Le marketing est mort – Vive le Growth Hacking!

Pratique
Par Omar Mohout · 05/09/2014

Le growth hacking est un rejeton du mouvement “Lean Startup” qui considère la croissance rapide comme le test décisif que doit passer toute start-up qui voudrait réussir. Selon le business angel Andrew Chen, “le growth hacker est le nouveau VP Marketing”.

Une énième astuce de marketing lancée à grand renfort de publicité?

Le growth hacking ne serait-il pas la dernière expression à la mode pour parler du marketing sur Internet? Dans trois ans, précisera-t-on encore dans un CV qu’on a été “growth hacker”?

Une chose est sûre, nous sommes bien dans le domaine du marketing. Il n’empêche, la tournure d’esprit des growth hackers est différente. Première chose, le growth hacker est “obsédé par la croissance”. Cette personne ne fait strictement rien d’autre que de mener des expériences pour trouver des visiteurs, des utilisateurs et des clients.

Élément non négligeable, le growth hacker peut adapter le produit lui-même pour parvenir à ses fins. Là se trouve la spécificité du growth hackingdans les services logiciels et Web, produit et distribution se confondent.

Marketeur versus growth hacker

Un bon responsable de la commercialisation veille à ce que le budget marketing d’un million d’euros soit dépensé au mieux. En d’autres termes, il achète des clients. Un growth hacker, lui, essaie de générer un million de chiffres d’affaires sans budget. En d’autres termes, il trouve des clients.

Tant pis si elle est trop schématique, cette boutade illustre bien la plus importante particularité du growth hacker: être obsédé par la croissance. Mais l’obsession doit être alimentée par des données, une disposition à continuer à poser des questions, un peu comme dans la dialectique socratique ou chez Toyota, par l’envie d’expérimenter et d’être prêt à avoir pour leitmotiv “Kill your darlings”.

Le growth hacker assume la responsabilité de l’ensemble du funnel, jusqu’à la fidélisation, alors que le marketing traditionnel assure surtout le début du funnel et transmet dûment les clients potentiels aux collègues du département commercial qui, à leur tour, s’adressent au service clientèle une fois le client acquis.

Les ingénieurs logiciels qui comprennent comment fonctionnent le logiciel (produit) et l’Internet (distribution) ont un ou plusieurs coups d’avance. Pour tout dire, il est plus facile d’apprendre le marketing à un ingénieur que d’essayer de faire un ingénieur d’un spécialiste du marketing (à moins que ce spécialiste du marketing sache comment fonctionne Open Graph, évidemment).

“The name of the game” – le levier

Pour mieux comprendre le fonctionnement du marketing, on peut se le représenter comme une bascule: d’un côté se trouve “le poids du marché”; de l’autre, “le poids du budget marketing”.

En investissant le budget marketing dans les canaux de communication les plus indiqués (above the linebelow the line ou through the line), on essaie de “soulever” le marché, comme dans le schéma ci-dessous.

Tant que les canaux de communication rapportent davantage qu’ils ne coûtent, aucun problème à l’horizon.

Précisons simplement qu’aucune méthode décisive n’existait jadis pour calculer le retour sur investissement d’une campagne de marketing. C’est d’ailleurs ce qui avait fait dire à Henry Ford: “Je sais que la moitié de chaque dollar dépensé en marketing est perdu, mais voilà… je ne sais pas quelle moitié”.

La situation a totalement changé aujourd’hui: l’art consiste justement à sélectionner la bonne métrique dans la botte de foin que sont devenues les données.

Si vous ne disposez pas du budget marketing pour déplacer la bascule, il vous reste deux autres options: soit allonger le “bras marketing” de la bascule, soit déplacer le point d’appui (le produit) en direction du marché. Vous l’aurez deviné, le growth hacking consiste à travailler sur ces deux dimensions.

Allongement du bras marketing

Vous pouvez allonger le bras marketing du levier pour élever, de façon intelligente, une plate-forme de plus grande taille, c’est le “API Growth Hack”:

 

Citons quelques cas d’école d’API Growth Hacking:

  • Spotify: 24 millions d’utilisateurs actifs
    Chaque fois que vous écoutez une chanson, le titre et un lien apparaissent sur votre profil Facebook
  • Airbnb: 10 millions de réservations l’année passée
    Il y a “intégration” avec le premier site de recherche américain, Craiglist
  • Zynga: jeux, exclusivement pour la plate-forme Facebook, comme le cas bien connu de Farmville
    Le concept a grandi grâce à Facebook et avant que Facebook ne lui mette des bâtons dans les roues
  • Instagram: 150 millions d’utilisateurs actifs après 3 ans à peine
    Il y a une intégration avec Facebook et avec la plate-forme Twitter

On comprend mieux pourquoi de plus en plus d’applications souhaiteraient que vous vous loguiez en donnant votre profil Facebook, Twitter ou LinkedIn et en demandant l’accès à pratiquement toutes vos informations (contenues dans votre GSM). Le site de rencontre belge Twoo a grandi en pompant votre carnet d’adresses une fois acquise votre “autorisation” implicite. Le principe en vigueur était “it’s easier to get forgiveness than permission” (il est plus facile d’obtenir le pardon que l’autorisation).

Le premier levier reste quoi qu’il arrive le carnet d’adresses des utilisateurs.

Déplacement du point d’appui

Le growth hacking se base aussi sur les composants viraux incorporés dans le produit lui-même (c’est-à-dire le point d’appui). Un produit est viral s’il contient une boucle de rétroaction positive qui, comme un perpetuum mobile, continue d’attirer “tout seul” des utilisateurs. En un certain sens, le spécialiste marketing de la vieille école vend un produit existant alors que le growth hacker fabrique un produit qui se vend lui-même. Le produit étant au centre de cette approche, voilà qui explique la montée spectaculaire de UX, usability-et-design-trend.

Citons quelques produits “viraux” célèbres:

  • Hotmail: 1 million d’utilisateurs en 6 mois, 10 millions un an plus tard
    Résultat obtenu en ajoutant “P.S. I love you. Get your free email at Hotmail” au bas de chaque courriel envoyé, chaque utilisateur est ainsi devenu un vendeur involontaire.
  • Skype: 23 millions d’utilisateurs au cours des 18 premiers mois
    Le produit n’acquiert une valeur que si vos amis et votre famille s’en servent aussi.
  • Dropbox: 175 millions d’utilisateurs actuellement
    La recette: invitez vos amis et vous recevez un (immense) espace de stockage gratuit.
  • LivingSocial, un clone de Groupon: 70 millions d’utilisateurs
    Chaque produit ou service proposé, quel que soit son prix, est gratuit si trois de vos amis l’achètent.
  • Techcrunch: le blog de référence pour toutes les nouveautés “tech & startup”
    Le blog a grandi grâce à la mise à jour, pour chaque article, de la page wiki concernée et grâce à la création d’un lien renvoyant vers l’article en question.

Et si Twitter a pu grandir, c’est aussi grâce au growth hacking: un utilisateur qui suit au moins cinq à dix titulaires de compte Twitter continue d’utiliser la plate-forme. Tout a donc été fait pour atteindre cet objectif via des suggestions et l’importation de votre carnet d’adresses. En un certain sens, pour Twitter, la fidélisation, c’est aussi de l’acquisition.

Certains cas de growth hacking ont beau être moins spectaculaires, l’impact reste considérable:
Highrise qui, après de nombreux tests A/B, a inventé la page de destination “parfaite” et qui a tout simplement fait doubler le nombre de conversions.
Mais le prix de la page de destination qui tente d’accéder de la manière la plus originale à votre adresse électronique revient sans conteste à codecademy.
Et comme l’a démontré le cas de Mint, quelqu’un qui maîtrise parfaitement le SEO et le content marketing n’a pas besoin de Google Ads pour devenir grand, même si le concurrent (Intuit) est 300 fois plus gros.

Passer au viral, le rêve inavouable des marketeurs

Les produits viraux se portent bien dans l’environnement des consommateurs (B2C). Pourtant, ils sont souvent une étape pour progresser vers les entreprises (B2B), où le gros de l’argent sera généré. Pensez à Skype, Dropbox ou Gmail qui, dans une phase ultérieure, ont offert des services premium aux entreprises. Le fait que les travailleurs soient aussi des consommateurs, qui apportent avec eux leur propre hardware dans les murs de l’entreprise (la tendance BYOD), renforce et accélère encore cet effet.

Nous pouvons comparer un produit viral à une pyramide de Ponzi, où personne ne perd de l’argent. Quand il y a approche virale, le growth hacker pousse littéralement le “Net Promotor Score” jusqu’à son maximum: +100 (où tout le monde est promoteur). Et une fois que la sauce prend, il suffit d’adapter l’échelle.

Quand elles sont combinées, les petites améliorations ont de grandes conséquences

Les produits cloud-first ou app-first permettent des itérations rapides grâce auxquelles on peut réaliser des tests A/B en temps réel. C’est un peu comme si un débutant aux échecs pouvait battre un grand maître parce qu’il a deux coups chaque fois que c’est son tour. Les itérations peuvent donner des résultats spectaculaires. En outre, les entreprises Web sont orientées vers les données, ce qui veut dire que “mesurer, c’est savoir”. Plus que jamais.

De petites adaptations, comme une amélioration de 5% des composantes d’une filière de vente, peuvent avoir un impact énorme:

L’importance du produit

Il va de soi que le produit doit impliquer une expérience dénuée de toute friction. Le bon marketing est la manière la plus rapide de couler un mauvais produit.

Dans un monde numérique, le marketing est à l’image de la qualité. Il est transversal. Le marketing n’est pas un lieu séparé, il se déploie dans l’ensemble de l’organisation et devient une responsabilité partagée. Rien de surprenant parce que l’Internet fonctionne horizontalement (“démolisse les murs”), ce qui va totalement à l’encontre de la hiérarchie verticale des (grandes) entreprises. Les start-ups ont moins de problèmes sur ce plan.

Notre propre growth hack

Ce serait vraiment trop facile de rédiger un article sur le growth hacking sans nous donner la peine d’appliquer nos propres principes. Nous avons tout de même tenté l’expérience.

Nous avons lancé notre growth hack sur le plate-forme Meetup , qui permet d’organiser facilement des événements. Notre premier événement était le lancement de Growth Hacking Belgium. Nous avions dans notre “collimateur” plus de 1.100 de (would-be) growth hackers sans avoir dépensé un centime de budget marketing. Aujourd’hui, nous sommes le n ° 3 dans le monde, après la Silicon Valley et Paris.

Imprégnez-vous de l’atmosphère de cet événement en visionnant la séquence suivante sur YouTube. 

“So far, so good”, mais le growth hacker ne s’arrête certainement pas en si bon chemin. En impliquant les membres Meetup ainsi qu’en combinant quelques actions de faible envergure mais bien ciblées dans les médias sociaux, la présentation du growth-hacking a connu une diffusion “virale” via SlideShare, si bien qu’elle a été vue plus de 24.000 fois (!) en 24 heures: Growth Hacking Belgium (kick-off). 

Mission accomplie!

Le growth hacking en Belgique

La demande concernant les techniques, les connaissances et les expériences en matière de growth hacking est très forte. Comme nous voulions absolument limiter le nombre de places à 80, pour garantir un minimum d’interaction, nous avons pris la décision de répliquer l’événement dans d’autres lieux. Le but était de donner à autant de personnes que possible la possibilité de participer. Voilà pourquoi au-delà de Bruxelles, des réunions sur le growth hacking se tiennent désormais aussi à Anvers, Gand, Nivelles, Hasselt, Liège et à Louvain.

La formule est simple: les présents arrivent à l’événement vers 18h30, après la journée de travail. Une fois les participants restaurés, une présentation principale aborde un aspect particulier du growth hacking. Ensuite deux à trois growth hackers viennent rapidement témoigner respectivement sur des cas de mini-, midi- et maxi-hack. L’événement dure 2 heures en tout, après quoi la troisième mi-temps permet de faire du réseau avec des bleus et des maîtres du growth hacking. Le tout est gratuit, placé sous le leitmotiv du “pay it forward” – grâce auquel la Silicon Valley a fondé une partie de sa gloire.

Omar Mohout

conseiller et “growth engineer” au Sirris