Gestion des services IT: des entreprises encore mal chaussées (1ère partie)

Pratique
Par · 08/08/2014

Mielabelo, société de consultance basée à Mons (spécialités: gestion IT, gestion de la qualité, amélioration continue, gestion des performances commerciales), publie les résultats d’une enquête réalisée, fin de l’année dernière, destinée à déterminer le degré de maturité des (grandes) entreprises belges en matière d’ITSM (IT Service Management), autrement dit de gestion des services informatiques.

Les résultats laissent apparaître encore nombre de lacunes et de carences, que ce soit dans les processus mis en oeuvre, l’efficacité de la stratégie de support définie – ainsi que du suivi de sa mise en oeuvre – et des améliorations sensibles devant être apportées à la manière dont les responsables opérationnels et le département informatique communiquent. Emmanuel Jaunart, consultant chez Mielabelo, confirme par ailleurs un constat souvent fait dans le monde des entreprises: “L’ICT demeure un centre de support et n’apparaît pas encore comme un levier métier (business enabler). Le département informatique reste orienté produits au lieu de se transformer en prestataire de services.”

Maîtrise interne de l’ITSM

Près de 50% (47,8%) des sociétés interrogées (voir la méthodologie utilisée en encadré) s’appuient sur une équipe de support IT purement interne. Elles sont un peu moins nombreuses (45,7%) à sous-traiter une partie de la gestion et du support. Seules 6,5% des sociétés participantes disent confier la totalité du support de leur informatique à un tiers. “C’est une bonne chose”, estime Emmanuel Jaunart, cofondateur de Mielabelo, “car cela signifie que la maîtrise de la valeur IT reste en interne. La société a ainsi davantage de facilités pour gérer son patrimoine, sans devoir quémander à un prestataire externe un accès à ses propres données.”

Méthodologie

59 entreprises belges ont répondu à l’enquête (sur un total de quelque 350 société sollicitées). Elles sont actives dans divers secteurs, privés ou publics (banque, assurances, industrie, services d’utilité publique, soins de santé, services).

Elles se situent dans leur toute grande majorité dans le segment des grandes entreprises puisque leur parc IT comporte en moyenne 3.000 systèmes (ordinateurs de bureau), près de 400 serveurs et environ 550 équipements mobiles. Certains des départements IT sollicités et ayant répondu à l’enquête gèrent des parcs géographiquement dispersés (divers sites situés en Belgique et/ou à l’étranger). Toujours en moyenne, l’équipe de support se compose de 30 personnes (dont plus des deux-tiers au niveau 2 – support par des experts).

 

Qui est responsable de la gestion et du support IT?

Dans la majorité des cas (57%), la personne officiellement responsable de la gestion et du support de l’infrastructure informatique est le directeur IT. Vient ensuite, dans près d’un quart des cas, un membre de la direction (CxO) et le responsable du helpdesk (12%). Le fait que certaines sociétés aient confié cette responsabilité à un membre de la (haute) direction est un signe de maturité aux yeux d’Emmanuel Jaunart: “c’est la preuve de l’importance que la société octroie à l’alignement de l’IT sur les besoins business.”

Mielabelo pointe par ailleurs l’absence fréquente d’une personne dédiée à l’ITSM:

– 73% des sociétés interrogées n’ont pas désigné de responsable processus

– dans 34% des cas, les tâches de contrôle de processus sont gérées en plus d’autres tâches opérationnelles quotidiennes. “Il n’y a généralement pas de responsabilités clairement définies. Tout le monde met donc un peu la main à la pâte. C’est inquiétant.”

Seules 61% des sociétés sondées ont créé une cellule ITSM.

Et les outils d’évaluation font encore largement défaut. “Seulement 55% des personnes interrogées disposent de métriques exploitables. 22% n’en ont aucune. Et seulement 7% communiquent des métriques au business.”

L’intérêt d’une “feuille de route”

Combien de sociétés ont défini une “feuille de route” IT?

  • 45% disent définir un plan annuel, assorti d’objectifs spécifiques
  • 9,5% en ont un et le mettent à jour tous les 6 mois (mais, attention!, avoir défini un plan ne veut pas nécessairement dire qu’il soit exécuté – ce n’est le cas que dans un cas sur trois…)
  • 16,7% se contentent d’une “vision hélicoptère à 3 ans”
  • 9,5% des sociétés n’ont encore rien prévu mais disent vouloir s’y atteler à court terme
  • 19% n’ont rien prévu et ne semblent pas vouloir changer d’optique.

Parmi ces dernières, la réaction est parfois de dire “à quoi sert de définir une feuille de route puisque le business change tout le temps?”

Résultat? L’entreprise “navigue à vue”. S’il est vrai qu’il faut demeurer réactif et ne pas s’enfermer dans un schéma rigide, il est utile de définir une feuille de route IT, souligne Emmanuel Jaunart, ne serait-ce que pour pouvoir savoir quoi mettre en oeuvre pour répondre aux besoins du business, besoins qu’on aura préalablement pris le soin de collecter, afin que l’opérationnel puisse travailler au mieux de ses possibilités. “Collecter les besoins permet de déterminer où sont les zones d’inconfort de l’utilisateur par rapport au département IT. N’est-il par exemple pas utile pour l’IT de savoir aussi quel budget ses clients peuvent lui fournir chaque année? Consacrer, chaque trimestre, quelques jours pour faire le point, pour déterminer quel nouveau besoin ou problème est apparu ou, au contraire, a été résolu, vaut mieux que de passer en bloc 30 à 50 jours par an pour dresser un plan IT et tout bouleverser en fin d’année…”

C’est intéressant, voire utile, mais…

43% des départements IT interrogés ne procèdent pas à une évaluation régulière de leurs processus.

Parmi ceux qui se livrent à cet exercice, 34% se tournent vers des auditeurs externes, 30% vers leur propre équipe d’évaluation ou de gouvernance mais 13% des entreprises confient cette tâche au département informatique lui-même, chargé de… s’auto-évaluer. “Il est dès lors à la fois juge et partie”, sans regard indépendant jeté par un auditeur externe [du genre Mielabelo], regrette Emmanuel Jaunart.

Emmanuel Jaunart (Mielabelo): “Seuls les départements IT les plus matures procèdent à des évaluations ITSM. Les plus “classiques” vivent davantage en autarcie.”

Le directeur informatique reconnaît généralement la valeur qu’il y a à définir une feuille de route stratégique en matière d’ITSM et de procéder régulièrement à des évaluations ITSM.

59% des (59) personnes interrogées disent avoir effectué une évaluation ITSM au cours des 12 derniers mois. Avec des résultats divers: 88% d’entre eux estiment que “cela en vaut la peine” tandis que les 12 autres pour-cents regrettent que cet audit n’aient pas donné d’enseignements “actionnables”.

L’enquête de Mielabelo pointe par contre 30% de sociétés qui disent ne pas vouloir procéder à un tel exercice d’audit. Pourquoi? Les motivations ne sont pas toutes très claires mais Mielabelo y voit, pour certains, un excès de confiance par rapport aux mécanismes en place et à la capacité de la société à pouvoir faire face à ses obligations de services et de support. “La raison qui nous a souvent été formulée est que la société “sait ce qu’elle doit faire. Les responsables IT se disent confiants, se basant parfois uniquement sur le fait qu’ils ont recours à un framework. Or, ce n’est pas parce qu’on est conforme ISO, Cobit ou ITIL que tout va bien.”

Cadres de référence utilisés parmi les participants à l’étude: majoritairement ITIL, souvent sa version 3. COBIT, lui, est utilisé par 20% des sociétés ayant répondu à l’étude.

D’autres sociétés se montrent, elles, sceptiques sur ce que peuvent leur apporter les auditeurs.

Parfois aussi- et c’est notamment vrai dans le secteur public-, une nouvelle génération de responsables IT est entrée récemment en fonction. “Leur réaction est alors de dire qu’ils en sont encore au stade où ils jettent les fondations de la nouvelle politique ou stratégieIT et n’ont dès lors pas encore besoin de procéder à une évaluation…”

Emmanuel Jaunart voit aussi dans ce désintérêt ou dans ce rejet d’une évaluation ITSM le résultat du positionnement de l’IT. “Il y a encore trop rarement une relation de type client avec le business.” Trop souvent, on rencontre encore des situations où le département IT déclare agir uniquement sur injonction des responsables opérationnels, sans dialogue, sans chercher à se comprendre mutuellement. Un dialogue jugé inutile par les responsables IT “étant donné que, de toute façon, le business ne connaît rien à l’IT et n’est même pas capable de formuler ses besoins, clairement et avec exactitude.”

Dans la deuxième partie de l’analyse des résultats de l’enquête Mielabelo (à lire ici), nous nous arrêterons sur l’efficacité réelle de la prise en charge du support IT par la première ligne de support (interne), sur les difficultés qui continuent de polluer la manière dont “business” et département IT communiquent (formulation des demandes, offre d’assistance, explication du rôle de chacun) et aussi sur le constat que les (grandes) entreprises belges ne disposent pas forcément de solutions ITSM optimales.