Startup Manifesto: Les idées de la “foule” (des starters)

Hors-cadre
Par · 12/03/2015

Le “manifeste” des start-ups, remis officiellement ce jeudi au Ministre De Croo, est une synthèse des idées qui ont été échangées et transmises par une bonne centaine de jeunes starters, simples observateurs, porteurs de projets, entrepreneurs- certains aguerris, d’autres moins. Nous avons passé en revue leurs multiples contributions- simples textes, idées brutes, mails ou blogs- afin de vous révéler ce qui motive tous ces néo-entrepreneurs, les raisons de leurs demandes et doléances et, aussi, parler de certaines de ces idées qui ne se retrouvent pas dans le Manifeste final.

Parmi les différents “contributeurs”, on épinglera notamment deux figures connues, Xavier Damman (Storify, Livefyre) et Dries Buytaert (Drupal, Acquia). Nous les citerons ici plus largement dans la mesure où nombre de leurs idées se retrouvent aussi dans les propositions d’autres participants.

Les réflexions et propositions des contributeurs peuvent se classer en divers chapitres: aide au lancement de société, financement, fiscalité, compétences et formation… On y trouve aussi quelques idées qui sortent des chemins battus, des idées parfois biscornues ou inattendues.

Qui ne tente rien n’a rien

L’un de ceux qui a le plus mis les pieds dans le plat, voire joué la provoc’ par le seul intitulé de son texte est sans conteste Xavier Damman. Quel objectif donne-t-il au “sursaut numérique” belge?

Créer 10.000 start-ups et 100.000 emplois au cours des 5 prochaines années.

Irréaliste? Peut-être. Sans doute. Mais Xavier Damman donne quelques idées pour permettre cette explosion de petites graines dont toutes, bien entendu, n’arriveront pas à maturité.

Minimiser paperasse, démarches et contraintes…

Premier conseil: la création d’une “entité légale d’un genre nouveau qui puisse répondre aux besoins spécifiques d’une start-up naissante”. Un statut spécial qui n’aurait qu’une durée limitée dans le temps, une évolution vers un statut classique étant nécessaire une fois la phase de démarrage réussie.

Mais ce statut spécial devrait lui permettre de se constituer rapidement (et de tirer l’échelle tout aussi rapidement en cas d’échec). Ce même statut doit aussi permettre d’engager et de licencier des collaborateurs sans contraintes. Aux personnes recrutées d’endosser le risque que constitue le fait de se lancer dans ce genre d’aventure, souligne Xavier Damman. Et elles sont généralement prêtes à le faire. Question de mentalité…

Il va plus loin en soulignant qu’une start-up devrait pouvoir attirer les talents, où qu’ils se trouvent. En ce compris donc à l’étranger. Il faut donc simplifier les mécanismes d’embauche. Son idée à cet égard: permettre aux start-ups d’obtenir un visa pour profils qualifiés.

Deuxième idée (qui est partagée par d’autres contributeurs): assurer un salaire minimal pendant 2 ou 3 ans au fondateur d’une start-up, “pour que cela ne lui coûte rien de quitter un éventuel boulot existant”. Après tout, signale Xavier Damman, c’est ce que font les CPAS vis-à-vis des personnes en difficultés. Pourquoi ne pas le faire aussi pour ceux qui tentent de créer une activité économique? Pourquoi ne pas prévoir un statut spécifique dans le cadre de la sécurité sociale et les aider avant qu’ils ne puissent dégager eux-mêmes revenus et profits?

Ce genre d’idée étant neuve, Xavier Damman propose d’en faire une sorte de prototype, de test grandeur nature, en limitant au départ le type et le nombre de start-ups qui pourraient en bénéficier. Histoire de vérifier que ce statut peut changer, améliorer les choses.

Financement: casser le moule

Une proportion non négligeable de ceux et celles qui ont émis leurs idées dans le cadre de ce Startup Manifesto ont plaidé en faveur de… la fin des subsides pour les start-ups. Pour diverses raisons.

Pour Xavier Damman, ces subsides sont souvent (surtout) une perte de temps en recherche du bon interlocuteur, en démarches administratives, en suivi de dossier… “Les fondateurs d’une start-up doivent se concentrer exclusivement sur l’adéquation de leur produit au marché”.

François Coppens, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies et Internet, ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit: “les subsides […] sont une perte de temps (pour ceux qui les sollicitent) et une source de coûts (il faut engager un consultant pour s’y retrouver). [Il faut les éviter parce] qu’ils obligent parfois à adapter son modèle business aux exigences émises, parce qu’ils bénéficient surtout à toute une série d’intermédiaires dont la valeur ajoutée est nulle.”

Dries Buytaert (Drupal): “multiplier les “hubs d’innovation”, à l’environnement le plus agréable possible, avec subsides pour le paiement des loyers, WiFi gratuit…”

Un autre contributeur (Filip Maertens, fondateur de Sentiance) émet, en la matière, une réflexion sur un ton plus féroce: “Grants are a twisted and artificial way of keeping companies afloat that deserve to die, create inequality between large corporations and small startups, while keeping white lab coats performing intellectual masturbation with zero-return to the economy.”

Et puis, les subsides ont un petit côté discriminatoire aux yeux de Xavier Damman. Son idée d’aide salariale pour tous présente, selon lui, l’avantage suivant: “chacun a les mêmes chances de démarrer quelque chose, sans devoir débourser quoi que ce soit” [en ce compris pour l’obtenir].

Lui et Dries Buytaert sont sur la même ligne: tous deux parlent de discrimination mais aussi d’inadéquation dans l’octroi des subsides. Pour Dries Buytaert, il faut favoriser tout le monde, éviter de décider quelles sociétés ont le droit à recevoir leurs deniers, parce que “les gouvernements ne seront jamais les meilleurs investisseurs qui soient” (ou les bons décideurs, lorsqu’il s’agit de choisir sur qui miser).

Xavier Damman, lui, déclare: “ceux qui prennent la décision de vous donner ce subside ne connaissent rien de ce que vous essayez de faire. Ils vous cuisineront sur des choses qui n’ont pas d’importance. C’est nettement mieux d’obtenir de l’argent de personnes qui l’ont déjà fait précédemment, qui connaissent votre secteur et qui pourront poser les bonnes questions, vous mettre en rapport avec les bons interlocuteurs qui pourront faire progresser votre société.”

Fiscalité

La fiscalité fait recette, oserions-nous dire, parmi les propositions émises. Nombreux sont en effet ceux qui proposent des idées pour alléger, voire carrément supprimer, la fiscalité qui pèse sur les “jeunes pousses” et bride leur croissance.

Dries Buytaert (Drupal) propose par exemple de supprimer toute imposition “avant la 3ème année ou avant le premier million d’euros de revenus” et de faire également l’impasse sur toute contribution à la sécurité sociale “avant la 3ème année ou avant de passer la barre des 10 employés”. Il s’inspire en cela d’une mesure qui existe à Singapour.

Il recommande aussi, comme Xavier Damman (voir plus haut), un assouplissement des obligations légales en matière de licenciement (deux mois de préavis au lieu de trois: “les employés de start-ups sont parfaitement à l’aise avec ce genre d’insécurité du travail”).

François Coppens, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies et Internet, formule quant à lui l’idée d’un “régime fiscal favorable au capital à risque, aux activités de R&D, aux revenus de propriété intellectuelle.”

François Coppens: “Il faut réduire le coût que représente l’embauche d’un collaborateur. Les aides à l’emploi ne visent que les chômeurs de longue durée ou les personnes sous-qualifiées, ce qui n’aide en rien les start-ups; faciliter l’engagement de freelances.”

Filip Maertens pense pour sa part à d’autres régimes fiscaux spéciaux, à la fois pour les fondateurs de start-up sous la forme d’un “founder benefit” (par exemple, la garantie d’un revenu libre d’impôts de 1.200 euros par mois pendant un an) et pour les simples citoyens afin de les encourager à investir dans des start-ups.

Autres propositions venues d’autres personnes: rendre l’investissement dans un start-up déductible en cas de faillite ou encore créer un mécanisme de type tax shelter afin de favoriser les investissements par les business angels.

Xavier Damman: “Il faut taxer les plus-values. […] Generating revenue with your sweat or with your capital shouldn’t be different.”

Pour Xavier Damman, lui, remet les pieds dans le plat (surtout compte tenu des couleurs gouvernementales – fédérales – actuelle) en proposant de… taxer les plus-values. Ce ne serait qu’un juste retour des choses, estime-t-il. Si on prévoit un statut spécial, une aide salariale, des conditions fiscales particulières pour aider au démarrage des start-ups, explique-t-il en substance, une fois la start-up sur les rails, elle doit remercier la collectivité pour l’aide reçue.

Voici sa façon de voir les choses: “Let’s stop the bullshit of the 1% that says that their way of making money is different than the way of making money for the 99%. It’s not. Generating revenue with your sweat or with your capital shouldn’t be different. Therefore, the profit should be taxed the exact same way. Don’t worry, being in that scenario is a very good problem to have. And even after income-level taxes on the capital gain (instead of currently zero!), you will still be richer than all of your friends. Relax.”

Commencer par le b.a.-ba

Plusieurs propositions concernent l’enseignement. On y trouve de tout, dont certaines n’ont qu’un impact indirect sur les start-ups (en garantissant un “matériel” humain plus adaptée à leurs besoins): l’enseignement de la programmation, l’inclusion des cours STEM (Science, Technology, Engineering and Mathematics) dans les programmes dès l’école primaire, une promotion plus volontariste du statut d’étudiant entrepreneur, davantage de témoignages de starters venant inspirer les jeunes au secondaire ou à l’université…

Evert Bulcke (chef de projet de Startup City, Anvers) imagine cette gradation dans l’apprentissage de l’entrepreneuriat:

  • des cours STEM au primaire
  • l’apprentissage de la flexibilité et des compétences non routières au secondaire
  • la promotion d’un esprit créatif, au lieu d’un esprit purement reproductif, à l’université
  • la “culture” d’entrepreneurs, et non de futurs middle managers, dans les écoles de gestion

Sans oublier les formations en dehors du cadre scolaire: des formations de courte durée (de 3 à 6 mois) en e-learning, pour l’apprentissage de compétences, en ce compris (surtout?) celles qui sont en pénurie, en se concentrant sur des créneaux spécifiques. Avec, en la matière, un rôle à jouer pour le secteur public dans la mesure où “cela garantit une pertinence macro-économique et stimule l’apprentissage tout au long de la vie.”

Fertilisation croisée

L’un des contributeurs estime que les start-ups vivent trop dans leur bulle. Favoriser la fertilisation croisée, les faire se mêler à d’autres secteurs d’activités plus traditionnels permettrait de semer la petite graine de l’entrepreneuriat, d’induire le réflexe de l’imagination chaque fois que c’est possible.

D’autres vont également dans le sens d’un mélange d’expériences et de profils variés. Ainsi Sébastien Jodogne (Orthanc, CHU Liège) qui émet l’idée de rencontres mensuelles, courtes mais productives, entre ingénieurs et entrepreneurs.

Dries Buytaert (Drupal): “cultiver une culture de l’entrepreneuriat, où l’on salue à la fois les réussites et les échecs.”

On trouve aussi, parmi les idées, l’établissement d’une initiative telle que VentureLab liégeois (guidance à l’entrepreneuriat pour les étudiants) “autour de toutes les universités et hautes écoles du pays”; des “chèques start-up” pour multiplier les projets-pilote réalisés par de jeunes pousses avec de grandes entreprises; ou encore l’accueil d’incubateurs étrangers qui favoriseraient un échange d’idées et d’état d’esprit – “nous avons beaucoup à apprendre”.

Quelques autres idées en vrac
  • utiliser les écoles, pendant l’été, pour abriter des projets innovants
  • favoriser l’entrepreneuriat individuel dans les rangs des chômeurs, en autorisant le statut d’indépendant à titre complémentaire
  • promouvoir davantage les Mini-Entreprises “qui donnent le goût d’entreprendre”
  • mettre en oeuvre un programme qui rétribuerait des entrepreneurs ayant réussi (Xavier Daman, Jeremy Le Van…) pour coacher 10 sociétés par an – “leur expérience vaut de l’or”
  • transformer l’année sabbatique en “startuptical legal leave”
  • amener l’Etat à investir à hauteur des fonds injectés par des business angels ou venture capitalists

“Ramenez les cerveaux au bercail“

Plusieurs contributeurs à ce Manifeste ont également mis l’accent sur la “fuite des cerveaux”, ces jeunes (ou moins jeunes) entrepreneurs brillants qui s’en vont créer leur start-up sous des cieux plus hospitaliers (ou rémunérateurs) et qui ne reviennent pas forcément au bercail mais, aussi, par la même occasion, qui ne créent ni emplois ni valeur économique ni écosystème locaux.

Dans la même veine, ils regrettent, voire pointent du doigt, les “exists” trop rapides, la revente de jeunes pousses à peine germées après seulement quelques semestres d’existence. Pas vraiment de l’innovation à long terme. Et, dans certains cas, des ventes qui profitent à des sociétés étrangères aux poches pleines.

Le savoir-faire, la valeur innovative et… tout le potentiel commercial échappent ainsi à la Belgique. De même que toute espèce sonnante et trébuchante puisqu’en dehors du fondateur qui empoche le magot, les finances publiques locales n’en retirent rien. D’autant plus, souligne l’un des contributeurs (et ce n’est pas Xavier Damman !), que les plus-values ne sont pas taxées…

Evert Bulcke (Startup City): Il faut faciliter la création d’entreprises, pour augmenter le nombre de création de sociétés. Et qu’importe si le succès n’est pas toujours au rendez-vous… “broadening the base of the pyramid inevitably implies hightening its top”.

Terminons sur une note mi-aigre, mi-douce. Le potentiel belge? Oui, il existe. Mais copier ce qui se fait ailleurs – le “modèle” Silicon Valley pour ne citer que lui – n’est pas forcément la meilleure idée. Le tout serait plutôt d’identifier les talents, les compétences thématiques là où elles sont – exemples cités: les spécialistes en cryptographie, les développeurs, les créateurs… -, de les coordonner de la manière la plus fluide possible.