme si un banquier devait conseiller un concessionnaire, un garagiste, un car-wash, un journal de petites annonces pour vendre la voiture, une société de location de voiture… Il est fort possible qu’il reprenne dans le panier le concessionnaire qu’il a déjà rencontré au cocktail de la Febelfin et/ou qui est client de la banque et/ou qui promet telle option gratuite aux clients de sa banque et/ou qui est prêt à rétrocéder une commission pour toute nouvelle vente.”

Globalement toutefois, il estime que ce principe de “panier” d’outils peut s’avérer une bonne chose: “les entrepreneurs sont souvent perdus face à l’offre”. Sans parler d’une capacité souvent limitée à pouvoir distinguer le bon grain de l’ivraie. “Le fait [pour une banque telle que Belfius] de cautionner certaines offres peut avoir un effet rassurant, à condition bien entendu que la sélection des prestataires ait été opérée avec un minimum de sérieux.” Mais sans doute Belfius ne se risquerait-elle pas à engager sa réputation à la légère…

La manoeuvre de Belfius sera-t-elle pour autant efficace et suffisante?

“Pour avoir un impact réellement plus efficace sur le long terme, peut-être la banque devrait-elle surtout documenter et/ou aider ses clients à se former au lancement et à la gestion d’un e-shop et, surtout, les soutenir en s’appuyant sur son métier de base. A savoir: le financement de l’(e-)projet.”

Pertinence à vérifier

Est-ce la place d’une banque de prendre ce genre d’initiative? Outre le fait, bien entendu, que cela peut lui attirer de nouveaux clients…

“Je comprends que les banques s’intéressent à l’aspect e-commerce pour dynamiser l’activité de leurs clients de type PME et commerces et surtout qu’elles fassent la promotion de moyens de paiements, puisque cela rentre vraiment dans leur coeur de métier”, estime Dominique Moraux.

La manière dont l’initiative est construite lui paraît-elle valable?

“Le projet tel qu’il est décrit n’est à mon avis valable que pour un pourcentage très réduit des entreprises visées. D’une part, celles qui ont une gamme de produits et une cible qui s’adaptent bien à la vente via un site e-commerce. De l’autre, celles qui ont déjà bien réfléchi à leurs besoins et qui savent qu’ils devraient se tourner vers ce type de solution.

Par contre, je ne comprends pas qu’ils poussent directement leurs clients dans les bras des sociétés qui développent du e-commerce, sans étude de leur cas, sans formation préalable et sans un accompagnement prévu. Je suis certaine que pour beaucoup de ces entrepreneurs ce sera un investissement « perdu » et ça c’est évidemment négatif pour la banque!

Dominique Moraux: “Un service que la banque pourrait sponsoriser serait d’aider les entrepreneurs à faire les bons choix numériques, à éviter les investissements mal choisis et à s’orienter vers des solutions vraiment rentables pour eux.”

Ils abordent soi-disant 3 étapes :

• la réflexion et l’élaboration d’une véritable stratégie web

• le développement de l’e-boutique

• la promotion de leur site auprès des clients, des prospects et du grand public.

Ils ne sont probablement pas conscients qu’actuellement les entrepreneurs de petites PME et les commerçants sont très peu formés au numérique et sont face à “un océan de solutions disponibles”. Il y a toute une étape préliminaire qui manque avant de leur dire “choisissez parmi une liste de prestataires e-commerce”.

Et pourtant, c’est vraiment là un service que la banque pourrait sponsoriser: aider les entrepreneurs à faire les bons choix numériques. A savoir: éviter les investissements mal choisis et s’orienter vers des solutions vraiment rentables pour eux.

Par ailleurs, dire que leur première étape couvre « la réflexion et l’élaboration d’une véritable stratégie web” est faux puisque leurs agences sont très ciblées et imposent déjà un type de solution (site e-commerce ou app) sans accompagnement préalable.”

Le panel a-t-il été choisi à bon escient?

Aucun de nos deux observateurs-témoins ne se prononce réellement sur le sujet, n’ayant aucune visibilité sur les critères retenus par Belfius ou la méthode appliquée.

Par ailleurs, hormis les partenaires spécialisés en paiements, tous deux avouent ne pas connaître les sociétés sélectionnées – ce qui donne déjà un petit coup de canif dans l’affirmation de Belfius selon laquelle les prestataires sont “réputés et reconnus”. Mais il est vrai que leur visibilité est sans doute plus importante en Flandre, certains étant d’origine hollandaise et davantage actifs sur ce marché… On ne peut que relever d’ailleurs l’ironie de ce choix extra-frontalier, dans un contexte de promotion de l’e-commerce belge (à moins que ce ne soit pour ne fâcher personne, par exemple, parmi le peloton compact des spécialistes du référencement?).

Pas de jugement donc sur le casting mais une remarque ponctuelle toutefois de Dominique Moraux au sujet de l’offre Cap47: “Je suis toujours assez « dérangée » par des offres à prix fixes comme celles de Cap47. Entre les besoins d’un cultivateur qui vend son panier bio à une clientèle locale, une entreprise qui commercialise 5.000 modèles de pièces détachées pour automobiles ou un marchand d’oeuvres d’art qui se tourne vers l’international, les besoins sont totalement différents et les prix aussi!

Pour un prix fixe, on ne peut pas du tout prétendre que le client aura la solution idéale pour son business.”