CIO en temps partagé. Les PME “mutualiseront”-elles ce genre de profil?

Pratique
Par · 30/08/2012

Pas le temps, pas les moyens, pas besoin. Dans quelle mesure un profil de directeur informatique ou CIO – Chief Information Officer – est-il requis et envisageable pour une PME? Partager à plusieurs les compétences d’un tel profil serait-il une solution?

Le poste de “CIO”  est une denrée rare, parfois considérée comme produit de luxe, pour une PME. Encore faut-il bien entendu se mettre d’accord sur la signification réelle et le rôle joué par un “CIO”. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir bientôt pour poser la double question: CIO ou IT manager, kif-kif bourricot? / Et le I dans CIO; c’est quoi au juste?

Mais revenons-en à la problématique de la PME. Autrement dit, une entreprise de taille modeste, de l’ordre de 10 à 250 (voire 500) personnes, pour respecter la “norme” belge.

Bien que de petite envergure, la PME est confrontée- et de plus en plus- aux mêmes problématiques et défis que ses grandes soeurs: choix de technologies et solutions, gestion des relations avec le ou les fournisseurs, gestion de projets, définition d’un plan stratégique IT qui permette à la société de progresser, d’améliorer ses processus, de répondre à la concurrence… Et pourtant les ressources (compétences et nombre de bras) lui font souvent défaut.

Le constat est posé de longue date et a inspiré une réflexion dans le chef d’Alain Sayez, ex-directeur informatique des FUNDP et des FUCaM. Ayant quitté l’univers académique (la fusion ratée UCLouvain n’y est pas étrangère), il s’est tout simplement demandé si ses compétences ne pourraient pas intéresser les PME. Pourquoi, comme cela se fait déjà à l’étranger, ne pas se positionner comme CIO en temps partagé?

“Les besoins sont énormes. L’informatisation des PME progresse en Wallonie mais le manque d’adhésion au Web, par exemple, demeure important. Nombreuses sont aussi les PME qui sont conscientes des besoins et potentiels mais qui ne savent pas comment s’y prendre. Ou qui ont développé un site Internet mais qui ne savent pas comment en faire une plate-forme de vente, qui ne savent pas comment structurer leurs données, constituer un stock en-ligne, définir une architecture, intégrer divers outils. Ou encore qui se laissent enfermer, isoler, dans l’utilisation d’un outil spécifique. Les PME sont conscientes d’avoir besoin d’aide mais ne savent pas vers qui se tourner. Si elles font appel à un prestataire, ce dernier leur préconisera immanquablement ses propres outils.” Et la réflexion de type vue d’hélicoptère sera totalement absente.

Reste à convaincre la cible, “à lui expliquer ce qu’un directeur informatique peut lui apporter et à dédramatiser le coût d’un directeur informatique.”

D’où l’idée de la mutualisation.

Temps découpés

Ce principe du “temps partagé”, tel que le définit et le propose Alain Sayez, recouvre plusieurs réalités et formules puisque s’y côtoient divers types de missions:

  • “ad interim”, pour une durée déterminée, en cas de maladie, de congés…
  • “à la carte”, pour des interventions plus ponctuelles mais à un rythme potentiellement régulier, par exemple le temps d’un projet ou pour donner un avis, documenter une infrastructure, réaliser un audit, rédiger un cahier de charges, définir des perspectives d’avenir…
  • “à la demande”, sans récurrence, pour la prestation de services purement ponctuels.

“Au fil du temps, j’imagine que mes missions de directeur informatique prendront plus de place, au détriment des prestations spécialisées. Ce qui prendra sans doute le plus d’ampleur, ce sont les missions de gestion de projet. Mon souhait, en tout cas, est de jouer le rôle de directeur informatique, d’être sur le terrain, de répondre à beaucoup de petits projets afin de garder une expertise optimale de nombreuses technologies et problématiques.”

Alain Sayez imagine bien des avantages – et des arguments à faire valoir pour séduire les futurs clients de sa société (baptisée CIO-PME): “un CIO “à la demande” apporte de la flexibilité à la PME. Il lui suffit de payer une facture, sur prestation, sans devoir s’engager vis-à-vis de quelqu’un. Il y va de son efficacité, voire de son efficience puisqu’elle peut se doter de la bonne personne au moment ad hoc. Et ce, sans devoir financer la moindre formation…”

Au rayon tarifs, Alain Sayez pratiquera des tarifs différenciés selon la taille de la société cliente (TPE, petite PME, société de moyenne envergure) “parce que la complexité informatique augmente par paliers avec la taille.”

S’attend-il à des réticences vis-à-vis d’une formule peu usitée chez nous, en tout cas pour ce genre de profil? “J’imagine que certains pourraient nourrir quelques craintes, notamment en termes de confidentialité de l’information et des données de leur entreprise. Mais, sur mes premières semaines d’activités, je n’ai pas rencontré ce genre de craintes.” Selon lui, la demande est de toute façon – potentiellement – suffisante pour éviter de travailler pour des concurrents réellement directs.

Autre crainte possible: celle de la “volatilité” du CIO dont les missions ou disponibilités éphémères risquent d’imposer à une PME de trouver autre chaussure à son pied plus tard. Un risque à gérer, qui devrait s’estomper si le modèle inspire de nouvelles vocations.

Mais quel rôle au fait?

”Mon souhait est d’être sur le terrain, de répondre à beaucoup de petits projets afin de garder une expertise optimale de nombreuses technologies et problématiques.”

Un CIO, en principe (toujours ce problème de définition, de profil et de “job description”) doit en principe prendre une certaine hauteur ou distance par rapport aux nuts and bolts d’un parc ou d’une solution IT. Pouvoir proposer une perspective, voire une stratégie. Le cambouis n’est pas sa tasse de thé.

Quoique…

Pour Alain Sayez, “un directeur informatique dirige l’IT, est le patron des systèmes d’information. Mais il gère aussi les projets, pour lesquels il met en oeuvre des compétences spécialisées. En cas de gros problème dans un département, il doit intervenir sur le terrain pour identifier le problème et orienter la réponse dans la bonne direction. Il est là aussi pour former les collaborateurs à un nouvel événement ou situation, tel le déploiement d’un nouvel outil.”

“Mon rôle consistera à apporter aide et conseils, à baliser par exemple un projet dont j’assumerai moi-même le pilotage et la bonne fin ou que je confierai à un tiers. Je serai également là pour accompagner les choix de la PME, élaborer un cahier de charges, une tâche qui est souvent négligée par la PME, qui a tendance à agir dans la précipitation ou à se contenter de choisir le prestataire du coin, sans prendre le soin d’élargir son horizon.”

Autre rôle que se voit jouer Alain Sayez en tant que CIO: la formation. Là non plus, pas question de donner des cours ou consignes d’utilisation de logiciels bureautiques ou autres, mais plutôt d’“expliquer comment on gère aujourd’hui une PME, comment les nouvelles technologies peuvent l’aider dans son expansion. Il y a tellement de choses à faire quand on voit à quel point les PME ne s’organisent pas dans ce domaine. Ce genre d’accompagnement peut parfaitement être personnalisé pour les dirigeants. Notamment pour ceux qui désirent renforcer leurs connaissances d’une solution ou d’un domaine particulier ou qui veulent se familiariser davantage à l’IT en général. La formation se fera en tête-à-tête. Le dirigeant de PME pourra ainsi poser librement toutes les questions qu’il désire sans crainte du qu’en-dira-t-on ou du mépris potentiel d’un collègue.”

Alain Sayez: “Il y a tellement de choses à faire quand on voit à quel point les PME ne s’organisent pas dans ce domaine.”

Ce que le CIO partagé Sayez ne sera pas, c’est “un simple pourvoyeur de matériels ou de logiciels, un installateur de câblage ou de nouvelle version logicielle sur un parc existant. Je suis un directeur IT, pas un prestataire IT.”

Nuance!

“Je ne serai pas non plus un vendeur de solution, je ne serai pas étiqueté gold partner de qui que ce soit.”

Les missions ad interim ont-elles selon lui une durée à ne pas dépasser? “Sans doute pas plus de 6 mois. Sinon cela signifierait que je doive refuser d’autres missions ou avoir des associés.”

Regard noir des consultants et boîtes d’intérim?

Alain Sayez ne craint-il pas de s’attirer les foudres des sociétés d’intérim ? “Les concurrents sont en effet déjà présents ou en passe de l’être. Toutefois, le profil de directeur informatique est une compétence plus rare, moins souvent proposée. Mais je démarcherai ces sociétés d’intérim, ne serait-ce que pour déterminer s’il est possible de faire quelque chose ensemble, d’être repris dans leurs listes… Ils ont, à l’évidence, un atout que je n’ai pas, à savoir une connaissance technique du marché de l’intérim.”

Ne pense-t-il pas par ailleurs devoir justifier son profil face aux services et prestations proposés par les consultants (un titre à la définition on ne peut plus floue)?

“Un consultant intervient davantage sur des problématiques IT ponctuelles et/ou complexes. Moi-même, pour une connaissance pointue, je ferai appel à des consultants. Un directeur informatique, lui, est davantage là pour conseiller à l’occasion d’un changement de plate-forme, une évolution vers le cloud ou le lancement d’un projet. Un consultant ne s’engage pas dans une perspective à long terme. Ce n’est pas vers lui que se tourne une société lorsqu’il s’agit de l’informer avant le lancement d’un projet ou pour gérer le budget IT d’un département. Même lorsque j’interviendrai “à la carte”, ce sera toujours dans une perspective à long terme. La zone de recouvrement pourrait être la gestion de projet mais là encore, il y a des valeurs ajoutées potentielles pour un CIO en temps partagé. Par exemple, pour conduire le changement auprès et avec les gens de métier. C’est là, à nouveau, un exemple de relation à plus long terme.”