Juan Bossicard (ABE): ”travailler davantage sur les points forts“ (2ème partie)

Interview
Par · 27/09/2013

Après avoir parlé, dans la première partie de l’interview que nous avons eue avec lui, de la place de l’ABE dans la chaîne des acteurs économiques bruxellois et de la manière dont il perçoit les potentiels et carences de la Région, Juan Bossicard aborde de manière plus spécifique les activités du cluster Software in Brussels et les priorités qui ont été définies pour 2014.

Adapter les activités à la cible

Chaque année, l’ABE, en ce compris via le cluster Software in Brussels, “accompagne” entre 200 à 250 entreprises. Cet accompagnement prend de multiples formes- “de la plus classique- comment engager, m’internationaliser selon quel modèle de distribution, comment financer mon innovation, comment recruter- jusqu’aux questions plus complexes qui viennent des sociétés en phase d’accélération qui recherchent par exemple de vrais financements”, explique-t-il.

“Les sociétés les plus matures- celles qui ne se posent plus la question de savoir si elles existeront encore dans 6 mois- viennent à nos événements de networking. Les sociétés plus jeunes (moins de 5 ans) participent aux ateliers et événements.”

L’ABE et le cluster privilégient des sessions d’informations axées en priorité sur l’entrepreneuriat.

L’une des difficultés consiste en effet à intéresser et impliquer le plus grand nombre possible de sociétés du secteur ICT.

“Nous surfons souvent sur des problématiques liées au management et à la commercialisation du produit; rarement sur des aspects plus techniques. On a organisé des événements sur de grands sujets et mouvances technologiques: la qualité du code, la sécurité informatique, l’open source, le débat native apps/HTML5…. Mais on n’a jamais fait d’ateliers techniques où on touche au développeur. Sauf pour traiter de méthodologie de développement- nous sommes en effet de fervents supporters de la méthode Agile. Mais nous voulons avant tout nous concentrer sur la création de bons entrepreneurs.

“Ce que les gens doivent avant tout acquérir, c’est un esprit entrepreneurial, une manière de travailler, une méthodologie.”

On part du principe que les compétences techniques existent et que les gens doivent avant tout acquérir un esprit entrepreneurial, une manière de travailler, une méthodologie. Dès qu’on est trop technique, spécifique, on aliène une partie de la cible. Il faut donc trouver des thématiques riches qui vont intéresser les gens sans être trop techniques. Sinon, on les perd. Qui plus est, nos compétences se situent davantage au niveau de l’entrepreneuriat.

En cas de demandes techniques, nous disposons de suffisamment de ressources du côté du CETIC ou du Sirris pour les orienter vers elles.”

5 catégories de services

L’ABE classe ses activités en 5 chapitres:

– Entrepreneuriat: activités liées à des acteurs partenaires, tels que Startup Weekend, Startup.be, informations aux starters, présence et animation à l’ICAB

– Business strategy: aide au montage de business plans, mise à disposition d’experts en plans financiers, business planning model…, farming d’entreprises (c’est-à-dire accompagnement intensif), rencontres individuelles avec les entrepreneurs pour les accompagner dans leur stratégie

– Internationalisation: missions financées et organisées soit par l’Agence elle-même, soit en tant qu’intervenant complémentaire par rapport aux activités de BIE (Brussels Invest & Export)

– Communauté: activités de réseautage. Quatre fois par an, le cluster Software in Brussels organise un “Cheese & Wine” auxquels participent ses experts. “L’occasion pour nos membres de les rencontrer, sans devoir payer de consultance. Ce genre d’activités ne concurrence pas réellement ce que propose le BECI ou le BetaGroup. Le premier est assez formel et touche à toutes les industries. Quant au BetaGroup, il s’adresse davantage à un public jeune, dans un style moins “construit”. Pour notre part, nous limitons l’action aux membres du cluster, avec présence de nos experts. Nous sommes donc sans doute plus paramétrés.”

– Veille technologique. En la matière, l’ABE agit d’abord pour sa propre information. “Il s’agit pour nous de nous tenir nous-mêmes au courant des évolutions technologiques. Avec un peu d’informations aux membres via notre newsletter. Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour en faire davantage. Nous préférons responsabiliser les entrepreneurs en leur conseillant de faire, eux, de la veille dans leur domaine, de s’informer de ce qui existe, de ce qui se fait sur telle ou telle plate-forme, d’où elle vient, comment évolue le business model dans ce secteur… Idem pour les starters. Toutes les bonnes idées ont été pensées. Le conseil que nous leur donnons est dès lors de dire: vérifiez si votre idée a déjà été mise en oeuvre, regardez comment elle a été développée, connaissez vos concurrents…”


Des gemmes à dégrossir

Aux yeux de Juan Bossicard, une richesse encore largement inexploitée ou mal épaulée reste celle des spin-offs. Son constat: le monde des universités suscite nombre de projets qui cherchent à transformer les résultats de recherche en solutions exploitables sur le marché. Mais le profil des chercheurs ne présente pas toujours les qualités nécessaires pour porter le projet en dehors du cocon académique.

“La plus grosse opportunité pour le cluster, c’est la capacité d’accompagner des projets de spin-off en aidant à la formation des équipes. On ne s’invente pas entrepreneur. Quelqu’un qui n’a jamais travaillé ailleurs que dans un labo, qui n’a pas fait d’études économiques, aura un long chemin à parcourir pour se confronter à la réalité de la commercialisation. Pour qu’un projet de spin-off fonctionne bien, il faut que les gens se concentrent sur ce qu’ils savent bien faire. Il ne faut pas travailler sur leurs faiblesses mais sur leurs forces. Et s’appuyer sur d’autres personnes. Car savoir s’entourer et trouver des complémentarités dans les équipes sont deux éléments cruciaux pour le succès d’un projet.”

Juan Bossicard (ABE): “J’aimerais que, l’année prochaine, on puisse travailler sur plusieurs projets de living labs, activer des labos et travailler avec eux.”

Voilà pourquoi, dans le registre “validation de marché, de produit ou de service”, il regarde avec envie ce qu’a mis en oeuvre iMinds (l’ex-IBBT) en Flandre.

“J’adore le principe de living lab, qui a été lancé en Flandre par iMinds. Les chercheurs pourraient être des consultants parce qu’ils ont une expertise, savent partager ponctuellement leur savoir, parce qu’ils ont une méthodologie. On peut donc les activer. Certains projets demandent d’être confrontés à la réalité de terrain, d’avoir un stress test… pour s’assurer que le produit est mature, correspond à la demande, que le pricing est bon, etc. J’aime l’interfaçage entre expertise, entre prise de risque et projet, entre organes intermédiaires.

Cette piste d’action figure donc en bonne place dans nos plans pour 2014. On sera plus modeste dans nos ambitions qu’iMinds en raison de moyens différents mais j’aimerais que, l’année prochaine, on puisse travailler sur plusieurs projets, activer des labos et travailler avec eux. Ce n’est pas facile mais le jeu en vaut la chandelle.”

Si toutes les cartes sont sur la table, il faudrait sans doute revoir certains de leurs agencements. Pourquoi se fait-il, s’interroge Juan Bossicard, “que dans une petite région comme Bruxelles, avec ses trois universités, des centaines de labos…, les entrepreneurs ne trouvent pas, en local, le vivier nécessaire pour leur développement et, dès lors, partent à l’étranger?”

“Ce qui m’étonne toujours est qu’il y ait assez peu de collaboration entre les études techniques et les études commerciales. Peu de plats-formes combinent les deux. Il faut casser cela, créer des opportunités pour les gens … Peut-être est-ce le rôle du Startup Weekend ou du CoEntrepeneur Weekend…”

D’une manière plus large, il souligne qu’en matière de lien université-industrie, “les Etats-Unis sont très en avance sur nous. Chez nous, le monde académique manque d’interaction avec le monde de l’entreprise. Tant qu’il n’y aura pas d’interaction, les choses resteront difficiles. C’est même pervers parce qu’on voit le bonnes idées, les meilleurs professeurs, partir à l’étranger…”

You’ve got talent

Il est un autre terrain sur lequel l’ABE voudrait développer une action. A savoir, celui de l’emploi et de l’identification des ressources en compétences. L’Agence cofinance et co-organise par exemple, avec Actiris, le salon DevDay et travaille avec quelques recruteurs dans le domaine de l’IT. “Mais il y a quelques grands chantiers dans lesquels nous voudrions nous engager mais nous n’avons ni les moyens, ni les relais politiques pour le faire.”

Les regards de Juan Bossicard se tournent par exemple vers un phénomène récent qui s’est matérialisé à Berlin. “La ville a attiré un bon millier de développeurs espagnols, leur proposant des logements, créant une communauté, afin de répondre aux besoins des start-ups. Pourquoi Bruxelles ne pourrait-elle pas le faire avec 200 développeurs? On réserve 2 millions d’euros, on devient une plate-forme attractive…”

Quand on lui fait remarquer qu’on touche là à un sujet sensible, il en convient aisément. “C’est vrai. D’une part, on accepte la fuite des cerveaux parce qu’on ne crée pas l’environnement qu’il faudrait. De l’autre, il faudrait attirer des développeurs étrangers, de la main-d’oeuvre pas chère et qualifiée… Mais les sociétés ici ne trouvent pas des développeurs Android ou .net ou ils sont trop cher…”

Bilan? “On comprend le besoin, on comprend la demande, mais est-ce notre rôle d’intervenir à ce niveau…?” De toute évidence, la question n’a pas encore trouvé de réponse.

Intentions… au conditionnel

L’un des terrains d’action de l’ABE – non encore exploité – serait d’identifier des opportunités d’affaires, de réaliser un “matching” entre secteurs demandeurs et donneurs d’ordre, d’une part, et les start-ups, de l’autre.

Juan Bossicard: “nous devons jouer l’interface avec d’autres cibles.”

La chose aurait en principe dû être faite en 2013 via une “mise en contact des associations de commerçants avec des start-ups dont les solutions pourraient s’avérer intéressantes. Cette action a été décalée, faute de temps.” Mais cette “cible” pourrait encore être sollicitée à l’avenir. Ou d’autres “gros consommateurs” de services. “On voudrait contacter les départements IT, les CTO, déterminer leurs besoins en termes de services, mapper les besoins, travailler avec 4 ou 5 opérateurs et tenter de réconcilier tout cela en organisant un événement, avec présentations individuelles et facilitation via rencontres one-on-one. C’est toujours dans nos intentions pour 2014.”

La “cible” des banques- un temps envisagée- a quant à elle été remisée au frigo: “on a remarqué qu’il y a peu de sociétés locales actives sur le terrain des services aux banques. On s’oriente donc davantage vers tout ce qui est business intelligence, comptabilité, sécurité…”

“Activateur de communauté, facilitateur de l’internationalisation, promoteur de l’entrepreneuriat, conseil sur la stratégie business, garant d’une certaine étude de l’évolution technologique en région, facilitateur de la circulation des talents…”

Autre intention pour 2014 (du moins si l’ABE déniche un budget): faire appel à un commercial “mercenaire”, expérimenté, qui puisse accompagner une société en croissance ou débutante, qui s’en irait en clientèle avec elle pour l’aider à packager sa solution, à valider ou affiner son pricing. Pourquoi une telle action? “Parce que les jeunes sociétés éprouvent des difficultés à aller vers le client, à se confronter au monde réel. Ce serait une démarche au cas par cas, pas un service en tant que tel, proposé de manière structurelle.”

Un cluster, cela ne se construit pas artificiellement

Comment l’ABE et son cluster Software in Brussels se comparent-ils à certains homologues, par exemple en Wallonie?

“Pour être un “vrai” cluster, il faudrait en principe que l’industrie rencontre l’académique et le public. C’est la fameuse triple hélice. C’est sans doute génial en Finlande [cf. Nokia et l’écosystème qui s’est formé autour de lui] mais [en parlant de “cluster”] on a en fait mis un label sur quelque chose qui est né organiquement. On ne peut pas tirer de force une industrie émergente. On ne peut pas faire de l’engineering forcé de cluster. Les choses évolueront organiquement, par synergies spontanées ou opportunistes. Le rôle du cluster est central. Il est l’interface avec les universités, les acteurs du financement, l’académique, la recherche, l’Europe, mais il reste un simple facilitateur de choses, un aiguilleur. On reste dans l’artisanat, dans l’accompagnement au cas par cas. Chaque entreprise est un violon sur lequel il faudra travailler plusieurs mois et qui donnera une sonorité différente…”

Pitching Academy

En octobre, l’ABE lance une initiative de “Pitching Acamedy”. Pourquoi? “Parce que les Belges se vendent mal.” Faut-il pour autant ajouter un lieu de plus où on va venir apprendre à “pitcher”, grand terme et exercice à la mode?

“Nous ne visons pas le pitch à la Startup Weekend [60 secondes ou 3 minutes pour dévoiler son projet!]”, souligne Juan Bossicard. “L’intention est plutôt de former à la manière de bien structurer sa présentation commerciale, de se conforter pour aller vers l’international. Et l’espoir est de devenir la plate-forme de référence en Belgique en la matière, et qu’on nous envoie des sociétés wallonnes, flamandes…”

L’“Academy” proposera des séances de formation segmentées en trois jours:

  • premier jour, les ficelles de l’“elevator pitch” (30 secondes chrono), afin de pouvoir répondre à quelques questions-clé. Avec support vidéo, pour pouvoir juger du résultat, et analyse de la communication non verbale, afin d’apprendre aux porteurs de projet à éviter les écueils et défauts classiques qui en disent long qu’un long discours: regard fuyant, débit de parole ralenti…
  • 2ème jour: la maîtrise de la technique de pitch et du maniement de slides. L’après-midi, les apprenants passent à la pratique, avant réalisation d’un pitch sur base de template.
  • 3ème jour: mise en situation et répétition du pitch préparé.

La Pitching Academy dit vouloir viser un public “plus mature” que les jeunes débutants, porteurs d’un projet tout neuf. “On va éviter la start-up. On demande 200 euros. Cela servira de filtre. La formation est en effet un investissement en temps et en argent, un effort pour une société mature qui a peut-être déjà fait 10 ou 100 pitchs mais qui doit repenser la manière dont elle se présente. Cela amènera d’autres questions et réflexions: branding, template efficace, site qui soit une belle vitrine, comparaison avec les outils et les “ficelles” utilisées par les concurrents, identification et analyse de leur identité visuelle…”

L’ABE espère organiser 3 à 4 sessions par an. Maximum de participants: 10 personnes par session, qui devront obligatoirement venir de sociétés différentes.