Patrick Cohendet (MosaiC): “préparer le terrain fertile pour que leurs organisations soient créatives”

Interview
Par Olivier Fabes · 08/11/2013

Patrick Cohendet, professeur en gestion de l’innovation à HEC Montréal, co-animera une Master Class ce 13 novembre à Louvain-la-Neuve , en compagnie de son compatriote Laurent Simon de l’institut de recherche sur l’économie créative MosaiC.

L’occasion d’en savoir un peu plus sur la fertilisation croisée entre créativité et économie dans cette région dont sont originaires le leader des jeux vidéos Ubisoft et le mondialement célèbre Cirque du Soleil. Une région, qui plus est, qui est un partenaire privilégié pour divers acteurs locaux (on pense par exemple à l’ABE, à Bruxelles, pour les besoins du cluster Software in Brussels) ainsi qu’un partenaire recherche, notamment dans le cadre de projets subventionnés par l’Europe dans le domaine de l’image numérique.

Régional-IT: Comment se porte l’économie créative au Québec? 

Patrick Cohendet: Le potentiel des ressources que l’on peut trouver au Québec et notamment dans la grande région de Montréal est considérable. À certains égards, Montréal peut être considéré comme un véritable laboratoire d’idées pour l’économie créative. On peut observer la présence à Montréal de très nombreuses firmes du secteur des “industries créatives”, dans l’architecture, les arts, l’artisanat, le design, la mode, le cinéma, la musique, les arts vivants, l’édition, les logiciels, les jeux et jouets traditionnels, la TV et radio, et last but not least, les jeux vidéo. Selon de très nombreuses études récentes – dont le rapport de l’ONU sur l’économie créative en 2010 – il s’agit d’activités économiques en croissance, qui ont particulièrement bien résisté dans leur ensemble à la crise économique.

Patrick Cohendet (MosaiC): “Nous sentons en Wallonie une volonté de faire de la créativité un moteur économique et l’une des solutions privilégiées pour sortir de la crise économique.”

Quels sont les porte-drapeaux de cette économie créative? 

L’une des grandes richesses de Montréal est d’accueillir des entreprises-phare ayant articulé des modèles de gestion créative qui font aujourd’hui référence: Ubisoft [Ndlr: l’un des leaders mondiaux du jeu vidéo], Le Cirque du Soleil, Moment Factory [Ndlr: animations et événements multimédia], et Sid Lee [Ndlr: une agence de communication et de publicité réputé], entre autres, appliquent des solutions profondément originales d’organisation créative.

Le Cirque du Soleil a réussi une intégration exceptionnellement efficace des aspects commerciaux et artistiques, en particulier en s’ouvrant à des sources d’inspiration et à des créateurs du monde entier. Ubisoft gère ses talents créatifs à travers des modes de coordination communautaires très élaborés, mobilisant autant les employés que les joueurs-consommateurs. Sid Lee a développé un modèle d’organisation “en étoile” où le client est au centre et où les talents créatifs diversifiés des membres de l’organisation occupent les branches de l’étoile.

Le Québec a-t-il des bonnes pratiques en matière de stimulation de l’entrepreneuriat créatif qui pourraient inspirer la Wallonie?

Je vous retourne la politesse: beaucoup de très bonnes choses ont été faites en Wallonie dont le Québec pourrait s’inspirer. Mais s’il fallait chercher dans ce domaine un point fort du Québec, c’est le fait qu’il y a peu de “barrières” entre les secteurs, les métiers, les positions hiérarchiques… Les entreprises ont pris l’habitude de travailler sans trop de “silos”. Un entrepreneur qui a une bonne idée a de fortes chances de pouvoir la partager et de se faire entendre auprès de partenaires potentiels, de banquiers, de financeurs, de sous-traitants potentiels, etc.

Vous êtes l’initiateur d’une École d’été en management de la créativité (voir notre encadré en fin d’interview). Créativité et management, ne sont-ils pas des concepts inconciliables? Peut-on gérer la créativité?

La créativité ne peut certes pas se décréter, mais les managers peuvent “préparer le terrain fertile” pour que leurs organisations soient créatives: attirer les meilleurs talents au sein de l’entreprise, gérer les talents (vus comme des agents de création de valeur et non comme des unités de coûts), donner le droit de faire des erreurs (tout en apprenant à savoir repartir et rebondir si des erreurs ont été commises), ne pas tuer trop tôt les idées en préparation, favoriser les collectifs créatifs, co-créer avec les clients et les usagers, offrir des espaces et des conditions de travail favorisant la créativité des employés, apprendre et former aux méthodes de créativité, etc. Sinon, les entreprises et les organisations dans leur ensemble savent non seulement qu’elles passeront à côté d’opportunités, mais qu’elles ne pourront pas non plus recruter les meilleurs talents.

Patrick Cohendet (MosaiC): “La créativité ne peut certes pas se décréter, mais les managers peuvent préparer le terrain fertile pour que leurs organisations soient créatives.”

Quel est le plus gros défi d’un ‘créatif’ pour devenir un bon entrepreneur?

Comprendre et se rendre compte qu’une démarche créative n’a des chances d’aboutir sur un marché que si elle est pensée, partagée, articulée, développée, validée, etc. au sein d’un collectif. De très nombreux projets créatifs échouent car ils sont portés par des acteurs qui n’y voient qu’une aventure individuelle.

Patrick Cohendet: “ De nombreux projets créatifs échouent car ils sont portés par des acteurs qui n’y voient qu’une aventure individuelle.”

Quel public cible votre école? 

Le public cible comprend environ 75 participants dont un tiers d’industriels, un tiers d’académiques et de responsables de collectivités territoriales, un tiers d’étudiants (finissant un 2ème cycle ou en 3ème cycle). L’objectif: favoriser l’interdisciplinarité, l’intergénérationnel, l’international.

Et quels en sont les résultats concrets?

Le résultat principal est la capacité à mieux innover grâce au développement et au renforcement des capacités créatives des participants. Accéder à un réseau international permettant, entre autres, de développer de nombreux projets créatifs après l’école d’été,  “faire ensemble” à travers de nombreux ateliers de créativité et de co-design et rencontrer certains des conférenciers les plus prestigieux sur la créativité, comme par exemple Yves Pigneur, auteur du livre sur les business models qui connaît un succès international considérable [Ndlr: … et qui sera aussi l’un des orateurs de la Semaine de la Créativité – Liège 15 novembre – sur le thème Business Model Innovation] .

Quelle image avez-vous de la Wallonie outre-Atlantique?

D’une grande “complicité” potentielle (et déjà en partie bien réelle). Nous sentons en Wallonie une volonté de faire de la créativité un moteur économique et l’une des solutions privilégiées pour sortir de la crise économique, ainsi qu’un intérêt très grand pour apprendre l’un de l’autre, développer des initiatives communes, et croiser les regards et les expériences.

Propos recueillis par Olivier Fabes

Une école de management de la création, à Montréal et à Barcelone

Patrick Cohendet est l’initiateur d’une “Ecole d’été en management de la création dans la société de l’innovation”, qui a jeté des ponts entre HEC Montréal, dont elle est originaire, et l’université de… Barcelone. Ce programme post-universitaire, en anglais, a lieu en juillet, une semaine au Québec et une semaine en Catalogne. Les cours théoriques sont accompagnés d’ateliers créatifs et de visites d’entreprises innovantes.

Figurent parmi les participants des responsables “innovation” de groupes canadiens comme Ubisoft, Bell ou Cirque du Soleil, mais aussi des Européens comme Vinci, France Telecom ou Decathlon.

Informations complémentaires sur le site de l’Ecole.

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