Singapour: laissez venir à moi les start-ups

Tribune
Par Amélie de Spot · 23/10/2013

L’esprit d’entreprise est inné dans ce petit pays, parti de rien il y a 50 ans et devenu une des plus grandes puissances financières du monde aujourd’hui. Tout est dit quand on voit le succès de ce pays en termes de services et de projets architecturaux pharaoniques, la ville bouillonne avec une vraie volonté de l’état singapourien d’aller toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort, tout en assurant un confort de vie à sa population locale.

Une volonté venue d’en haut

Le gouvernement de Singapour a été plus loin que n’importe quel autre dans la région pour tenter d’ouvrir la voie à l’innovation et mettre en place des structures qui la permettent.

En raison d’une politique d’immigration relativement libérale à Singapour, il est facile pour quiconque de transférer son entreprise là-bas. Lors de son installation, la start-up doit demander un “employment pass”, et les démarches s’arrêtent là. Raison pour laquelle de plus en plus de sociétés se sont installées à Singapour ces dernières années, générant plus de 300.000 emplois et plus de 166 milliards de dollars singapouriens (SGD) de bénéfices [soit l’équivalent d’environ 100 milliards d’euros]. On estime qu’il y a 1,7 million d’étrangers vivant actuellement à Singapour (sur une population totale de 5,5 millions), une société donc résolument tournée vers l’extérieur avec la construction d’une économie entrepreneuriale.

Selon Edgar Hardless, CEO d’Innov8 (le fonds d’investissement du premier opérateur télécom, Singtel), Singapour est aujourd’hui le meilleur endroit au monde pour démarrer sa start-up:

  • les procédures pour créer une société sont simples et très rapides (3-4 jours), même pour les étrangers
  • il existe entre 20 et 30 régimes d’aides et de subventions pour les entrepreneurs: pour ne citer qu’un simple exemple, les achats de matériel informatique sont remboursés à 60-70%
  • les incubateurs sont très nombreux et très actifs

La National Research Foundation (NRF) a mis en place un système d’incubation technologique (TIS) extrêmement performant comprenant par exemple:

  • un budget de 75 millions de dollars pour soutenir des proof-of-concept
  • l’accréditation d’une vingtaine d’incubateurs pour lesquels la NRF co-finance jusqu’à 85% de l’investissement total avec un plafond de 500.000 SGD (320.000 euros). Les incubateurs peuvent racheter la part de la NRF dans les 3 années d’investissement, à un prix de 1,1 fois les fonds propres. Leur risque étant couvert par l’état singapourien, ils ont donc une grande propension à investir “pour voir” en limitant la casse.

Le 25 septembre dernier, la NRF annonçait encore qu’elle ré-injectait une 2ème tranche de 50 millions de SGD pour stimuler l’investissement dans des projets ‘early stage’ au travers de 5 fonds early stage.

Les conditions à remplir

Mais soyons clairs, la condition à cet environnement d’incubation est que la société doit être enregistrée à Singapour, le fondateur doit être un fondateur à temps plein, et les fondateurs ne sont en mesure de ne tirer qu’un salaire de 1.000 SGD par mois sur le subside (le complément devant être négocié avec l’incubateur). Ces conditions sont le fondement même du lean startup, aujourd’hui la règle dans les start-ups singapouriennes.

En parallèle de ces organes structurés, on trouve aussi pléthore d’organismes plus communautaires.

Quelques exemples:

– des espaces de co-working comme The Hub, Hackerspace.sg, JFDI (avec sa ‘start-up clinic’ hebdomadaire qui permet à 3-4 entrepreneurs de venir exposer des difficultés qu’ils rencontrent dans leur start-up et échanger avec des experts et mentors)

– des accélérateurs pour start-ups étrangères comme iAxil qui accompagne une vingtaine de start-ups par an dans leur installation asiatique ou encore iHub, The Entreprise… qui, outre l’espace de co-working, offre aussi des services de levée de fonds, de support marketing, de mentoring

Objectif: le marché asiatique

Singapour, c’est une approche “light” du marché asiatique facilitée par

  • sa forte proportion de population anglophone
  • sa position géographique centrale pour servir tout le sud-est asiatique
  • un marché petit mais très facile d’accès et en attente de bons projets, un fabuleux marché test où il est facile d’obtenir effectivement une certaine traction
  • un environnement où il est facile de recruter des fondateurs ou trouver un co-fondateur,
  • un marché presque parfait, ayant “la plus forte pénétration des smartphones dans le monde”.

Le nerf de la guerre

Et puis, l’argent ne manque pas à Singapour avec 165 sociétés de venture capital qui gèrent plus de 17,5 milliard de SGD.

Et on trouve des investisseurs à tous les échelons de la vie du projet, avec de nombreux business angels pour le seed (BANSEA – Business Angels Network of South East Asia), des fonds très actifs pour le Series A comme Golden Gate Ventures, Jungle Ventures, Spring Seeds Capital,… un niveau d’investissement qui a tendance à cruellement manquer dans nos pays (rien que cette année, Redmart, TradeHero, Fastcash… ont levé entre 2 millions et 10 millions de SGD en Series A), des fonds pour le Series B comme Fenox Venture Capital…

Des exemples qui feront école?

Tout le monde sait que le succès d’une start-up se mesure dans l’exit et, ces dernières années, la région a connu l’une ou l’autre belles exits comme l’énorme succès récent de Viki (projet singapourien de sous-titrage en crowdsourcing de vidéos et musique) racheté en septembre SGD 200 millions par Rakuten (le géant du e-commerce japonais).

Ou encore Detik.com (portail de news indonésien) racheté SGD 60 millions par Para Group (société holding indonésienne). Mais aussi des exits moyennes, ce qui montre un marché dynamique comme la startup singapourienne HungryGoWhere (évaluation de restos) racheté 9,4 millions par Singtel en 2012.

Et le rythme s’accélère avec 4 sur 10 des plus grandes acquisitions en Asie du Sud-Est rien que sur deux dernières années. 2013 étant la plus importante pour Singapour, avec huit exits réalisées avant septembre.

Singapour? “Un point crucial dans la région. Un lieu attractif pour lancer une start-up. Un épicentre sûr et sécurisé. Par comparaison à la Silicon Valley est aujourd’hui l’un des marchés les plus difficiles et les plus compétitifs, un endroit infesté d’entrepreneurs aux dents longues où il est de plus en plus difficile de faire sa place.”

Ces exits permettent de faire re-circuler les talents et capitaux, et la tendance est forte à Singapour, chez les entrepreneurs qui ont connu des exits, d’accompagner d’autres entrepreneurs au travers de mentorship, mais ces exits rassurent aussi les investisseurs sur le ROI potentiel, sans compter l’effet purement psychologique sur l’optimisme de l’écosystème.

Singapour joue donc un rôle crucial dans la région. Ses politiques fiscales favorables aux entreprises, le gouvernement efficace et une faible corruption en font un lieu attractif pour lancer une start-up. C’est comme un épicentre sûr et sécurisé pour les communautés de start-ups de la région.

Alors que la Silicon Valley est aujourd’hui l’un des marchés les plus difficiles et les plus compétitifs, réunissant les Américains les plus brillants de la planète, issus des cultures de hack, bref un endroit infesté de requins où il est de plus en plus difficile de faire sa place.

Amélie de Spot est administrative du fond d’investissement Internet Attitude.