Le dossier pénitentiaire électronique unique est devenu réalité

Pratique
Par · 02/02/2015

Disposer d’une source centralisée, unique et cohérente de données à propos des prisonniers incarcérés en Belgique (ou “externalisés” aux Pays-Bas) semble être une évidence, une condition sine qua non d’une surveillance – et gestion – efficaces.

Cela n’était toutefois pas le cas jusqu’il y a peu. Les informations étaient dispersées dans divers systèmes et dossiers, dont certains n’existaient que sous forme papier. C’était par exemple le cas des dossiers disciplinaires ou psycho-médico-sociaux. Les informations sur les visites étaient encore encodées dans de simples fichiers Excel, prison par prison. Les dossiers étaient en outre constitués, tenus à jour (quoique…) et conservés par différents services (services de police, justice, administrations carcérales…) qui ne se les échangeaient pas forcément ou pas dans des conditions optimales. Lors de transferts, le dossier était censé suivre le prisonnier mais ne revenait pas forcément à son point de départ en cas de simple transfert pour audition, par exemple.

Un bel écheveau.

Désormais, après plus de deux ans de développement, la solution Sidis Suite, dont le déploiement a débuté en septembre dernier, va permettre de remettre un peu d’ordre dans la bergerie et de procurer une vision plus claire du “parcours” du prisonnier, “depuis son incarcération jusqu’à sa libération” en passant par les multiples péripéties quotidiennes et au long cours de son séjour en prison.

Mi-Case

La solution Sidis Suite remplace en fait une ancienne solution Sidis (système d’information des détentions/detentie informatiesysteem) qui était beaucoup trop parcellaire, limitée en fonctionnalités et quasi-surannée (elle datait de 1996).

Le nouveau logiciel plus complet, web-based et, surtout, plus évolutif, s’appuie en fait largement sur le logiciel Mi-Case [voir encadré – réservé à nos abonnés Select et Premium – en fin d’article] développé par la société britannique Casmaco, filiale de Business & Decision, intégrateur notamment spécialisé en solutions de business intelligence.

Que trouve-t-on dans le dossier centralisé d’un détenu? Son identité, ses empreintes digitales, diverses données d’identification (avec synchronisation – pour authentification – avec le Registre national, des informations sur les congés pénitentiaires, permissions de sortie…, un agenda des planifications de “mouvements” (transferts internes ou externes). Mais aussi des informations sur son comportement (à risque ou non), ses objets personnels, les visites reçues, les formations suivies…

La petite exception de Tilburg. Le dossier des prisonniers belges “externalisés” dans la prison hollandaise de Tilburg présentera une petite particularité. Le dossier disciplinaire sera certes encodé et tenu à jour, par du personnel belge, dans Sidis Suite. Par contre, on n’y retrouvera pas des données “à caractère local”, telles que l’allocation des cellules, cette tâche étant l’apanage des autorités et du personnel néerlandais…

La version de base de Sidis Suite a été déployée depuis quelques mois. Premiers modules actifs: allocation des cellules, gestion des visites, calcul de la peine, gestion des titres de détentions, du dossier disciplinaire… D’autres modules viendront progressivement s’y ajouter, tels que la gestion des formations, des outils de statistiques et de business intelligence.

De même, des connexions supplémentaires seront instaurées vers d’autres systèmes, services et bases de données: base de données de la Police, systèmes des Régions et Communautés (responsables des programmes de formation en prison)…

Le dossier pénitentiaire centralisé servira aussi, selon les déclarations du ministre de la Justice Koen Geens, de socle pour la réalisation éventuelle (la proposition doit encore en être déposée et approuvée par le gouvernement et le parlement) d’un projet dans le cadre de la lutte contre le terrorisme “afin de mettre en œuvre un échange de données numérique, plus rapide et plus complet entre l’administration pénitentiaire, les maisons de justice et les services de police locaux.”

Suivi analytique au long cours

Au-delà de la gestion administrative du dossier d’un prisonnier, c’est la dimension analytique de l’exploitation des données qui représente une valeur importante pour les différents acteurs de la chaîne judiciaire et pénitentiaire. Les scénarios et possibilités sont multiples: évaluer l’évolution du comportement en prison, les chances de réinsertion, les risques de récidive… En cela, les modules d’analyse statistique, de data mining, d’évaluation des risques joueront un rôle majeur.

Les conditions d’utilisation de ces outils par les divers intervenants de la chaîne (responsables pénitentiaires, police…) doivent encore être décidées.

Mi-Case inclut un modèle d’analyse des risques et propose plusieurs méthodes analytiques. D’autres pourraient venir les compléter à l’avenir.

Des accès “personnalisés”

Qui a accès au dossier? Les autorités pénitentiaires, en tout premier lieu, mais aussi, via connexion à d’autres bases de données, d’autres acteurs tels que les services de police, les Parquets, les juges d’application des peines, juges d’instruction. A terme, des connexions seront aussi ouvertes pour l’Office des étrangers, les Régions et Communautés ou encore la Sécurité sociale.

Toutefois, tous ces intervenants n’ont pas les mêmes droits d’accès. “chaque utilisateur est associé à un “rôle” [ou profil]. En fonction de ce rôle et des raisons qu’il a d’accéder au dossier d’un prisonnier, le type d’informations qu’il pourra consulter variera”, explique Laurent Sempot, porte-parole de la Direction générale des Etablissements pénitentiaires.

Les avocats, eux, n’ont pas accès au dossier. Par contre, à terme, il est prévu que les détenus aient la possibilité de vérifier l’exactitude des informations les concernant. Réglementation sur la protection de la vie privée oblige.

Cet accès passera par une autre solution qui commence seulement à être déployée (en fonction des moyens financiers dont disposent les prisons). Il s’agit de la plate-forme Prison Cloud qui doit permettre au détenu, à partir de sa cellule, de consulter son dossier judiciaire et pénitentiaire, mais aussi de téléphoner, de prendre un rendez-vous chez le médecin ou encore d’accéder à certaines sites Internet (tels que les sites de recherche d’emploi).

Prison Cloud n’est actuellement implémenté que dans deux prisons (Beveren et Louvain). Un déploiement plus généralisé dépendra des budgets qu’on pourra allouer pour l’aménagement (notamment le câblage des cellules).

Quid de l’historique?

Pour l’heure, la solution et les données qui étaient gérées par l’ancienne solution Sidis ont été migrées vers Sidis Suite. On n’y trouve donc que les dossiers actifs – lisez, les dossiers des personnes actuellement en détention.

Le travail de numérisation des anciens dossiers papier – qu’il s’agisse des détenus actuels ou passés -, ce travail doit encore se faire et ne sera pas exhaustif. “On dénombre environ 450.000 dossiers pour une période de 20 ans”, souligne Laurent Sempot. Impossible (financièrement, entre autre) de tout numériser. Le périmètre exact de ce qui sera numérisé (et le choix du prestataire ou des acteurs à qui confier l’opération) doivent encore être décidés. Mais il y a de fortes chances pour que seuls les dossiers “actifs” aient droit à la manoeuvre. Tous les autres dossiers resteront en archives, pour une bonne part sous forme papier.

Les dessous de Sidis

La solution Sidis Suite – acronyme de “système d’information des détentions/detentie informatiesysteem” – a été mise au point par le consortium Bull, RealDolmen, Business & Decision.

Le logiciel s’appuie largement (avec quelques aménagements – en termes de configuration des modules – dictés par la situation locale) sur la solution Mi-Case développée par la société britannique Casmaco, filiale de Business & Decision.

Cet intégré de gestion et d’aide à la décision est aujourd’hui utilisé dans de multiples secteurs d’activités: depuis le suivi des détenus ou des délinquants jusqu’à la gestion des dossiers médicaux, des incidents dans le secteur pétrolier ou encore l’analyse de risque sur les chaînes de production.

Mais c’est bien dans le suivi des délinquants (britanniques) que la solution puise ses racines. Casmaco l’a conçue au départ pour permettre à de multiples intervenants (police, services sociaux, avocats, psychologues…) d’alimenter et d’accéder à un dossier de suivi de délinquants afin d’évaluer les risques de récidive.

La solution existe actuellement en deux versions: l’une “optimisée” pour l’approche pénitentiaire américaine; l’autre (Mi-Case Euroffender), destinée au marché européen est davantage orientée sur le prisonnier lui-même et son parcours- jusqu’à sa possible réinsertion.

La Belgique est le premier pays, en Europe, hors Royaume-Uni, à se doter de la solution. Développée en français et néerlandais, Sidis Suite devrait à terme pouvoir s’imbriquer dans le maillage des solutions de gestion pénitentiaire des divers pays européens. Et ce, notamment, dans la perspective d’un suivi de dossiers pénitentiaires trans-frontières via échanges de données (projet e-codex- e-Justice Communication via Online Data Exchange). Un premier test-pilote devrait être mené à terme conjointement par la Belgique et les Pays-Bas.  [ Retour au texte  ]