Quelles priorités pour un décollage de l’e-commerce local?

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Par · 23/02/2015

Pour Grégory Van Ass (MaPromo), il s’agit avant tout de conscientiser et de démythifier le “commerce hybride”. En évitant aussi de décourager inutilement: “il ne faut pas en passer à tout prix par l’e-commerce mais il est nécessaire que les commerçants fassent de l’“e-pub” [présence, promotion sur les canaux électroniques] par un biais ou un autre. Vendre en ligne a un coût non négligeable, en particulier pour les petits commerçants. Par contre, ils doivent être sensibilisés aux avantages de la “publicité” en-ligne.

Contrairement à une perception largement répandue, elle n’est pas l’ennemie du commerçant de proximité mais bien un outil complémentaire. Il faut faire comprendre aux commerçants pourquoi ils en ont besoin. Mais le fait est qu’ils sont un peu déconnectés de la réalité par rapport aux attentes et aux comportements des consommateurs d’aujourd’hui.”

Il en profite pour faire passer un message aux acteurs de l’“écosystème” qui s’active pour aider des start-ups technologiques à trouver le chemin de la réussite: “les candidats entrepreneurs doivent apprendre à mieux comprendre le monde des commerçants et ces derniers doivent apprendre à mieux comprendre le monde du numérique. Là est la clé de la réussite.”

Bilan de compétences

Christophe Fruytier (Teasio): “La première condition est la notion de partenariat, d’accessibilité de ceux qui proposent des solutions. Une deuxième est l’apprentissage des usages et des outils de communications. En ce compris sur les réseaux sociaux. Par exemple en termes de notion d’image, de pertinence de tel ou tel réseau social en fonction du type de produit ou de service qu’on commercialise.”

Autres compétences – ou de connaissance minimale – à acquérir: la prise de conscience des contraintes légales.

Quid de compétences en IT? “Ce n’est pas au commerçant de développer lui-même.” Mais une certaine “culture” et maîtrise des fondamentaux du numérique restent indispensables.

 

A lire, les trois articles que nous consacrons à la formation:

– Former les commerçants au “commerce connecté”. Le point en 2015. Lire…

– Qui pour former les commerçants au numérique? Lire…

– Catalogue de formationLire…

Pour Vincent Bultot, la formation est la priorité absolue. Et elle se décline en trois volets:

  • primo: apprendre à bien étudier son marché (sur la Toile), évaluer la concurrence, définir une stratégie de différenciation. “Or, ce sont là des questions que les commerçants ne se posent pas ou pas assez quand ils pensent au commerce numérique”. Et fort rares sont les prestataires ou fournisseurs vers qui ils se tournent qui les amènent à se les poser
  • deuzio: découvrir les outils qui permettront aux commerçants de prendre leur place: “comment choisir les outils, les solutions, les services associés (gestion de facturation, livraison, suivi client…). En la matière, éviter aussi de croire qu’un seul produit, du genre PrestaShop, suffit.
  • tertio: se former aux nouveaux modes de communication: comment faire connaître sa présence en-ligne, sur de multiples médias (Facebook, Google…), manier des trucs et astuces, savoir comment organiser des concours, fidéliser une communauté, organiser un mailing…

Damien Jacobs pointe, lui aussi, comme levier pour faire décoller l’e-commerce, la formation. Et ce, dès le stade de l’enseignement: cours d’e-marketing, enseignement du modèle d’affaires de l’e-commerce, exploitation des réseaux sociaux à des fins professionnelles… Echo concordant à l’Agence du Numérique où Renaud Delhaye estime qu’une telle formation “très en amont” est essentielle: “c’est en effet l’ignorance des possibilités d’utilisation qui constitue un frein majeur. Il faut faire accepter l’idée que l’IT ou l’e-commerce ne sont pas des mondes de spécialistes mais que ces pratiques sont entrées dans notre quotidien.”

Encadrer

“Outre la formation, un accompagnement est nécessaire. Non pour aider à choisir une solution d’e-commerce – ce choix demeure spécifique à chaque commerçant – mais pour fournir les compétences nécessaires pour pouvoir évaluer l’opportunité d’une solution, ou encore en termes de communications et de gestion de sa présence en-ligne. Et cet accompagnement doit prendre la forme d’ateliers pratiques, en évitant les exposés purement théoriques par des interlocuteurs parlant technologies pures.”

Mutualiser

Damien Jacobs: “En Wallonie, les structures sont presque toutes très petites (souvent des indépendants, rarement plus de 5 personnes) et les solutions recherchées nécessitent souvent d’atteindre une taille plus importante. C’est le cas pour des solutions de marketing (par exemple, des solutions de type contact centers, sponsoring/placement de produits dans les médias grand public, retargeting, affiliation…). Idem pour l’obtention de tarifs attrayants au niveau logistique (picking, expédition), ou l’acquisition de solutions big data

Une bonne manière d’aider ce secteur serait dès lors de recourir à la mutualisation, par exemple via la mise en place de sortes de “pouponnières” ou de centres d’entreprise spécialisés. Plusieurs centres spécialisés de ce type, souvent mixtes (public & privé), existent en France. Exemple à Arras où un centre spécialisé, géré par une société privée, propose la mutualisation de la logistique, des locaux et du data center.

Il existe, en Wallonie, un réseau de structures d’accompagnement (Alpi, Job’in, Azimut…) existe mais ces structures se limitent généralement à l’accompagnement de la phase de création de l’entreprise et ne s’adressent donc pas à un commerçant ou un fabricant existant qui souhaite vendre aussi en-ligne. Elles ne proposent par ailleurs pas de services mutualités et ne disposent pour l’instant pas d’expertise particulière pour donner des conseils dans le domaine de l’e-commerce.”

Solutions de marketing, de logistique, de support opérationnel pourraient donc, selon lui, être mutualisées. Ce qui serait plus difficile à réaliser au rayon IT pure: “mutualiser les prestations IT est plus ardu en raison des agendas et rythmes d’évolution différents [des e-commerçants].”

A l’Agence du Numérique, on estime également qu’il y a certainement un besoin – et potentiellement une opportunité à saisir – pour un opérateur logistique qui concocterait une solution “à la mesure des petits cyber-commerçants. Une telle plate-forme logistique”, indique Renaud Delhaye, “pourrait répondre à une demande collective, encourageait les cyber-commerçants wallons, non concurrents entre eux, à y avoir recours collégialement. Ils pourraient y regrouper leurs commandes. Un tel logisticien, un peu à la manière de PFSweb qui s’adresse aux grands comptes, aurait sûrement sa place. A condition de lui garantir suffisamment de volume…”

Se faire entendre…

… afin que les problématiques soient mieux prises en compte. “Les e-commerçants se plaignent aussi de ne pas être représentés, surtout au niveau wallon, auprès des autorités publiques. Agoria Wallonie est le porte-parole des agences web et des fournisseurs de solutions technologiques. Vu leur petite taille en Wallonie, les e-shops ont difficile à être aussi entendues.”

Qui pour endosser ce rôle? Il n’a pas de réponse toute faite mais insiste sur le besoin d’une représentation. Car les structures actives au niveau national ne sont pas forcément une bonne adresse pour les petits commerçants en-ligne locaux.

“Comeos et beCommerce rassemblent essentiellement des acteurs néerlandophones. On y trouve d’ailleurs aussi des membres hollandais. Les événements se tiennent essentiellement en néerlandais.” Cercle vicieux: déjà peu nombreux, les Wallons ne s’y sentent pas chez eux et n’y vont pas… “Sans compter que les membres de ces associations sont souvent de (plus) grands acteurs pour qui les enjeux sont différents…”

Renaud Delhaye de l’Agence du Numérique confirme: “il faut fédérer les cyber-commerçants locaux. Ils sont trop petits, individuellement, pour qu’on entende leurs voix ou pour être pris au sérieux par le politique.” Mais c’est là un chantier encore à engager, de timides tentatives présentes – notamment via le Club PME 2.0 – n’ayant guère donné de résultats.

Damien Jacobs estime aussi qu’il serait utile de faire un sort à certaines prises de position intempestives et non fondées. Dont certaines émanent de personnes à responsabilité politique. “Certains sont scandalisés quand ils lisent dans la presse que tel ministre déclare que l’e-commerce est une menace pour l’emploi. Eux qui travaillent tous les jours pour développer leurs activités et qui créent progressivement de l’emploi, ils souhaiteraient que des études sont menées pour éviter que ce genre de raccourci circule et surtout qu’indirectement, cela dissuade des entrepreneurs de se lancer dans l’e-commerce ou des commerçants d’ajouter le Web comme canal de vente. Le fait que si personne ne bouge, effectivement l’e-commerce tuera des emplois, qui seront alors remplacés par d’autres, mais alors situés ailleurs qu’en Wallonie!”

Un contexte qui dépasse nos frontières

Autre priorité, selon Christophe Fruytier: assouplir certaines règles légales et juridiques. En ce compris au niveau européen. Par exemple, harmoniser les législations, simplifier les procédures (achat, facturation, calcul TVA…). Cela permettrait d’alléger sensiblement le poids des tâches administratives. “Toutes ces règles font peur et rebutent les commerçants quand ils envisagent de se lancer dans l’e-commerce.”

Là où les pouvoirs publics (en ce compris nationaux ou locaux) pourraient avoir une action bénéfique à son avis est dans l’aide à la rédaction des conditions générales on-line.

Damien Jacobs, consultant et formateur indépendant, abonde dans le même sens: “les règles de perception de la TVA, à l’échelle européen, sont archaïques. Imposer une déclaration dans chaque pays, avec ce que cela implique en termes de différences de tarifs, de format…, se traduit par un véritable calvaire administratif. Depuis le 1er janvier de cette année, on a mis en oeuvre un guichet unique pour les déclarations liées aux services en-ligne. Mais on en est encore loin en termes de produits…”