Manuel Pallage, NSI: “arrêter de ramer à contre-courant”

Interview
Par · 30/04/2014
Mes idées
  • moduler le niveau d’indexation en fonction du niveau d’ancienneté ou de salaire
  • transformer une partie des charges patronales en budget formation
  • poursuivre l’effort de la simplification administrative
  • donner plus de visibilité aux sociétés IT qui ont réussi afin de susciter plus de vocations
  • augmenter l’équipement informatique des écoles secondaires
  • doper l’image technologique de la Wallonie par quelques projets-phare
  • susciter synergie et collaboration entre entreprises sur des projets de grande ampleur, pour générer de la valeur
  • viser également une approche réellement régionale au niveau de projets visibles
  • instaurer une règle de distribution: pour chaque euro investi en soutien au monde industriel, une somme (à déterminer) serait investie dans la formation aux technologies nouvelles

Aux yeux de Manuel Pallage, patron de NSI IT Software & Services, la compétitivité du secteur IT local passe en priorité par l’aménagement de certaines dispositions, notamment fiscales.

Manuel Pallage (NSI): “Aider les entreprises à engager davantage de jeunes sans expérience afin de former les talents prometteurs.”

“La hauteur des charges salariales est un facteur particulièrement sensible pour la croissance et la rentabilité des entreprises de services et de consultance en IT. Dans sa forme actuelle, l’indexation des salaires (et en particulier les taux élevés d’indexation appliqués en 2012 et 2013) est un mécanisme particulièrement pénalisant pour des entreprises de services.

Le fait que les charges salariales soient trop lourdes va inciter à terme les acteurs de ce marché à chercher des solutions en off-shore pour certaines activités non cruciales de leur gamme de services.

Pour ce qui est de NSI, je suis fier de dire que nous avons pu recruter 120 collaborateurs en Wallonie ces quatre dernières années. Nous assurons toujours en local 99% de nos services mais c’est sans doute une attitude légèrement idéaliste qu’il nous faudra sans doute à terme reconsidérer.”

Sa proposition? “Pourquoi ne pas envisager de moduler le niveau d’indexation en fonction du niveau d’ancienneté ou de salaire? Cela permettrait aux entreprises de disposer de d’avantage de moyens pour faire évoluer les jeunes salariés.”

Le salaire, “frein” à l’emploi

“Si les charges salariales étaient plus faibles, nous engagerions davantage de personnes. Parce que cet argent que l’on donne à l’Etat serait sans doute investi davantage dans des jeunes que l’on n’hésiterait pas à engager et à former. Aujourd’hui, on a plutôt tendance à rechercher des personnes expérimentées, plus opérationnelles, parce qu’on manque de moyens à affecter à la formation.

Puisque l’on veut redynamiser l’emploi, il faut sans doute limiter les charges sur un certain nombre de professions, limiter l’indexation. Une indexation à 2,35%, comme ce fut le cas l’année dernière, ne change pas fondamentalement la vie d’un consultant qui gagne bien sa vie mais devrait par contre avoir un impact significatif sur un emploi moins bien payé. Le mécanisme est mal pensé parce qu’il favorise toujours les plus hauts salaires. Il faut inverser la pyramide. Moduler l’indexation par paliers de salaire.”

Manuel Pallage: “L’indexation, en soi, est un bon mécanisme mais sa forme actuelle a pénalisé toutes les sociétés de services IT ces dernières années. Cela nous empêche de faire évoluer les jeunes et les personnes prometteuses comme nous le voudrions car les moyens affectés aux augmentations salariales chaque année sont limités et consommés en très grosse partie par l’indexation qui favorise tous les employés.”

“Il faut aussi que tout le monde joue le jeu. Nombreux sont les clients qui refusent que l’index soit répercuté sur les prix de vente.  Et c’est loin d’être une attitude des seuls acteurs privés. Il y a du travail de ce côté.

En matière de formation de jeunes recrues ou de personnes prometteuses, je convertirais volontiers une partie du montant des charges patronales que nous payons en formations. Je suis prêt à signer un contrat avec l’Etat ou la Région m’engageant à convertir ce montant en formations. Cela nous permettrait peut-être de prendre le risque d’engager davantage de jeunes sans expérience et de les former pendant 6 mois.”

Manuel Pallage estime par ailleurs que d’autres impositions devraient être revues, annulées, parce que ne correspondant plus à la réalité ou à l’objectif de redynamisation économique. Exemple.

“Je pense parfois que l’on se trompe de combat et que l’on rame à contre-courant. N’est-ce pas totalement incongru, d’une part, de promouvoir les nouvelles technologies et, d’autre part, de décider de taxer, par des cotisations sociales et du précompte professionnel, les GSM et l’ADSL payé par l’employeur à ses employés? Ce sont des outils désormais indispensables pour quiconque veut fonctionner professionnellement. En l’occurrence, le message est donc particulièrement mauvais.”

Booster l’image

Le secteur ICT est par ailleurs à ses yeux un pilier majeur pour les redéploiements futurs de la Région. Une chose qui n’est pas suffisamment mise en avant, exploitée ou favorisée.

“Si j’avais un message pour le prochain gouvernement, je dirais qu’il nous faut, tous ensemble, booster encore plus l’image technologique de la Wallonie. Je trouve que l’on parle un peu trop de logistique et de métiers verts alors que de plus en plus d’acteurs du monde ICT, au sens large, connaissent du succès, contribuent au renouveau de notre région et créent des emplois.

La richesse générale de notre région sera, selon moi, améliorée si l’on donne la possibilité à des sociétés technologiques avant-gardistes de développer des métiers à haute valeur ajoutée et donc aussi à haut salaire, sans charges démesurées.”

Manuel Pallage: “Il n’y a pas assez de diplômés en informatique alors que c’est clairement une piste de renouveau pour la Wallonie.”

Et de poursuivre: “heureusement, nous avons un Ministre de tutelle pour l’ICT en Wallonie (on peut entre parenthèses se demander pourquoi ce n’est pas le cas, pour une matière aussi importante, au Fédéral). Mais il faudrait davantage de moyens. Le Master Plan TIC est clairement un très bon plan dont les axes doivent continuer d’être adressés au-delà de 2015.”

Plus particulièrement dans deux axes, estime-t-il,

“Nous devons accentuer encore la simplification, l’informatisation des processus administratifs et faire de la Wallonie un leader reconnu et très visible dans ce domaine, comme le Québec l’a par exemple très bien fait. Le travail qui a déjà été abattu dans ce sens est bon. Le concept de sources authentiques et la constitution de la Banque Carrefour d’Échange de Données sont un aboutissement et une incroyable opportunité. Il faut encore intensifier ce genre de choses. Le fait, à terme, de pouvoir solliciter des processus, sans se soucier de la disponibilité et de l’authenticité des données, suscitera des applications qu’on ne soupçonne pas encore, la création de nouvelles sociétés. Une inventivité va pouvoir se développer autour de ces nouveaux potentiels.

Par ailleurs, il nous faut obligatoirement investir encore plus dans l’équipement informatique des écoles. Susciter des vocations. Une idée en la matière: je dirais qu’il faudrait une règle de distribution qui ferait que, pour chaque euro investi dans le soutien au monde industriel, il y ait une somme investie dans l’équipement des écoles et la formation aux technologies nouvelles.”

Manuel Pallage: “Donner aux jeunes les moyens de programmer, de développer des outils statistiques, de s’amuser avec l’IT durant les études secondaires. Cela manque. Quel que soit leur métier futur, ils seront confrontés à l’informatique. Et ce serait aussi susciter des vocations chez ceux qui veulent continuer dans la voie de l’IT.”

L’image [et la réalité] technologique de la Wallonie doit également passer, selon Manuel Pallage, par quelques réalisations de grande ampleur. Des efforts, à cet égard, doivent encore être accomplis pour “en arriver à une approche réellement régionale au niveau de projets visibles. J’en veux pour exemple le fait que plusieurs villes lancent des cahiers des charges pour mettre en place leur smart city. C’est là quelque chose de remarque qu’il faut intensifier mais il faut également une coordination de ces efforts pour éviter, par exemple, qu’un visiteur doive s’identifier de manière différente dans chaque ville.”

Surfer sur les réussites

Le redressement exige aussi, selon lui, de donner davantage de visibilité aux sociétés avant-gardistes, aux réussites. “Il faut surfer sur l’image des sociétés qui ont créé de l’emploi, qui sont devenues des leaders dans leur domaine. EVS, par exemple, est la preuve qu’il y a moyen de le faire, de créer 700 emplois hautes technologies au niveau local… Avec le mobile, les applis, le monde de l’Internet, on peut créer des entreprises innovantes qui vont générer de l’emploi et de la valeur pour la Région. Il faut juste une bonne idée. Et des capitaux. Il faut continuer à avoir cette culture-là. Il faut l’enrichir. Il faut empêcher que ceux qui ont des idées innovantes partent les implémenter à San Francisco ou ailleurs.”

Quelles mesures seraient nécessaires pour attirer plus de jeunes dans les écoles, leur permettre d’avoir plus de valeur à la sortie et favoriser la croissance de ces sociétés prometteuses?

“Il faut donner le virus de l’informatique, le goût des métiers IT, dans les écoles secondaires. Il faut continuer à investir dans l’équipement. Il faut aussi donner aux jeunes l’envie de se lancer dans les métiers technologiques. Pour cela, il faut les valoriser, en parler, utiliser les succès d’entreprises pour susciter des vocations. Et quand des sociétés se créent avec une idée fondatrice, il faut se battre pour les garder en Wallonie, leur donner les moyens de financement nécessaires et alléger sensiblement la masse incroyable d’efforts que nécessitent la formalisation de business plan, la paperasserie administrative, etc. pour n’obtenir, au final, que de faibles montants… Il faut fédérer les moyens structurels d’aide aux start-ups pour donner davantage de moyens.”

Il prend en exemple ce qui se passe dans sa région. “Il me saute aux yeux que nous sommes en train de vivre le développement d’une impressionnante activité économique liée aux technologies de l’information dans la région liégeoise. Il y a de nombreuses entreprises, leaders de leurs domaines de compétences, qui y connaissent le succès et représentent aujourd’hui plusieurs milliers d’emplois. Pour la plupart, ces entreprises sont complémentaires et pourraient s’entendre pour créer de la valeur en abordant ensemble des projets de grande ampleur au fédéral, voire à l’étranger. Je suis un partisan convaincu de telles synergies.”

Territorialité des données

Un autre sujet retient particulièrement l’attention de Manuel Pallage, à savoir la “territorialité des données”, un “chantier” qu’il juge important pour diverses raisons.

“A moins que l’on y prenne garde, les données hébergées “dans le cloud” peuvent se retrouver à l’autre bout du monde. Ce qui présente un risque en matière de sécurité, d’ingérence, de perte d’emplois. On a en Belgique et en Wallonie des compétences expertes en matière de gestion de data centers. Si on décide de confier son infrastructure à un tiers, le moins que l’on puisse exiger c’est que les données restent locales. Sinon, elles seront hébergées dans des pays où la main-d’oeuvre est bon marché, où on n’aura plus aucun contrôle sur qui fait quoi des données. Il ne s’agit pas d’être paranoïaque mais je crois qu’il est bon pour le développement de notre région qu’on travaille dans ce sens.

Quel rôle pour le politique?

“Un rôle purement législatif. A lui d’imposer que les données, en tout cas – au minimum – celles du secteur public, ne quittent pas le territoire national.”

Manuel Pallage: “N’oublions jamais que la technologie n’est qu’un moyen, une des composantes du succès d’une entreprise. Il y a beaucoup de jeunes projets intéressants et créatifs en Wallonie. Mais trop peu sont financés suffisamment et on aura, je crois, un peu trop d’échecs parce qu’on n’a pas assez réfléchi à l’aspect marketing/ventes.”

Conclusion? “Il faut étendre et faire connaître l’offre de services des data centers existants. Il n’est pas logique que des applications critiques d’entreprises soient encore hébergées sur de petits serveurs, au sein des sociétés, dans des conditions précaires.

On a le haut débit, les data centers, des sociétés spécialisées en hébergement, en développement applicatif, en gestion d’infrastructure… L’avenir de l’IT wallon n’est pas mal du tout. Il y a énormément d’inventivité, d’idées d’applications à développer. Il y a certainement quelque chose à faire… Mais il faut des organismes pour challenger les porteurs d’idées, valider la viabilité et la rentabilité de l’idée. C’est quelque chose qu’il faut davantage développer. Il faut une approche critique par des gens qui ont l’expérience, qui ont développé des sociétés, qui ont vécu des réussites et des échecs… On ne peut, à ce titre, que se réjouir de la création de structures telles que The Faktory.”