Primento: les petits pas de l’e-book

Portrait
Par · 20/03/2013

Depuis environ deux ans, la start-up namuroise Primento s’est lancée sur le terrain de la production de livres numériques pour support mobiles. L’espoir: capter à temps et avec quelques arguments différenciateurs la vague naissante des e-books.

Née voici trois ans, la société a très rapidement été amenée à revoir ses batteries. Positionnée, à l’origine, sur le terrain de l’édition numérique par le canal Internet, elle a en effet vu ses fondamentaux remis en question par l’émergence des tablettes numériques. “Plutôt que d’y voir une menace, nous avons saisi cette opportunité pour évoluer d’un modèle mono-canal (sites Internet) vers un positionnement multi-canal”, explique Thibault Léonard, fondateur de la société.

Primento, après des essais décevants d’externalisation, a par ailleurs décidé assez rapidement de prendre elle-même en mains les processus de numérisation des livres. “Et ce fut, finalement, une bonne décision puisque cela nous a permis d’attirer à nous des éditeurs qui s’aperçoivent que l’édition numérique est un métier très différent de l’édition papier. Un métier dont ils ne maîtrisent pas toujours les compétences en interne. Plus qu’un simple prestataire de services, nous nous positionnons dès lors, vis-à-vis d’eux, comme un partenaire numérique. D’autant plus que notre modèle économique est celui d’une rémunération sur les ventes. Nous partageons donc les risques avec l’éditeur.”

Primento se charge de la totalité de la chaîne, depuis la prise en charge du bon à tirer et le conseil à l’éditeur jusqu’à la diffusion de la version e-book et à l’assistance à l’animation de la communauté de lecteurs via les réseaux sociaux. “Les adaptations auxquelles nous procédons sur le contenu doivent par contre toujours être validées par l’éditeur qui en garde la responsabilité.”

L’erreur du “copier-coller”

La start-up n’est bien entendu pas la seule à s’être lancée sur ce marché encore balbutiant (surtout chez nous) mais prometteur qu’est la publication de livres numériques sur supports mobiles. Pour se différencier, Primento mise à la fois sur un réseau de distribution international et sur les profils de ses fondateurs et collaborateurs.

“Les autres acteurs viennent souvent du monde de l’IT et n’ont pas la connaissance du métier de l’édition. Les résultats que nous voyons chez certains sont parfois effarants. La qualité du résultat final est désastreuse. Il ne s’agit en effet pas de simplement convertir un fichier texte pour en faire une version numérique. Il faut prendre comme point de départ l’expérience de lecture qu’en aura le lecteur. Il faut structurer le contenu différemment, présenter le livre autrement, tester systématiquement l’apparence du contenu pour toutes les plates-formes mobiles. Or, il peut y avoir des différences non négligeables entre les plates-formes et versions successives d’un même fabricant de tablettes, par exemple. Il arrive fréquemment que des morceaux de code créent des parasites dans de nouvelles versions…”

Thibault Léonard (Primento): “Notre préoccupation première est de fournir un contenu optimal à la fois sur iPad, sur Kindle, sur smartphone…”

Autre arme à maîtriser pour émerger de la masse: une diffusion efficace. Ce qui passe à la fois par des relations privilégiées avec des partenaires tels Amazon, Apple ou la FNAC et par une compétence spécifique dans ce que Thibault Léonard appelle “la mise en avant de l’auteur et du livre”. La “tête de gondole” ou la vitrine traditionnelle sont désormais remplacées par le positionnement en référencement. Et, en la matière, il s’agit de jongler avec les algorithmes. “J’ai personnellement travaillé plusieurs années à Londres pour EMI en tant que spécialiste de l’optimisation de titres [musicaux] sur l’Apple Store ou Amazon. J’y ai acquis une expertise très utile pour la diffusion de livres numériques…”

Livres “enrichis”… quoique

L’attrait d’un e-book peut, voire doit, également venir de l’exploitation qu’il fait de ressources multimédias pour agrémenter la lecture. En la matière, Thibault Léonard prône toutefois la prudence. Selon la nature du livre, de son contenu, de son esprit, il n’est pas forcément bon d’entrelarder le texte de dimensions supplémentaires. Plusieurs éléments entrent ici en jeu: le plaisir de lecture, la valeur ajoutée pas toujours probante du multimédia (animation, film, son…), le fait que les caractéristiques physiques ou techniques du support mobile posent parfois des problèmes… “Nous n’ajoutons par exemple de la vidéo que lorsque le support le permet, ce qui n’est pas forcément le cas de la liseuse Kindle.”

Thibault Léonard: “Le numérique ne tuera pas le papier. Il y aura plutôt évolution, tout comme la radio et la télévision ont réussi à coexister.”

Vis-à-vis de l’enrichissement multimédia ou de la dimension interactive, il adopte une attitude assez conservatrice. Notamment pour des raisons objectives de “normes et technologies qui évoluent rapidement et ne sont pas encore stabilisées.” La guerre des formats n’a pas encore commencé, entre les pionniers (Apple et Amazon) qui imposent leurs formats propriétaires et les tentatives de normalisation et de neutralité (HTML5 ou encore le projet MO3T- “modèle ouvert trois tiers”- initié par 18 acteurs français).

Le risque serait grand pour une start-up ou même pour une plus grande structure de s’aventurer dans une voie qui ne serait pas pérennisée. Thibault Léonard se dit par ailleurs convaincu que “le lecteur n’est pas forcément demandeur d’interaction dans la mesure où elle perturbe son imaginaire. Voici quelques années, certains éditeurs se sont livrés à des tests dans le domaine des livres “enrichis” ou “augmentés”. Ils en ont conclu que le lecteur n’en est pas friand et n’est pas prêt à payer davantage pour cette interaction. L’éditeur ou un prestataire de services doit avant tout garder son intégrité face à ce phénomène. Une vidéo ou un quiz ne doit être rajouté que si cela fait réellement sens…”

Question de genre

De l’avis de Thibault Léonard, l’e-book ne constitue pas forcément une menace pour le livre papier. A ses yeux, les deux continueront de coexister. Et certains genres littéraires préserveront sans doute une exclusivité papier. “La science-fiction, les romans policiers ou encore des livres tels “Fifty shades of Grey” se prêtent davantage à une version numérique qu’un Goncourt. Tout est question de notions de consommation de livres ou de lecture pour le plaisir, dans un esprit de découverte. Le dernier type de livre à passer sans doute au numérique sera le livre d’art, le beau livre”, estime-t-il. Alors même que l’argument multimédia pourrait faire penser le contraire.

Nous n’avons pas résisté à poser la question de la bande dessinée à Thibault Léonard. Mais, à ses yeux, le modèle de la BD ne se prête pas forcément bien à une transposition sur support numérique mobile. “Il est difficile de reconstituer la structure en double page A4, avec le principe de planches, de case, de bulles… La taille des mini-tablettes pose aussi un problème. Par exemple pour zoomer sur une bulle et conserver la lisibilité de l’ensemble. Des supports ont certes été conçus aux Etats-Unis mais ils ont une culture BD très différente de la nôtre. Les comics sont un genre très différent…”

L’avenir passe par l’international

Un tiers des ventes de Primento concernent les Etats-Unis, où la société assure la production de livres numériques de management pour un éditeur anglo-saxon mais où elle dessert aussi la communauté des expatriés. “Les francophones, notamment, éprouvent des difficultés pour trouver des livres en français dans les points de vente. L’e-book devient une alternative très intéressante pour eux.”

Le fait est que l’Europe et plus spécialement encore la Belgique est largement en retard sur les pays anglo-saxons en matière de publication et de lecture d’e-books. Les chiffres cités par Thibault Léonard indiquent toutefois une progression. Notamment en France.

“En février 2012, une enquête révélait que 5% des personnes interrogées disaient avoir lu un livre numérique. Un an plus tard, le pourcentage serait de 14% chez les plus de 15 ans. [Ndlr: aux dernières nouvelles, toutefois, la part de l’e-book, en France, ne serait que de 20 millions d’euros sur un marché global de 4 milliards. GFK France évalue le potentiel à 55 ou 70 millions en 2015. Source: Libération]. Aux Etats-Unis, 25% des ventes de livres concernent déjà des e-books. Toutes catégories concernées. Et, dans certaines catégories, on flirte avec les 50%.”

Thibault Léonard: “Vu nos objectifs, nous ne pourrons pas nous contenter du marché belge. Nous devrons aller vers des pays plus dynamiques et plus matures, tels les Etats-Unis et le Royaume-Uni.”

Le catalogue de livres numériques est très déséquilibré: seulement quelque 90.000 titres en français, contre près de 3 millions en anglais.

Quid en Belgique? Pas de réelles statistiques à se mettre sous la dent. Toutes les conditions sont en outre loin d’être réunies pour favoriser le marché: “il n’y a par exemple pas beaucoup d’endroits où on peut acheter une liseuse (e-reader)”. Par contre, la pénétration des tablettes (plus importante en Belgique qu’en France) pourrait offrir des perspectives intéressantes. Là encore, les chiffres varient. Certains parlent de 10 à 15% de personnes détentrices d’une tablette qui l’utiliseraient pour lire un e-book. D’autres, nettement plus optimistes, évoquent des chiffres aux alentours des 40% (mais cela ne concerne que certaines catégories d’âge).

Quel que soit l’essor éventuel des e-books en local, Primento estime que son marché est principalement à l’exportation. “La croissance se trouve à l’étranger, en France ou dans d’autres pays. Vu nos objectifs, nous ne pourrons pas nous contenter du marché belge. Nous devrons aller vers des pays plus dynamiques et plus matures, tels les Etats-Unis et le Royaume-Uni.”

En 2013, Primento devra donc décider de sa stratégie commerciale: ouverture de bureaux à l’étranger ou trouver une autre solution.  La société possède d’ores et déjà un bureau à Paris, “essentiel pour rencontrer les éditeurs français”… en gommant le plus possible l’origine belge. “Notre culture du livre n’est pas nécessairement belgo-belge. Quand nous sommes en France, nous adoptons les codes français. Après tout, c’est là qu’est notre premier marché.”

Jusqu’ici, Primento a créé plus d’un millier de titres numériques. En 2012, la société a enregistré plus de 150.000 ventes d’e-books, en majorité en français et anglais, avec quelques titres en espagnol et un seul en allemand.