Gestion des services IT (2ème partie): des entreprises encore mal chaussées

Pratique
Par · 11/08/2014

Voici quelques mois, la société de consultance montoise Mielabelo (spécialités: gestion IT, gestion de la qualité, amélioration continue, gestion des performances commerciales) procédait à une enquête auprès de grandes entreprises locales afin de déterminer leur degré de maturité en matière d’IT Service Management.

Dans ce second volet de l’analyse des résultats récoltés (relire par ailleurs la première partie), il sera question de l’efficacité de la prise en charge du support IT par la première ligne de support (interne), des difficultés de dialogue entre “business” et département IT et de solutions ITSM qui ont souvent mal vieillis.

Une efficacité toute relative

75% des départements IT interrogés disent absorber la charge du support IT qui leur incombe. Mais ce résultat somme toute favorable masque une réalité toute différente. “Absorber la charge” ne veut en effet pas dire que les problèmes qui sont soumis à l’IT trouvent une réponse. “Ces départements IT disent faire face à la charge de travail mais… ne rendent pas le bon service”, constate Emmanuel Jaunart. “Partout, les clients internes se plaignent.”

Source: Mielabelo

La cause? Un manque de compétences, de compréhension du problème posé. Résultat: un problème soumis au support de première ligne est renvoyé, comme une patate chaude, au niveau 2 ou 3. Sans qu’il y ait forcément de suivi pour vérifier qu’une réponse efficace sera donnée. “Le niveau 1 manque souvent des documents ou des outils nécessaires pour résoudre, diagnostiquer, aiguiller efficacement. Résultat: les tickets sont certes ouverts mais le restent, alourdissant le backlog.

On relève aussi une carence de bons réflexes. Un ticket est parfois mal rempli par le demandeur. Au lieu de faire préciser le problème, par l’utilisateur, pour pouvoir mieux le cerner, le problème est simplement relayé tel quel vers le niveau 2…” Où il a sans doute peu de chances d’être résolu aisément, puisque mal documenté.

Il y a donc là aussi un problème de dialogue et de compréhension entre l’IT et ses “clients”. Parce qu’ils ne parlent pas le même langage.

Preuve supplémentaire de cet état de fait: les catalogues de services, rédigés par l’IT et dans lesquels le client/utilisateur doit pouvoir puiser, sont libellés dans des termes techniques, souvent opaques, incompréhensibles pour l’utilisateur qui n’est pas particulièrement familiarisé avec l’IT. “Seules 30% des sociétés ayant participé à notre enquête ont rédigé une version business, plus lisible, de leur catalogue de services.” Par exemple: “canal autorisant le travail à domicile”, plutôt que l’opaque acronyme VPN.

Autre exemple, vécu sur le terrain: quand le helpdesk demande à un utilisateur “dans quel domaine êtes-vous?”, il a davantage de chances de s’entendre répondre “perception fiscale” ou “installateur de machine à café” que INGPC2…

Des univers qui se connaissent mal

Quels outils les départements IT utilisent-ils pour évaluer processus et efficacité du support IT?

  • Plus de la moitié (57%) des départements IT ayant participé à l’enquête de Mielabelo recourent à des indicateurs “basiques” pour certains processus, s’appuyant par exemple simplement sur le nombre de tickets ouverts par thème
  • environ un tiers des participants à l’enquête ont recours à des tableaux de bord spécialement dédiés à l’IT
  • 7% utilisent des scorecards (dimensions RH, budget et finances comprises) afin de communiquer de manière dynamique avec les clients internes.

Au-delà de la question des moyens utilisés, l’étude s’est aussi arrêtée sur la manière dont le département IT communique – ou non – avec ses “clients”, à la fois pour récolter les demandes et besoins et pour faire rapport des mesures prises.

“L’ICT demeure un centre de support, et pas encore un levier métier (business enabler). Le département informatique reste orienté produits au lieu de se transformer en prestataire de services.”

Constat? Les communications vers les utilisateurs internes sont rarement structurées et demeurent souvent informelles “via le bouche-à-oreille ou autour d’une tasse de café”. 22% des sociétés ayant participé à l’enquête avouent même n’avoir n’ont instauré aucun canal ou mode de communication.

Or, , souligne Emmanuel Jaunart, il ne faut pas nécessairement recourir à des outils sophistiqués et onéreux pour communiquer. “Afficher simplement les “performances” de l’IT – nombre de problèmes résolus, temps de réponse aux requêtes…. – dans le couloir permet déjà aux utilisateurs de voir où on en est, s’il y a progrès. Si on ne communique pas, l’IT demeure opaque pour le client qui continue d’avoir une mauvaise perception de son rôle et de son utilité.”

Emmanuel Jaunart (Mielabelo): “Il y a peu de bonne communication continue entre l’IT et le business pour déterminer là où le bât blesse au quotidien. Le département IT interne n’agit pas comme le ferait un sous-traitant qui vérifierait auprès de son client s’il est satisfait. Or, en tant que service IT interne, il est proche de son client. Il l’a littéralement sous la main. Pourquoi ne pas en profiter?”

“Le département IT connaît encore mal ses clients internes tandis que ces derniers ont fort peu conscience de ce que l’IT peut leur offrir”, poursuit Emmanuel Jaunart. Bien souvent, l’IT ne communique vers le “business” (les responsables opérationnels et, en finale, les utilisateurs) que pour des actions de support ou lors de l’élaboration du plan stratégique. “Il y a, au sein des entreprises, un manque flagrant de “marketing” de l’IT, que ce soit par le truchement d’enquêtes, de wikis, de portails en self-service où les utilisateurs peuvent venir puiser des réponses à leurs questions, voire se former. Etablir des contacts une fois tous les deux ou trois mois, par le biais du change advosory board [comité consultatif responsable des changements], est largement insuffisant.”

Outils onéreux, peu conviviaux

La majorité des solutions ITSM sont installées sur site (l’ITSM en mode SaaS n’est encore utilisé que par 5% des sociétés sondées).

52% disposent d’outils d’inventaire, 92% d’un outil de ticketing pour la gestion des incidents et des requêtes.

Source: NurdCartoon

“La plupart du temps, les outils ITSM utilisés pèchent par manque d’ergonomie, de flexibilité, de convivialité”, constate Mielabelo, qui y voit un effet (pervers) de l’avance qu’avait pourtant prise le marché belge, dans le courant des années 90, en étant reconnu comme l’un des marchés précurseurs dans l’adoption d’ITIL (les plus précoces ayant été le Royaume-Uni et les Pays-Bas).

En suivant le raisonnement de Mielabelo, les entreprises n’auraient donc pas modernisé leurs outils. “La plupart des entreprises ont encore des solutions ITSM qui font aujourd’hui figurent de dinosaures. Les intégrés HP ou BMC de la première heure ont mal vieillis, sont devenus complexes à force d’être intégrés avec d’autres solutions que ces fournisseurs ont racheté au fil des ans. Les pays qui ont adopté ITIL plus tard se sont davantage tournés vers des solutions plus modernes.”

Les entreprises ne doivent donc pas s’y coltiner le poids du passé. “Les sociétés [belges] sont pieds et poings liées à de vieilles solutions, sans les moyens financiers nécessaires pour réinvestir. En France, par contre, la moitié des achats de solutions ITSM sont désormais de type SaaS, plus proches du CRM que d’une console de ticketing.”

Les chiffres, selon Mielabelo, sont éloquents: 30% seulement de portails ITSM self-service en Belgique contre 50% en France.