Victor Lecomte (médaillé de bronze IOI): “L’or est presque inaccessible pour des étudiants belges”

Interview
Par · 22/10/2012

Victor Lecomte, actuellement en rhéto au Lycée Martin V de Louvain-la-Neuve, a récemment décroché une médaille de bronze à l’International Olympiad in Informatics (IOI) 2012 qui se déroulait cette année en Lombardie.

Nous avons recueilli, auprès de lui, à la fois ses impressions suite à ce concours, sa vision de ce que représente pour lui l’informatique et sa façon de voir la manière dont l’informatique est enseignée en Belgique. Pour Victor Lecomte, l’informatique est une véritable passion, trop mal-aimée, trop peu (ou mal) enseignée en Belgique. Un témoignage qui se passe de commentaire…

 

Régional-IT: Comment avez-vous vécu cette aventure des Olympiades? D’autant plus que vous y aviez déjà participé par le passé…

Victor Lecomte: C’était une expérience incroyable! Il y avait bien sûr la compétition, intense, mais ce n’est pas le plus important. Pendant une semaine, on rencontre des étudiants de tous les pays qui sont, comme nous, passionnés d’informatique. On fait connaissance, on apprend un peu de leur culture, de la politique dans leur pays… et on apprend aussi grâce aux solutions qu’ils ont apporté, eux, aux problèmes de la veille. L’ambiance est plutôt décontractée malgré le concours et c’est un échange très enrichissant. On tisse parfois des amitiés qui durent longtemps. Des visites intéressantes sont également organisées, cette année dans les bourgs aux alentours (Montichiari, Sirmione) [Ndlr: l’Olympiade se déroulait au Lago di Garda en Lombardie] et à Venise, où je n’étais jamais allé auparavant.

L’année dernière, en Thaïlanden était fort différente et le cadre était idyllique. Seul petit bémol cette année: les pluies exceptionnelles et l’organisation “à l’italienne”.

Victor Lecomte: “C’est vraiment passionnant de pouvoir contrôler son PC et de lui faire faire tout ce qu’on lui demande.”

Comment jugez-vous vos propres progrès au fil des ans et des éditions?

J’ai progressé énormément depuis l’année passée. A l’époque, je n’avais appris le C++ que quelques mois à l’avance, car seul trois langages de programmation sont autorisés là-bas, et ça m’a fait perdre un temps précieux pendant la compétition. Depuis, j’ai beaucoup pratiqué et j’ai appris beaucoup de nouvelles techniques. Ça a porté ses fruits.

La compétition était-elle plus serrée cette année? quel regard jetez-vous sur les autres jeunes qui y ont participé?

Je n’aurais pas tendance à dire que la compétition était plus serrée, mais elle était en tout cas bien plus difficile, à tel point que les seuils en points des médailles ont été quasiment divisés par deux [Ndlr: une série de médailles d’or, d’argent et de bronze sont décernées par paliers]. Les problèmes étaient très innovants et une pratique intensive ne suffisait pas pour résoudre les défis les plus subtils. Je suis fortement impressionné par les autres candidats. Ils ont peu souvent un entraînement théorique intensif, contrairement aux étudiants des olympiades de maths, mais ils parviennent à faire des résultats très honorables tout de même. Et ce qui me stupéfait vraiment, c’est la vitesse à laquelle les meilleurs étudiants résolvent les problèmes. Le temps est vraiment l’ennemi principal dans les olympiades d’informatique, et la vitesse ne s’acquiert que par une pratique régulière et intensive qui demande une motivation de fer.

On déplore souvent en Belgique la faible représentation de filles (et il n’y avait pas, d’ailleurs, en finale de la présélection belge). Y avait-il beaucoup de filles aux IOI? Certains pays étaient-ils mieux représentés à cet égard? Quel message donneriez-vous aux filles belges pour faire de l’informatique?

Il y avait en tout et pour tout cinq filles aux IOI, cette année, pour 310 participants. Ce chiffre est vraiment triste et montre un manque d’intérêt des filles pour l’informatique. Un manque d’intérêt que je ne suis jamais parvenu à comprendre. Sans doute est-ce dû aux cliché du geek qui parle un langage incompréhensible tout en réparant son PC… La programmation, ce n’est pas du tout ça. C’est très facile à apprendre si on trouve de bons tutoriels. Il suffit alors d’un peu de logique. C’est vraiment passionnant de pouvoir contrôler son PC et de lui faire faire tout ce qu’on lui demande, de créer toutes sortes de programmes, de jeux…

Qu’est-ce que cela représente pour vous de concourir à ce genre d’événement?

Je suis très fier d’avoir été sélectionné dans l’équipe belge. Et c’est une récompense pour tout l’entraînement que j’ai fait pour décrocher la place. C’est aussi une bonne occasion de montrer aux Français qu’on n’est pas nuls et qu’on compte bien les dépasser un jour. Non qu’ils ne soient pas sympa, au contraire mais le fait est que, dans beaucoup de compétitions, notre fierté nationale nous fait tenter de battre les français (de leur côté, les Flamands essaient de battre les Hollandais).

Aux Olympiades 2012, les Français ont eu des résultats un peu meilleurs que nous au niveau des médailles, car nous avons eu une argent et une bronze tandis qu’ils ont eu une argent et deux bronze, mais deux d’entre eux étaient juste en-dessous de limites de médailles. Ils ont un bon entraînement.

Les 5 représentants belges à l’Olympiade internationale d’informatique 2012. En balade à Venise… De gauche à droite: Floris Kint, Victor Lecomte, Benoît Vernier, Hannes Vandecasteele et Joachim Ganseman.

Quelles compétences, quelles qualités, quelle préparation peut-être, sont nécessaires, à vos yeux, pour espérer décrocher une médaille (bronze, argent ou or) aux IOI?

Premièrement, un bon niveau en maths et en logique aide beaucoup. Les deux participants francophones [Ndlr: l’autre étant Benoît Vernier, étudiant à l’Ecole européenne de Bruxelles], cette année comme l’année passée, participent aussi à des stages de préparation pour les olympiades de maths.

Deuxièmement, il faut être à l’aise avec la programmation et dans au moins un des trois langages autorisés lors de la compétition (C, C++ et Pascal).

Mais quand on a ces “prérequis”, c’est là que le travail acharné commence. Il faut apprendre les algorithmes et les techniques classiques sur le bout des doigts. Ils sont peu nombreux mais très utiles. Ensuite, pratique, pratique et pratique. Il n’y a pas de miracle: en informatique plus encore que dans d’autres domaines, la vitesse ne s’acquiert que quand on a déjà fait un exercice du même type. S’entraîner sur des concours en ligne est idéal, car cela nous met dans des conditions réelles de stress et nous oblige à faire des choix stratégiques sur quels problèmes aborder et lesquels abandonner.

L’or vous paraît-il particulièrement dur à décrocher?

L’or est presque inaccessible pour des étudiants belges, au contraire de la médaille de bronze et d’argent. En effet, nous n’avons pas beaucoup de formations et, pour avoir l’or, nous devons nous classer dans les vingt à trente premières places, qui sont quasi-exclusivement occupées par des étudiants qui se sont entraînés sur une base quotidienne et qui ont reçu plusieurs semaines de formation intensive. Nous ne partons pas à armes égales.

[Ndlr: les lauréats de la finale belge, qui désigne les représentants belges aux Olympiades, ont certes droit à quelques jours de formation supplémentaire en guise de “préparation”-

programmation intensive, formation algorithmique, analyse de contexte et de problème- mais cette prépa est de toute évidence jugée trop insuffisante. La formation complémentaire avait réuni les trois lauréats de la finale belge (Floris Kint, du Onze-Lieve-Vrouwecollege d’Ostende, qui a décroché l’argent en Italie, Victor Lecomte, et Jan Scheers du Sint-Albertuscollege d’Heverlee) et une quinzaine de leurs camarades, qui avaient décroché de bons scores au concours.]

Victor Lecomte: “L’or est presque inaccessible pour des étudiants belges parce que nous n’avons pas beaucoup de formations.”

Que manque-t-il éventuellement aux études ou aux étudiants belges pour décrocher l’or ?

Nous devrions idéalement recevoir plus de formations pour pouvoir acquérir de nouvelles techniques, comme c’est le cas pour les Olympiades de maths, où nous avons six week-ends par an de cours théoriques et pratiques sur tous les domaines des Olympiades. Mais, surtout, il faudrait encourager un entraînement très régulier tout au long de l’année, et pas seulement les quelques derniers mois. Il faudrait le prendre en compte dans la sélection, pour que l’on puisse emporter à l’IOI un bon bagage de pratique.

Les compétences que vous avez personnellement acquises le sont-elles grâce aux cours, aux études, aux professeurs ou a du travail et à une curiosité personnelle?

Comme je l’ai déjà évoqué, même si les premiers stages sont essentiels pour acquérir les bases théoriques, la pratique personnelle est l’élément le plus important de l’entraînement nécessaire.

Existe-t-il une sorte d’émulation entre étudiants et entre écoles belges pour désigner des candidats qui irons aux IOI?

Depuis la mise en place cette année d’un wiki où l’on poste nos résultats à divers concours en ligne qui vont être pris en compte pour la sélection, il y a une véritable émulation entre les étudiants du “pool” d’entraînement. Cela dit, les écoles ne sont même pas au courant des olympiades, et occupent donc un rôle mineur.

Davantage devrait-il être fait pour attirer davantage d’élèves belges vers ce concours? Si oui, quoi?

Il est clairement nécessaire d’attirer plus de gens vers ces olympiades. Il y a vraiment peu d’inscrits aux olympiades nationales quand on compare ces chiffres aux olympiades de maths, qui bénéficient du soutien des professeurs de maths. Mais l’absence d’un réel cours d’informatique dans la plupart des écoles francophones empêche d’obtenir un soutien de ce côté, car les olympiades d’informatique (en tout cas la finale) demandent un prérequis qui n’est généralement pas enseigné à l’école. Nous essayons faire connaître l’olympiade surtout via des sites liés à l’informatique pour que les jeunes programmeurs puissent profiter de cette belle occasion.

Victor Lecomte: “L’absence d’un réel cours d’informatique dans la plupart des écoles francophones empêche d’obtenir un soutien [pour la promotion des Olympiades nationales]”

D’une manière générale, qu’est-ce qui vous motive à étudier et à faire de l’informatique?

Ma principale motivation est la fierté qu’on a quand on se dépasse et qu’on résout un problème difficile. Se dire qu’on a réussi à traiter des millions de données d’un problème compliqué avec ces quelques lignes de code est vraiment une sensation agréable 🙂

[A noter que Victor Lecomte, actuellement en rhéto, compte se lancer dans des études d’ingénieur civil. “Après ça… je ne sais pas”, ajoute-t-il.]

Quelles sont par ailleurs vos autres passions?

Je suis aussi passionné par les maths (j’ai d’ailleurs également eu une médaille [de bronze] aux olympiades de maths internationales) et par le piano.


Pour ceux qui voudraient comparer leurs aptitudes à celles dont ont dû faire preuve les participants aux Olympiades 2012, les six questions qu’ils ont dû résoudre peuvent être téléchargées via le site des Olympiade Belges d’Informatique.

Le classement de tous les participants aux Olympiades 2012 peuvent être consulté via le site de l’IOI 2012