La longueur d’avance de la Flandre

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Par · 13/02/2015

Dès 2010, la Flandre se lançait dans l’aventure des Living Labs via la Flemish Living Lab Platform.

Objectif: imaginer et développer des produits et services innovants destinés à l’environnement “intelligent” et à la valorisation de la R&D en matière d’ICE (Information Communication & Entertainment). L’initiative voyait se constituer un écosystème de partenaires venus de divers horizons, tant publics que privés: un centre de recherche compétent en matière de recherches de type living lab (à savoir l’iLab.o de iMinds), des organismes qui serviraient de relais d’autres réseaux d’intervenants (Smart Grid Flanders, Kennis Centrum Vlaamse Steden, Medianet Vlaanderen) sans oublier les entreprises, qu’elles soient des acteurs de grande envergure tels que Telenet ou Alcatel Lucent, ou des PME innovantes telles qu’Andorre ou Fifthplay.

Dans le cadre de cette thématique globale des “smart environments”, trois grands domaines furent identifiés:

  • les “Smart Grids” (réseaux énergétiques intelligents): dans le cadre des projets, l’accent est volontairement mis sur la dimension consommateur afin d’analyser et de prendre en compte ses actions et comportements et de les répercuter sur une gestion plus efficace des services énergétiques. Les produits et services doivent ainsi viser la mise en oeuvre d’un “environnement domestique intelligent”.
  • Source: iMinds

    les ”Smart Media”: autrement dit, les nouvelles technologies (3D, tablettes numériques, réseaux domestiques, cloud computing…) mises au service de nouveaux modes de ‘consommation’ des médias et des contenus. La plate-forme de Living Lab mise en oeuvre s’appuie notamment sur un environnement TV numérique, des connexions Internet haut débit, des tablettes, un accès à un environnement de communications hébergé dans le cloud.

  • les “Smart Cities”: conférer de l’“intelligence” aux communautés urbaines en mettant en oeuvre des solutions et instruments permettant de rapprocher et de faire interagir habitants, commerçants locaux, organes de presse régionaux, autorités locales, acteurs de la société civile et associations. Ce “réseau virtuel” est destiné à mieux relever les défis des centres urbains modernes: mobilité, habitat, chômage, formation des jeunes, vieillissement de la population, soins de santé…
Les livings labs flamands en quelques faits et chiffres

Nombre de projets de living lab initiés en Flandre à ce jour: une soixantaine.

Côté financement, la majorité des fonds viennent de la Région mais certains projets, notamment dans le domaine des médias et des villes “intelligentes” bénéficient également de fonds européens. Il arrive aussi, comme ce fut le cas avec certains exemples cités dans cet article (FifthPlay, Logica, NeoScore), que le financement vienne en tout ou en majeure partie d’une société.

Durée des projets: de quelques mois à quelques années, selon le type de projet ou selon que le point de départ soit une simple idée ou un prototype préexistant.

Trois types. Les livings labs flamands se classent dans 3 catégories:

  • exploration labs: lorsque l’on part d’une idée “brute”
  • experimental labs: qui travaillent à partir d’un prototype
  • evaluation labs: pour le lancement d’un MVP (minimum viable product)

On a ainsi vu se créer des living labs orientés smart city, à Anvers, ou ICT à Courtrai et Sint-Niklaas.

Gand s’est, elle, concentrée sur la thématique de l’e-inclusion, de l’e-participation et de l’e-gouvernement.

A Courtrai, le LeYLab permet à quelques 200 ménages de tester et d’expérimenter de nouveaux services média, des jeux, des services orientés santé, grâce à une connexion sur un réseau fibre optique haut débit.

A Sint-Niklaas, c’est la société FifthPlay (groupe Niko) qui fut à la manoeuvre, avec le projet InCityS. Pendant un an, 75 foyers, 250 utilisateurs “cobaye” et 25 commerçants ont pu tester diverses applications orientées “ville de demain”. Un écran tactile a ainsi trôné dans les domiciles et bâtiments afin de permettre aux occupants de s’informer (actualités, météo), aux prestataires de services, associations et commerçants de proposer leurs produits et services (avec commandes en-ligne, gestion d’abonnements, de rendez-vous…), aux simples citoyens d’entrer en contact direct avec leur administration communale et services annexes. Volet supplémentaire: les consommations (énergie, électricité, eau) des ménages furent également surveillées et mesurées.

iLab.o. Mission: santé

iMinds, le centre de recherche flamand spécialisé en ICT, médias et santé, et l’IWT, l’agence flamande pour l’innovation en sciences et technologie, sont les deux moteurs et animateurs derrière le living lab iLab.o dédié au secteur de la santé.

Tout comme le CETIC en Wallonie, iMinds est à la fois chargé de coordonner le programme et d’assurer le coaching méthodologique.

Le thème choisi de manière plus spécifique dans le cadre de l’initiative “Proeftuin ZorginnovatieRuimte Vlaanderen” est celui du vieillissement de la population. Objectif: stimuler l’innovation dans le domaine des soins de santé (prévention, diagnostic, soins…) et, plus spécifiquement, de solutions devant répondre au défi du vieillissement de la population. “Outre le phénomène du vieillissement de la population, une autre raison majeure d’agir dans ce domaine vient des nouveaux moyens et des nouvelles responsabilités confiées à la Région, en vertu de la 6ème réforme de l’Etat”, souligne Birgit Morlion, responsable du programme Health Living Labs chez iMinds et notamment chargée de la coordination du Flemish Care Living Lab. “L’objectif global qui a été fixé à l’horizon 2020 est de procurer à tous un accès à des soins de santé de qualité et financièrement abordables.”

Un appel à projets a été lancé en septembre 2013 par l’IWT qui a débouché sur la création de 6 livings labs orienté soins de santé pour les aînés. 6 labos, 6 “communautés régionales”. Une par province. Avec des ancrages à Anvers (AzoB), Alost (AIPA- Ageing in Place Aalst), Genk/Hasselt (Careville), Louvain (InnovAGE), Turnhout (Licalab) et Bruges (Online Buurten).

Au coeur de ces 6 labos, 23 projets ont été initiés à ce jour, auxquels participent 112 acteurs:

  • 30% d’entreprises (réparties comme suit: 30% de grandes sociétés et 70% de PME)
  • 27% d’acteurs venant du monde des soins de santé
  • 10% d’acteurs opérant dans le monde du bien-être
  • s’y ajoutent encore des universités, des centres de recherche, des autorités publiques (communes…)

La communauté des utilisateurs – élément essentiel de tout living lab – se compose quant à elle d’un panel de quelques 500 aînés, ainsi que de leurs familles et des prestataires de soins auxquels ces personnes âgées font éventuellement appel. Au total, ce sont plus de 600 prestataires de soins qui font ainsi partie de la communauté.

“Ces communautés sont actives par le biais des 6 plates-formes [régionales] mises en oeuvre, avec des actions qui diffèrent d’un living lab à l’autre”, indique Birgit Morlion.

Le recrutement des personnes devant faire partie de la communauté et l’animation de cette dernière passent par l’organisation de sessions d’information, par des sollicitations à participer relayées par un call center, par des événements réguliers de réseautage, ou encore par le biais e lettre que les instances communales envoient aux personnes âgées habitant sur leur territoire.

Les solutions, technologies, idées, pistes d’innovation qui sont sollicitées dans le cadre de ces living labs orientées “soins aux aînés” ne se limitent pas au seul domaine des nouvelles technologies. Tous les secteurs sont potentiellement concernés et sollicités. Jusque celui (par exemple) de l’alimentation, “pour explorer les possibilités de conceptions de produits alimentaires s’adressant spécifiquement à ce segment de population. Par exemple, pour améliorer la texture des aliments servis en maisons de repos…”.

Côté plus technologique, des concepts et domaines d’innovation tels que l’Internet des Objets, les capteurs en tous genres, les technologies “à porter” (“wearables”), la domotique… sont évidemment directement concernés et explorés. Mais toujours – principe du living lab oblige – via une approche bottom-up, en mode co-création avec les principaux intéressés, “afin de déterminer quelle technologie a leur préférence ou sera plus volontiers utilisée. Ce n’est en effet pas la technologie qui doit décider de ce que la personne (âgée) veut ou de la manière dont elle doit se comporter”, souligne Birgit Morlion.

Quelques exemples de projets

A Alost, le thème est celui de nouveaux concepts domestiques devant favoriser le maintien de la personne âgée dans son domicile. La recherche vise à la fois les nouvelles habitations, où il est plus aisé d’intégrer d’emblée les nouvelles technologies, et les bâtiments existants, qu’il s’agit d’aménager ou d’adapter.

Le living lab CareVille, dans le Limbourg (Genk et Hasselt), dédié à la “mobilité des soins” pour seniors (65 ans et plus). En l’occurrence, le concept de mobilité se décline sous de multiples aspects: mobilité du destinataire des soins mais aussi celle des processus de soins (délivrance de produits et de soins à domicile, télésurveillance…) et celle du prestataire de soins. Les innovations que le living lab voudrait générer sont destinées à rendre le travail (ou l’environnement de travail) plus flexible pour tous, y compris donc les professionnels de la santé, par exemple, ceux appelés à travailler à mi-temps.

Une infrastructure IT interactive permettra d’animer la communauté et de permettre à ses membres de participer activement aux générations d’idées, tests… Une application permet en outre de collecter et communiquer des données médicales telles que pression sanguine, taux de glucose, poids, fonctions respiratoires…

Parmi les partenaires: les villes et les CPAS de Genk et de Hasselt, FifthPlay, les pôles hospitaliers Jessa et Oost Limburg, la Croix Jaune et Blanche, FamilieHulp,

La technologie pour des soins et un suivi à domicile. Solution Cubigo.

Au rayon “santé à distance”, la société Aristoco a développé la solution Cubigo, un site Internet qui fait office de portail pour un ensemble de services orientés “maintien à domicile”. Via sa tablette et l’application Cubigo, une personne peut, de chez elle, commandes ses repas, envoyer des messages au sein d’une communauté, contacter son infirmière soignante en vidéo, prendre un rendez-vous chez le médecin mais aussi surveiller certains paramètres, tels que sa tension…

La société est partie prenante dans divers living labs et expériences-pilote. Notamment Flanders Care, Vitalink (l’équivalent du Réseau Santé Wallon), Carehome of the Future (projet exposé dans la maison-témoin Living Tomorrow/Huis van de Toekomst à Vilvoorde) et UD Woonlabo (aménagement d’une maison d’habitation traditionnelle, Hasselt). Sept communes hollandaises testent également la solution.

La start-up Cubigo a attiré l’attention de Google qui l’a récemment désignée comme “l’une des 15 start-ups technologiques [non Américaines] les plus prometteuses”, lui permettant d’intégrer la dixième édition de son bootcamp BlaxBox Connect. Ce passage de 15 jours dans la Silicon Valley permettra à la société de nouer des contacts avec des clients mais aussi des investisseurs et partenaires commerciaux américains potentiels.

NeoScores, start-up basée à Kontich, près d’Anvers, a développé une application qui permet de visualiser et “gérer” des partitions musicales sur tablette numérique. L’idée de base – pouvoir travailler avec des partitions numériques – a été testée en faisant appel au living lab d’iMinds. Les premiers tests de l’application (encore au stade du prototype, à l’époque) furent également effectués, en situation réelle, à l’occasion d’un atelier organisé à Gand avec une vingtaine de musiciens. Elle permet de créer, de numériser (téléchargement en format PDF ou MusicXML), d’échanger des partitions musicales. Elles peuvent par exemple être partagées entre un chef d’orchestre et les musiciens. La société dit vouloir y ajouter demain un potentiel de type marketplace.

Parfois l’idée de départ n’aboutit pas au résultat escompté mais “pivote”, change de cap en cours de route. Ce fut le cas d’un projet qui avait été amené par une entreprise, en l’occurrence la filiale néerlandaise de Logica qui avait émis l’idée – et voulait en vérifier l’adéquation et le potentiel – d’une application mobile permettant de prévenir rapidement et efficacement les services concernés en cas d’accident ou de calamité naturelle (par exemple, les professionnels de la santé), via identification des intervenants se situant le plus près possible de l’incident. L’idée était aussi de permettre à des réseaux de volontaires de se former, pour transporter rapidement des blessés vers l’hôpital le plus proche.

L’un des rôles du living lab qui s’est constitué (à Turnhout) autour de cette idée fut de déterminer qui serait prêt à payer (et combien) pour une telle solution.

Le projet, tel qu’imaginé, n’a pas abouti. Mais l’idée a mené vers une autre utilisation, très éloignée du concept de départ, puisque elle s’est finalement matérialisée sous la forme de dispositifs de type “wearables” qui “pistent” les sportifs, permettant à l’agence anti-dopage flamande de surveiller le lieu où se trouvent à tout moment ces sportifs. Histoire de vérifier leurs faits et gestes, de faciliter et documenter les contrôles.