Notre modèle de société est en péril

Tribune
Par Pierre Guisset · 07/05/2014

Nos entreprises connaissent des difficultés. Elles ne grandissent pas suffisamment vite, le nombre d’emplois nouveaux créés est insuffisant. Leur compétitivité est faible: les coûts salariaux sont trop élevés, alors que le pouvoir d’achat des travailleurs est trop faible. Nos super-entreprises, les “gazelles”, sont de plus en plus rachetées par des groupes étrangers avant d’avoir pu se développer et ne deviennent pas les leaders mondiaux espérés. Les centres de décision stratégique se trouvent de plus en plus à l’étranger. Les aides aux entreprises sont insuffisamment ciblées et… trop lentes. Il y a une instabilité croissante des règles légales, fiscales, administratives en vigueur. L’incertitude règne sur le pays : la Wallonie et Bruxelles n’osent pas, se regardent en chiens de faïence et sont toujours en position réactive, défensive vis-à-vis de la Flandre. Les situations absurdes se multiplient. La logique et la “responsabilisation des responsables” semblent avoir disparu de notre système.

Tous ces problèmes sont interconnectés.

Voici les 10 mesures que le prochain Ministre de l’Economie doit prendre pour inverser cette spirale négative.

 

Etre le défenseur des entreprises et des entrepreneurs

L’origine des difficultés et les mesures à prendre relèvent parfois du niveau régional, du niveau communautaire ou du niveau fédéral. Voilà une complexité dont les entreprises et les entrepreneurs se passeraient volontiers!

Le Ministre régional de l’Economie doit devenir l’interlocuteur privilégié des entreprises et s’en faire l’avocat pour obtenir les réformes et mettre en œuvre les mesures appropriées à tous les niveaux de pouvoir.

 

Généraliser l’application du Small Business Act

Favoriser l’accès à certains marchés publics aux PME régionales est une des dispositions majeures du SBA. L’impact attendu est triple: d’abord créer de la valeur et de l’emploi local, ensuite procurer aux PME régionales une référence-client les crédibilisant dans leurs démarches à l’étranger et, enfin, déployer des pratiques et outils innovants au sein des services publics (ce qui devrait permettre d’en améliorer l’efficacité en réduisant les coûts).

 

Créer le pôle de compétitivité IT

Les TIC sont à la base de plus de la moitié des gains de productivité et de compétitivité dans tous les secteurs industriels. Il est impensable pour une région de ne pas mettre l’accent sur le soutien au secteur des TIC. Dans l’actuel Plan Marshall, la transversalité des TIC déforce ce secteur. Nos entreprises informatiques ont besoin de souffle, d’ambition, de modèles. Nos entreprises IT sont orientées vers le service ; elles doivent apprendre à concevoir des produits et à les commercialiser globalement. Cela devrait être la mission de base du nouveau pôle de compétitivité IT, et cela ne réduirait en rien le soutien que les entreprises et centres de recherche TIC pourraient apporter aux autres pôles de compétitivité.

 

Simplifier et optimiser les aides publiques aux entreprises

Les instruments d’aides publiques en Région wallonne sont excellents… mais susceptibles d’améliorations.

La procédure pour l’obtention des aides à la consultance doit être simplifiée, le délai effectif d’obtention d’une aide à la recherche et au développement doit être réduit. Pourquoi, par exemple, ne pas décider que toute demande qui n’aura pas reçu de réponse complète et définitive endéans les 3 mois sera de facto acceptée?

Les aides doivent privilégier les moyennes entreprises (par exemple entre 25 et 250 collaborateurs) en leur donnant des taux majorés, aujourd’hui réservés aux très petites entreprises. Ce sont en effet dans ces moyennes entreprises que les gisements d’emplois sont les plus importants : combien faut-il créer de spin-offs pour créer autant d’emplois qu’une entreprise de 50 personnes qui triple son activité?

Et pourquoi ne pas généraliser le lien entre l’octroi de ces aides et la création d’emplois, comme cela se fait dans d’autres régions?

Enfin, à l’heure de l’Internet et de l’e-commerce, donnons aux entreprises plus de transparence et de visibilité dans le suivi de l’instruction de leurs dossiers de demande d’aide, par exemple sous la forme de tableaux de suivi accessibles sur le site de la Région.

 

Défiscaliser les revenus du travail des dirigeants-actionnaires de PME en croissance et qui créent de l’emploi sur le territoire régional

Beaucoup de nos “gazelles” sont revendues par leurs dirigeants-fondateurs avant d’avoir complètement réalisé leur potentiel de croissance. Cette stratégie d’exit est encouragée par le cadre fiscal (revenus du travail lourdement taxés au contraire des plus-values sur actions).

En défiscalisant les revenus du travail du dirigeant, conditionnellement à la croissance de l’emploi, on élimine l’incitant qu’il a à revendre son entreprise prématurément et on l’encourage, au contraire, à soutenir la croissance de son entreprise sur la durée.

Cette mesure permettra de conserver des centres de décision sur le territoire régional, relocalisera des entreprises, favorisera la croissance des gazelles et l’émergence de leaders mondiaux (consolidants plutôt que consolidés). Voilà de quoi remplacer utilement les intérêts notionnels !

 

Simplifier, réduire les contraintes administratives, stabiliser les règles

Les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs ainsi que leurs dirigeants souffrent depuis quelques années d’un accroissement très important de la charge administrative et de changements législatifs à répétition (par exemple, en matière fiscale, de gestion des ressources humaines, de règles environnementales…), souvent lancés prématurément. Il faut stabiliser les règles du jeu !

 

Augmenter les budgets de fonctionnement des écoles

Nous investissons beaucoup dans notre enseignement, et pourtant le corps enseignant est largement démotivé, démobilisé et les résultats des comparaisons internationales ne sont pas à notre avantage. Nous devons re-motiver nos enseignants, non pas par une augmentation des rémunérations que nous ne pouvons nous permettre, mais par un réinvestissement dans leur cadre de travail.

Nous avons trop appliqué par le passé la “râpe à fromage” sur les budgets de fonctionnement de nos écoles qui s’élèvent à moins de 60% de la moyenne européenne. Les conséquences sont des outils non adaptés, un cadre vieilli, mal entretenu, une démotivation de tous… Une revue de l’affectation des moyens financiers consacrés à l’enseignement et un rééquilibrage pour assurer un fonctionnement correct des outils doit être une priorité.

 

Réduire les coûts des services publics, améliorer leur efficacité, et ensuite réduire la pression fiscale

L’une des raisons expliquant que le coût salarial est trop élevé et que le pouvoir d’achat des travailleurs est trop faible est que les prélèvements pour le fonctionnement des services publics sont particulièrement élevés. Or, nous ne nous trouvons pas dans une situation où la qualité des services rendus au public est particulièrement exceptionnelle (même s’il faut reconnaître les progrès énormes accomplis par les administrations wallonnes et bruxelloises pour développer l’esprit de service, l’orientation-client).

Il faut donc continuer et intensifier l’amélioration de la productivité dans les services publics, simplifier les structures, éliminer les antennes sous-régionales (nous ne sommes pas dans un territoire si vaste et où les moyens de communication sont tellement mauvais qu’il est nécessaire de créer des antennes locales pour des services publics régionaux).

Ici aussi, l’utilisation des nouvelles technologies (produites par des entreprises régionales, dans un esprit SBA) doit permettre d’assurer ces gains de productivité.

 

Solidarité Wallonie+Bruxelles

Bruxelles et la Wallonie seront tous les deux plus forts en s’associant réellement, fortement. Aujourd’hui les deux régions ne mettent pas vraiment en œuvre leurs synergies industrielles ; dans certains cas, il existe même des situations de concurrence négative (par exemple au niveau des systèmes d’aide) ou de freins à la coopération entre entreprises des deux régions.

D’une position qui a toujours été défensive vis-à-vis de la Flandre depuis que les réformes de l’Etat se succèdent pour toujours plus de fédéralisme, l’établissement d’une vraie intégration politique et économique de Bruxelles et de la Wallonie nous permettra de jouer l’attaque sur le plan communautaire et de mener le jeu.

Complémentairement, un décompte intégral des fameux transferts Nord-Sud devra prendre en considération l’ensemble des transferts Sud-Nord cachés à savoir, par exemple, les rémunérations des fonctionnaires fédéraux et travailleurs des parastataux, très majoritairement flamands, ou les investissements et dépenses des pouvoirs publics et autres sociétés publiques, très majoritairement orientés vers des entreprises néerlandophones ou bruxelloises mais composées à 90% de néerlandophones (voir les investissements de la SNCB, de la Justice, les projets IT fédéraux…).

 

Chasser les absurdités

Notre système génère des absurdités. Ce ne doit pas être une fatalité ! Nous devons les résoudre et réintégrer la “logique” comme un guide!

La première absurdité est désignée par l’expression « piège à l’emploi » : aujourd’hui, certains travailleurs auraient plus de moyens financiers disponibles s’ils arrêtaient de travailler. C’est insupportable.

Un autre exemple: répartir les compétences de l’économie, de la recherche et des technologies nouvelles entre plusieurs ministres est illogique, à corriger dans le prochain gouvernement.

La responsabilisation de chacun est nécessaire pour éliminer toutes les absurdités, réduire les erreurs qui coûtent cher (voir les récentes erreurs commises par l’administration wallonne, par exemple pour l’envoi des invitations à payer la taxe de circulation), et privilégier l’intérêt collectif.